@Cléolya Roederer ; 22.10.2020 ; stand de tir

J'arrive devant le stand de tir et je soupire doucement, les deux mains sur le volant de ma voiture. Je baisse les yeux vers mon ventre et mon coeur se serre doucement. Il ne grandira pas cette fois. Il n'y a pas de bébé qui s'y est installé et l'appeler le fantôme n'a jamais été aussi vrai. Cette grossesse, j'y croyais, j'en rêvais presque un peu. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce que je croyais vainement que ça me donnerait un but précis. Une chose est sur, je désire un enfant et je vais continuer à me renseigner là dessus. J'aurais recours à un donneur, à un inconnu ou quelqu'un que je connais, je ne sais pas encore. Mais je l'aurais, mon bout de chou. Il y a encore quelques mois, j'étais contre l'idée d'avoir un enfant et là, je ne pense plus qu'à ça. Un dernier coup d'oeil dans le rétroviseur, je replace mes cheveux et sors de mon Range Rover, sac à main sur le bras. Papiers présentés, je sors ma propre arme personnelle - cadeau de mon père il y a de nombreuses années - et me dirige vers le stand de tir. La petite salle d'attente est bien décoré et je m'assois le temps d'attendre Cléolya. Je sais qu'elle ne doit pas être bien loin. Jambes croisées, les yeux rivés sur mon cellulaire, je l'entends pourtant arriver, incapable de me concentrer sur ce que je lis et qui doit pourtant être très intéressant. Lorsque je tourne le visage et croise son regard, je souris, me levant rapidement pour l'enlacer. Hey. Ça va ? Que je souffle, rompant rapidement l'étreinte. À chaque fois qu'on tire, on se balance une vérité sur l'autre ou bien une vérité personnelle ? Que je demande, en espérant qu'elle accepte. Ça sera moins cher qu'une thérapie, bien que l'argent ne soit pas un problème ni pour l'une, ni pour l'autre. Mais vider son sac, sans se faire juger, c'est bien, non ? On y va ? Que je balance tout à une feuille blanche. Tout ce que je veux, tout ce que je regrette.

@Ella Marriott-W. ; 22.10.2020 ; stand de tir

 Je fixais l’horizon, laissant le paysage urbain défiler sous mes yeux. Miles, au volant, savait pertinemment qu’une crise d’angoisse pouvait se déclencher à tout moment et souvent dans des moments peu opportuns. Depuis la fin d’été, je sentais le sol se dérouler sous mes pieds, vacillant à chacun de mes pas, sans trouver aucune stabilité. J’étais très clairement partagée entre l’envie de me battre pour adopter Jesus et sceller d’une certaine façon mon futur à Hades, ou bien m’en éloigner complètement et créer ma propre famille, seule. J’avais déjà procédé aux démarches, soutenue par ton frère qui m’avait même donné son avis sur certains profils des donneurs et pourtant… Je n’avais pas sauté le pas, torturée à l’idée d’être une mauvaise mère. J’avais besoin de cet exutoire avec toi pour me vider l’esprit, noyer mes pensées par le surplus d’adrénaline, procurer par le tir. Je reconnaissais le bâtiment, venant ici régulièrement, bien que rarement depuis l’épisode Elliot. Je me présentais à l’accueil, sourire aux lèvres, présentant mes papiers, mon arme et son certificat d’authentification. Je te rejoignais finalement dans la salle d’attente, pour m’approcher directement de toi, les bras ouverts, prête à t’étreindre pour nos retrouvailles. « Ça va et toi ? » Enfin, on savait l’une comme l’autre que nous n’allions pas si bien, qu’on survivait plus qu’on ne vivait. Alors que tu t’éloignais doucement, j’en profitais pour retirer mon manteau, attacher rapidement mes cheveux en une queue-de-cheval, tout en secouant la tête pour appuyer mes propos. « Carrément, comme ça, on déchargera toutes les pressions. » Puis on le savait l’une comme l’autre que l’honnêteté avait une place importante dans notre relation. Je m’avançais devant le poste et avant de mettre mon casque, je lâchais un simple. « Je suis épuisée de devoir constamment faire des concessions pour ma sœur, quand elle n’est pas capable de me rendre la pareille. » Andrew, m’imposer sa présence, toujours avoir un avis sur tout, sans prendre en considération que le monde ne tournait pas qu’autour d’elle. Je détournais les yeux vers la cible, plaçant mon casque avant de faire mon premier tir. « Meilleure thérapie. » Que je pouffais en retirant mes protections.

Ça va et toi ? C'est une bien bonne question à laquelle j'adorerais répondre par la position. J'aimerais dire que tout file comme sur des roulettes, que je vais bien mais les évènements de ces derniers mois me riraient à la tronche. On ne va pas bien après une rupture, après avoir eu l'impression d'être humiliée à longueur de journée. Et si mon corps tient le coup, mon cerveau à un discours bien différent. Ce dernier se bat chaque jour pour ne pas se laisser submerger. Pas vraiment. Mais ça ira mieux demain, je n'ai aucun doute là dessus. Que je souffle en haussant les épaules avant de la prendre furtivement dans mes bras. Je n'ai jamais menti à Cléolya et si elle s'attend à ce que j'emballe toute ma vie de paillettes et d'un gros noeud rouge, c'est qu'elle me connaît mal. Et entre elle et moi, c'est la sincérité et la dureté de nos vérités qui nous maintient en vie. Il y a peu de personnes à qui je peux dire ce que je lui dis sans qu'ils ne se prennent la tête et tente de prendre la mienne au passage. Je n'ai plus le temps pour les faux semblants. Dans la salle de tir, je lui fais signe de passer en première. Je sais qu'elle a besoin de presser la gâchette autant que j'en ai besoin, si ce n'est plus. Mon casque seulement sur une oreille, je l'écoute et souffle doucement. Rien de ce qu'elle dit ne m'étonne. Je ne porte pas Aymalyne dans mon coeur, ne l'ait jamais fais et ne le ferais jamais. Je n'aime pas la façon dont elle se sert de mon frère et me souviens encore bien trop du Veritas qui est sorti après sa nuit au Copley. Dimitri est bien trop gentil mais si je pouvais éviter de passer mes journées à réparer les idioties de ce genre, ça m'arrangerait fortement. Je regarde Cléolya tirer et souris largement. On peut en parler si tu veux. C'est aussi ce qu'on fait en thérapie non ? Et ma psychologue risque d'avoir du pain sur la planche avec moi ce soir. J'ai hâte. Ou pas. Je prends sa place, enlève la sécurité de mon arme et regarde droit devant moi. Je déteste mon corps pour m'avoir fait croire que j'étais enceinte alors que ce n'est pas le cas. Je tends les bras et tire au niveau de la tête de la cible. Je ne sais pas si Cléolya est au courant - merci Veritas - mais maintenant elle l'est. Je la regarde et souris légèrement Ça me couterait moi cher en thérapie de venir ici toutes les semaines. Je ne peux m'empêcher de rire, replaçant la sécurité sur mon arme personnelle et en regardant Cléolya. Tu veux parler de ta soeur ? Que je demande réellement, ne lui ayant pas laissé le temps de dire quoi que ce soit un peu plus tôt, voulant commencer à vider mon sac.

w/ Ella ; 22.10.2020 ; stand de tir

 Tout était paradoxal, un ‘ça va’ devenue trop habituelle, mais qui n’était pas tant éloignée de la vérité. Je n’allais pas très bien, mais je n’étais pas à l’agonie non plus et bien plus forte que le commun des mortels, j’apprenais de chaque situation, chaque épreuve, pour grandir et m’enrichir. Je hochais doucement la tête à tes mots, ravie de voir que tu restais lucide. On pourrait facilement sombrer si notre nature combative ne prenait pas le dessus sur la facilité. Et c’était sûrement ça qui m’avait poussé à t’apprécier, en plus de ton honnêteté, ta rage de vaincre. Ton jugement et ta perception de mes choix m’avaient aidé à grandir dans le passé, alors c’était sans crainte que je m’avançais devant le poste de tir, suite à ton geste, prête à m’épancher avant de tirer. Le plus gros, l’une des choses qui m’avait le plus touché dernièrement, sortait instinctivement, ma relation avec ma sœur, en lien avec le fait d’avoir pris le nom de ma mère. Je tirais, me tournais vers toi en cédant ma place d’un petit signe de la main. Tu prenais place, avouais un secret qui me peinait avant d’extérioriser en laissant la munition rejoindre la cible. Je n’étais pas au courant et peut-être que si je suivais le torchon qu’était Veritas, j’en serais informée, mais je préférais les confidences de mes proches que les colportassions d’inconnus. « Pourquoi ne pas en profiter pour donner à ton corps ce qu’il t’a fait croire et que tu sembles tant désirer ? » Je pouvais t’aider pour ça, ayant moi-même entrepris des démarches pour être mère. Mais peut-être n’étais tu pas prête, pas après un choc émotionnel comme celui-là ? « On pourrait se faire ça de temps en temps, si ça te plaît autant qu’à moi. » Avouais-je après avoir ri à ta remarque. Le sourire et le rire étaient présents, rendant l’atmosphère plus légère que nos confidences l’étaient. « A part dire qu’elle est égocentrique, je n’ai pas grand-chose de plus à ajouter. » Petit rire qui filait entre mes lèvres à la suite de ma phrase cela ne m’empêchait pas de l’aimer, parce qu’elle savait aussi me soutenir, malgré tout et que depuis le départ d’Ash, d’Aurora et de Wayland, c’était plus que nous. Je préférais prendre mon temps avant de retourner tirer, le but étant de se libérer complètement des poids qu’on supportait et parler à une oreille attentive et bienveillante était sûrement l’une des meilleures solutions.

Je me pose tellement de questions. Et il y a tant de ces questions dont je ne veux pas la réponse, tout simplement. Le coeur serré, les yeux rivés sur la cible, je tire comme si ma vie en dépendait. Alors que ce n'est pas le cas. Et quand la balle s'écrase dans la cible, je ressens quelque chose dans le coeur. Parce que c'est là que tout se passe aussi, en quelque sorte. C'est le coeur qui prend, qui morfle, qui souffre et irradie mon corps tout entier d'une douleur inexplicable. J'écoute Cléolya et souris légèrement. Parce que ça ne se fait pas comme ça ? Les entretiens chez le psychologue, à la clinique, les rendez-vous à répétitions, les piqûres pour stimuler les hormones… Tant de choses que j'ai déjà regardé. C'est ma nouvelle obsession. Une de celle qui ne passe pas et n'est pas prête de passer, c'est sur. Je crois que j'ai envie d'un enfant qui aura sa maman. Mais aussi son papa dans sa vie. Que je confie à Cléolya. Personne n'est au courant de cela. Pas même mon frère ; surtout pas mon frère. Et du coup, c'est difficile. Plus difficile. Je n'ai pas personnellement besoin d'un petit ami pour faire un enfant mais j'ai bien plus envie d'un partenaire de vie. Et ça, c'est quelque chose quand j'y pense. Quelque chose de fort mais aussi de difficile. Quelque chose qui va me faire prendre du temps. Parce qu'on ne demande pas à n'importe qui de lui faire un enfant. Je me demande si ma mère a envisagé cette option. Absolument. Ce n'est que le premier tir et je me sens déjà mieux. Pas soulagée - il me faudrait une dizaine de litre de vodka pour cela - mais parler me fait du bien. Et je sais que Cléolya ne me jugera pas, quoi que je dise. Je suis une femme indépendante mais cette expérience, j'ai envie de la partager avec quelqu'un. Elle ne change pas. Que je souffle, comme désolée pour elle. Ça n'a jamais passé entre l'aînée et moi et ça ne passera jamais. Pourtant, il fut un temps où je pensais pouvoir appeler Andrew un ami. Mais je crois que le vent a tourné et que les clans se soient formés sans que je n'ai rien eu à dire. T'as deux choix Cléo ; accepter définitivement son égo surdimensionnée ou arrêter là. Des fois, la meilleure solution est de dire adieu aux gens qu'on aime. Et j'en sais quelque chose. Mais quand ça fait trop mal, il n'y a pas trente six solutions, je crois. Il faut savoir quitter les situations délicates, toxiques et destructives. C'est elle avant tout, ses envies, sa vie, son moral. Elle et seulement elle. Il faut qu'elle le comprenne. Et je suis sûre que Camila aurait le même discours. Si jamais, on t'adopterait sans soucis chez les Marriott. Que je lance en riant. Bon, sa courte relation avec mon cousin relèverait presque de l'inceste mais c'est du passé, n'est-ce pas ?