Elle a fini plus tôt les cours aujourd’hui, et l’Amérindienne ne s’en plaint pas, ça loin de là. Bien qu’elle adore avoir le nez dans ses bouquins, prendre du temps pour elle ne peut que lui faire du bien. Même si en vérité, avec la tempête, elle a pu, rallonger un peu, le temps de ses journées. Apprendre à laisser la pression s’éloigner. Mais elle est comme ça, Haiwee, de simples choses, elle se satisfait. Elle ne cherche pas plus loin, elle ne veut pas se dire que la vie pourrait être compliquée. Parce qu’elle sait, dans le fond, que la vie l’est bien assez. De ce fait, après avoir marché dans la ville, à flâner, elle s’est arrêtée devant un café, désir de voir ses mains non gantées être réchauffées par un de leur thé, détestant le café.

Alors elle entre, et se glisse derrière le jeune homme qui s’apprête à commander, elle est ailleurs Haiwee, quelque part perdue dans les éternelles forêts de Wind river, du coup elle ne remarque pas tout de suite que cette silhouette – en un sens – elle la connait. « Bonjour, je voudrais un Mocaccino en format moyen, merci » cette voix. Non, pour elle, ce n’est pas la première fois qu’elle entend cette intonation. Elle est persuadée d’avoir déjà été apaisé par ce son. C’est parmi des centaines qu’elle la reconnaitrait, si bien que lorsque ses yeux se posent sur lui, elle ne peut retenir un soupir un brin surpris. Impossible que ce soit lui.

Elle en reste interloquée, bouche bée. Elle ne sait pas vraiment si c’est conseillé dans ces cas-là, de parler. Parce que Ziggy l’aurait fait, non, vu qu’ils s’étaient tout de même bien entendu, lors de cette soirée. Haiwee n’estime pas qu’elle soit une fille que l’on peut facilement effacer. Et le ton de sa voix ce n’est plus le même que lors de leur rencontre, mais elle l’a déjà écouté celui-là.
Et parce qu’elle se doute bien qu’elle doit le fixer comme une idiote depuis plusieurs secondes, voir minutes déjà, quand il récupère son café, elle prononce avant, bien que ce soit elle la colombe, de le voir s’envoler. « Excusez-moi mais… On se connaît ? » Car même si ce n’est pas l’homme avec qui elle a sympathisé en soirée, elle est certaine qu’elle a déjà passé des nuits à l’écouter, ce qui serait, assez dingue, à dire vrai.           

« Merci. » Il prononce quand l’expression de la brune, à nouveau, se fronce. Elle n’arrive pas à se l’enlever de la tête cette impression de déjà vu, ou plutôt, de sensation de déjà entendu. Et bien que ce ne soit pas dans ses habitudes, d’aborder les gens, quoi que ça commence à l’être surtout en ce moment ; La voilà qui l’interpelle, avant qu’il ne puisse se faire la belle.

Le visage du jeune homme se tourne vers le sien, et les prunelles d’Haiwee vont sonder ses propres yeux, pour y retrouver ce qu’elle a croisé dans le regard de Ziggy, il y a peu. Avec une évidence dans le creux du ventre que ce n’est, effectivement, pas lui. « Euh… non… je ne crois pas. » Maintenant, elle le voit. Les manières sont différentes du double de lui. Le rire, aussi. « Je pense que je me souviendrais de vous. » Instinctivement, ses joues se teintent de rouge, malgré elle, car elle ne doute pas du côté tendancieux que peuvent avoir ses mots là. Gênée, par la phrase et le sourire qui vient de l’accompagner, elle en mord même ses lèvres, à défaut de savoir que dire ou bien que faire. « Qu’est-ce qui vous fait dire qu’on se connaît ? » Parce que Haiwee, elle a la mémoire des sons, des voix, on lui a appris à écouter lorsqu’elle était chez elle, mais on lui a aussi conseillé, lorsqu’elle est partie, de savoir craindre et de se méfier. Si bien que parfois, elle ne sait pas totalement comment fonctionner en société. Elle hésite quand, son silence, c’est l’employé qui vient le briser. « Vous commandez ? »

Ses iris s’en reviennent vers l’homme qui attend, elle ouvre la bouche à l’intention du serveur pour prononcer « Un thé aux fruits rouges, s’il vous plaît. » le choix est balancé, à la volée, sans vraiment l’avoir réfléchi, car elle a des perturbations dans son esprit. Alors elle se retourne vers lui, heureuse de constater qu’il n’est pas parti. Du coup, Haiwee, satisfaite, sourit. « C’est certainement stupide… » de deux doigts, elle replace ses cheveux derrière son oreille, reprend son souffle quand elle ose et s’éveille. « C’est comme si ... » Et là, juste là, elle réalise combien c’est dingue de se conduire comme ça. Elle s’interroge même sur comment elle aurait pu réagir, si ça avait été l’inverse. Si un homme l’avait accosté en lui disant « Hey poupée, on se connaît ? » pour sur que c’est à l’harcèlement que l’amérindienne aurait crié. « La voix. » Elle conclue, ou elle fait une tentative de conclusion en tous cas. « Cinq dollars quatre-vingt-quinze. » Pour de l’eau aromatisée ? Haiwee ne comprendra jamais.
Les pupilles, quelques secondes, vacillent, et elle a cette sensation d’être sur un fil. Elle sort un billet et lance, de biais « Laissez-tomber. » car elle ne veut pas ressembler, à l’une de ces femmes aguicheuses, qui l’a font rire, mais qu’elle fait sembler de supporter.             

A croire qu’elle a l’art et la manière de se mettre dans des situations qui la désespèrent. De ces moments où elle ne sait pas s’y prendre, ou elle a l’impression que dans ce monde elle détonne et n’en connaît pas les règles tout comme les nuances. Haiwee, elle ne maîtrise que ses propres danses. Et quand il se met à rire, elle se contente de croire, que c’est de sa bêtise, qu’il le fait, elle aurait dû tourner sa langue dans sa bouche au lieu de parler. « Ce n’est pas idiot » Elle en est étonnée, parce qu’elle, elle est persuadée que ça l’est. Et avant qu’elle n’ait le temps de payer, il révèle ce qui ne manque pas de la soulager. « Je suis animateur radio. Je suis l’animateur de l’émission Anavrin… il est très probable que vous avez déjà entendu ma voix à la radio » Et là, juste là, ça fait forcément tilt dans son esprit. Si bien que la brune, elle en sourit.

Elle se sent presque stupide, de ne pas avoir fait le rapport directement, car la voix de cet homme, c’est celle qui l’accompagne lorsqu’elle potasse ses cours, plutôt que de dormir la nuit. Et posant un billet sur le comptoir, elle attrape son thé, avant de rigoler, un peu gênée. « Vous n’imaginez pas le nombre de nuits qu’on a passé ensemble ! » Si par habitude, Haiwee, ne se rend pas compte de la portée de certains de ses mots, bien évidemment, elle n’est pas crédule au point de ne pas entrevoir celle de ceux qu’elle vient d’utiliser. Et par respect pour celui qui l’attend chez elle, habituellement, ce ne sont pas des réflexions qu’elle se permet. « Mais je suis rassurée. » elle avoue alors qu’elle se décale pour prendre la sortie, l’attendant en un acte manqué, parce que naturellement, elle pense qu’il va l’accompagner. « Je ne suis pas tout à fait dingue. » Pas encore, en tous cas. Il reste tout de même un détail qui ne concorde pas avec ce qu’elle sait de lui, et avec Ziggy. « Je ne vous imaginez pas comme ça. » Mais c’est positif comme constatation, il est positif comme apparition.             

Lorsqu’il se met à rire avec douceur, Haiwee, elle ressent cette légère pointe dans son cœur. Un petit quelque chose qui la met, directement, de bonne humeur. Qui détend cette atmosphère étrange qu’elle avait elle-même installée en lui parlant comme si elle le connaissait. « Je suis vraiment heureux de l’apprendre » il prononce avec ce petit sourire qui lui va bien, auquel l’Amérindienne répond par un des siennes. Et cette lèvre inférieure qu’elle mordille quant il appuie ses mots ; « Non, vous n’êtes pas folle, je vous le confirme » Son joli visage, elle le hoche, par la positive, et les zygomatiques c’est à nouveau qu’ils s’activent.

Avec un naturel qui convient à Haiwee, il boit son café et s’amuse de ses paroles, amical à défaut de lui avoir simplement dit qu’elle était folle. « Oh, vous pensez que j’étais plus grand ? Plus séduisant ? » Elle en ouvre les yeux ainsi que la bouche bien en grand. Jamais elle n’aurait osé dire quelque chose dans le genre, évidemment. D’ailleurs elle ignore ce qu’elle voulait dire vraiment. Et ses joues se teintent de rouge, légèrement. « Alors que je suis juste moi-même. » Elle aime le goût de cette conclusion, et elle approuve sans une once d’hésitation. « Vous-même, c’est certainement parfait. » Elle est bien loin de vouloir le juger, et elle a toujours préféré les gens qui ne sont pas adeptes des faux-semblants.

Ce nouveau duo se dirige vers l’extérieur, Haiwee boit une gorgée de son thé, tandis que le jeune homme s’aventure à lui demander. « Vous êtes étudiantes ? » Le temps d’une seconde, et de se brûler la langue une nouvelle fois avec sa boisson chaude. « Et oui. » elle passe sa vie à bouquiner, à essayer d’être excellente pour se persuader que sa place elle ne l’a pas volée. « J’suis en troisième année, à Harvard. » ça fait toujours aussi bizarre lorsqu’elle le dit à haute voix, Haiwee, c’est tous les jours qu’elle se rend compte de la chance qu’elle a. « D’où les nuits à réviser. » elle s’explique un peu mieux. « Et à vous écouter. » et non pas à faire autres choses durant ces longues heures où elle l’écoute, capacité à se concentrer sur plusieurs choses à la fois, sur ses cours mais aussi ta voix. « Je m’appelle Haiwee. » car elle se dit que leur moment ensemble va possiblement s’éterniser, alors autant décliner son identité.