Aujourd'hui, j'avais décidé de m'offrir un peu de bon temps. J'avais besoin de souffler de mon quotidien. Accessoirement, si je pouvais faire aussi un peu de pub pour mes cours et mon magasin je disais pas non... J'avais des proies faciles à attirer dans mon antre : les étudiants de Cambridge. Contrairement aux cours de l'université qui étaient assez classiques et bridés, je permettais d'explorer des choses moins classiques. J'intégrais bien plus de fun dans ma pédagogie. Je partais du principe qu'on devait s'éclater avec la musique, la vivre à fond et pas juste être capable de lire et d'interpréter une partition comme c'est attendu par tel ou tel prof. Alors y en a certains qui auraient peut-être bien besoin d'un exutoire, je tentais ma chance.

Je voulais transmettre une passion avant de transmettre une compétence. Étui de guitare sur le dos, ampli au bout d'un bras, pédales d'effet au bout de l'autre, je prends la direction du campus histoire de faire un petit show. J'savais pas si j'avais le droit de faire ça... mais fuck it ? Je prenais le risque. C'est pas comme si j'allais commencer à entrer dans les bâtiments. Je voulais juste me poser dans le parc de l'université pour pouvoir régaler un peu les oreilles et partager un moment sympa. Ca tombe bien, il fait beau, pas froid du tout pour la saison, et y a un banc de libre au soleil. Sucette au bec, je me pose et je commence à déballer le matériel en chantonnant légèrement, j'oublie bien évidemment pas les flyers concernant mon taff. Ca commence déjà à me regarder avec curiosité. Apparemment c'est une heure d'affluence.

Je vérifie que ma guitare est bien accordée, dans un silence religieux, avant de taper deux trois accords de base histoire de me chauffer les doigts. Ce que je m'apprête à jouer sur ma douze cordes à laquelle il n'en reste plus que onze pour l'occasion, c'est pas forcément le plus simple. C'est pas une de mes créations, mais c'est un morceau que j'affectionne par sa tendance à t'emmener en voyage de façon efficace. Je checke une dernière fois tous les branchements de mon électro-acoustique, et je commence à jouer après une grande inspiration. Et là, c'est mes doigts qui causent pour moi, sans relâche. Je ferme les yeux et je me laisse emporter, léger sourire sur mes lèvres. Je fais changer mon bonbec de côté sans vraiment m'en rendre compte.

On s'arrête pour regarder un peu, ça chuchote, ça tapote du pied et hoche la tête en rythme. Je fais pas vraiment attention, même aux personnes qui ramassent la doc pour la lire. J'aurais le temps de causer après avoir joué. John Butler, c'est sacré, ça s'interrompt pas comme ça. Ce type avait un talent de malade. Si je pouvais être aussi excellent que lui dans ce que je crée... je pense que j'attendrais le nirvana. Si on y est pas encore, j'y travaille d'arrache pied. Je pars du principe que le talent fait pas tout, le travail a aussi son importance. Me laisser porter, c'est encore ce que je sais faire de mieux là, maintenant, à en croire que je suis possédé quand je joue.

∙∙ under the same sky

ft. @Flor Yuan

BABAO ‒

Tes doigts dansent sans relâche dans une valse folle. T'as les yeux fermés pendant un petit moment quand tu finis par les rouvrir lentement, pinçant les lèvres sur un mouvement plus difficile qu'un autre. Et finalement... t'es pas le seul à danser. Elle te rejoint, l'inconnue. Elle se mêle à ton business et ta musique pour habiller les notes qui s'envolent d'une manière inédite. Tu la regardes avec un léger sourire. Elle aurait pu te voler la vedette que ça aurait été le cadet de tes soucis. La musique, c'était fait pour être partagé avant tout, pas pour la gloire d'un seul.

C'est ce qui te fait le plus kiffer dans ce que tu fais. Le mélange de genres, le mélange de talents. Chacun peut mettre son grain de sel pour créer quelque chose de nouveau. Quand t'avais joué dans les rues de Tokyo à l'époque, ça t'étais arrivé en de rares occasions que quelqu'un te rejoigne avec audace dans ton délire. Parfois ça avait été des chanteurs, parfois des flutistes, violonistes, d'autres guitaristes... C'était resté un peu trop ponctuel à ton goût, mais chaque moment que tu avais pu partager de cette façon, tu l'avais savouré et gravé dans le marbre de tes souvenirs pour surtout pas oublier.

Je la fixe en souriant, les doigts qui s'excitent sur les cordes pour accompagner chaque pas de l'inconnue. J'te jure c'est comme si cet instant il avait été en suspend dans l'espace et dans le temps. On avait créé une espèce de bulle dans laquelle s'était invité un paquet de monde. Et quand les dernières notes ont retenti, y a eu un espèce de flottement pendant une longue seconde avant qu'on se fasse applaudir et siffler d'admiration. J'aurais bien voulu dire que j'en avais profité pour signer quelques autographes... mais à la place je filais des renseignement à ceux qui voulaient grâce à la distribution de la miss qui s'était invitée dans mon show.

Ca finit par s'essouffler, tout le monde retourne à ses occupations, mais la jeune femme est restée là, j'sais pas trop pourquoi. Le cul posé sur mon banc, j'hausse un sourcil à son adresse avant de lancer : "C'était loin d'être nécessaire" J'parlais du service rendu avec les flyers. Elle aurait vraiment pas été obligée de faire ça pour moi. Mais j'avais volontairement pas précisé. Je peux être un couillon qui cherche la merde des fois, je vous jure. Et je trouve ça drôle. J'avais hâte de voir dans quel sens elle allait prendre tout ça. Foutre des coups de pression aux gens, ça pouvait être un passe-temps comme un autre après tout. En plus de la guitare et autres instruments, c'était un truc que j'savais particulièrement bien faire.

C'était ma manière à moi de dire merci et de m'amuser un brin. Découvrir le caractère de quelqu'un en jouant les idiots ça avait du bon : tu savais immédiatement à qui tu avais vraiment à faire. Je pense pas que ce soit une personne qui soit venue pour se la péter. Elle avait plutôt l'air du genre à se laisser emporter par sa passion au même titre que moi, du moins... c'est comme ça que je le perçois. Mais je peux juste pas m'empêcher, parfois, d'être con, de piquer, de tester. Certains diraient que c'est sûrement parce que je compense un truc. Ils auraient pas complètement tort... si encore j'avais le mérite de savoir ce que c'est.

∙∙ under the same sky

ft. @Flor Yuan

BABAO ‒