Zahra Hong-West ► Fiona Barron

(un) Deux femmes amoureuses, mariées. Tu es le résultat d'une fécondation in vitro. Elles voulaient des enfants. Et pas seulement qu'un, c'est pourquoi elles ont subi le processus en même temps. C'est ta mère d'origine afro-américaine qui t'a portée. (deux) Les poupées, les barbies. C'est ce qui t'a fascinée dès ton plus jeune âge. Leurs tenues plutôt. Tu pouvais demander à tes mères de les changer un nombre incalculable de fois jusqu'au moment où tu appris à le faire toi-même. (trois) Une soeur, une jumelle à tes yeux. Où une allait, on trouvait automatiquement l'autre. À moins qu'elle touche à tes poupées. Là, c'était une autre histoire. D'ailleurs, vous avez souvent subi les moqueries de vos camarades de classes. Vous venez d'un couple homosexuel et plus de dire haut et fort que vous étiez soeur. Tu as clairement hérité du sang afro-américain de ta mère alors que ta soeur a hérité du sang coréen de ton autre mère. (quatre) Tu as essayé le sport. Les cours de natation où tu finissais par avaler plus d'eau qu'autre chose. Les cours de danse avec tes deux pieds gauches. Le volleybal? Un ballon dans la tronche assez rapidement. La seule chose qui te permet de rester active, c'est de courir plusieurs matins par semaine. Musique dans les oreilles, cheveux remontés en une queue de cheval (cinq) Les magazines mode de tes mères, tu les gardais aussi précieusement que si ça avait été une bible. Garnissant ton garde-robe de ses revues, tu les regardais chaque soir, te disant qu'un jour, ton nom figurerait sur une de ses pages. (six) treize ans, la puberté. Ton corps qui commence à changer, les regards qui se portent sur toi. C'est lors d'un défilé scolaire que tu as remarqué le tout. Spécialement quand une agence de mannequinat a pris contact avec toi. Évidemment, tu étais emballée par l'idée. Tes mères, un peu moins. Mais devant ton insistance, elles ont fini par céder à la condition que ça n'embarque pas sur tes études. (sept) principalement des photos publicitaires, des marques de vêtements pour adolescentes, c'est ce que tu faisais. ça t'apportais pas grand chose au niveau satisfaction mais un petit salaire bien apprécié et surtout, ton nom entrait dans le monde de la mode. (huit) seize ans maintenant. ça fait trois ans que tu joues les mannequins à petite échelle. maintenant, c'est la chance de ta vie qu'on t'offre. un stage à Milan auprès des plus grands de la mode. Tu comptes continuer des études là-bas, finir le lycée comme tu l'as promis à tes mamans. le plus difficile, laisser ta soeur derrière toi. ce n'est que pour un an, rien de plus. (neuf) vous vous appeliez à tous les soirs, parlant pendant une partie de la nuit, vous racontant tout ce qui pouvait se passer dans votre journée. mais un soir, pas d'appel. c'est là que tu as compris que quelque chose n'allait pas. pourtant, tu avais besoin de parler avec elle, de lui dire ce qui se passait. tes dessins, tes créations allaient voir le jour. on t'avait promis de t'aider, de faire de toi une star de la mode. mais ça n'arriva jamais finalement. (dix) deux jours plus tard, un coup de fil. l'annonce d'une maladie qui pouvait faucher ta soeur à n'importe quel moment. Tu ne pouvais pas rester loin d'elle, c'était impensable. tu ne voulais plus perdre une seule minutes loin d'elle. Premier avion, tu laissas tout ça derrière toi pour retrouver ta petite routine de Portland. (onze) on t'a dit que tu allais le regretter, que plus jamais tu n'aurais une occasion comme celle-là. par moment, oui, tu regrettes d'avoir planté Milan pour Portland. mais c'est ta soeur, tu ne pouvais pas faire autrement. (douze) au lieu de t'apitoyer sur ton sort, tu as décidé de retrousser tes manches et de faire ton succès par toi-même. la première étape, suivre ta soeur à Harvard et sortir meilleure de ta promo dans le cursus Design de mode. (treize) aujourd'hui, étudiante à harvard depuis quatre ans, tu travaille en tant que serveuse au Drink. dans tes temps libres, tu travaille sur le lancement de ta propre ligne de vêtements via internet. évidemment, tu suis ta soeur comme son ombre, profitant au maximum de chaque moment et par le fait même, en gardant un coup d'oeil sur elle.