Quand : jeudi 8 octobre ; 10:30
Où : centre médico-social
qui : @cleo salazar

le matin, c'est place aux visites sans rendez-vous au centre médico-social de l'université, à peine arrivée, il y a déjà deux ou trois étudiants qui attendent. Une jeune fille qui a vu ses menstruelles arrivées sans crier gare en plein cours, un autre qui se plaint de maux de têtes, une qui a mal au ventre.
Rien de vraiment trop grave et clairement ça te change des urgences, alors oui, des fois tu te demandes pourquoi t'as lâché tout ça, pourquoi t'as fini par te retrouver face à ses étudiants qui viennent te voir au moindre bobo. Bien sûr que l'adrénaline ça manque, que l'idée de sauver des vies ça manque aussi, mais toute cette mort que tu cotoyais, tout ces échecs que t'as pu essuyer, ces vies que t'as du laisser partir parce qu'il était trop tard, ou que c'était peine perdue, ça non, ça t'manque pas.

Quand tu penses que le défilé est terminé, trois coups à la porte de ton bureau résonne, alors tu te lèves, un sourire affiché sur tes lèvres, prête à accueillir un nouvel étudiant là pour un de ces petits bobos. Et c'est quand tu ouvres la porte que tu reconnais ce petit bout de femme.

T'avais rencontré cleo il a quelques semaines, alors que l'amérique s'enflammait pour le black lives matter. Evidemment, toute personne qui te connaissait savait qu'il pourrait te trouver parmis les manifestant, depuis toujours une enfant révoltée par les injustices du monde. Toi, jeune fille issue de la communauté gitane et tout ce qui va avec, stigmatisation et stéréotypes, t'avais été de nombreuses fois victimes de ce genre de chose, bien malgré toi.
Désespérée de ce monde dans lequel tu vivais, tu gardais toujours un espoir quant à l'humanité, tout ces gens réunis face à ces injustices te redonnaient envie de croire que le monde n'était pas si pourri finalement.
Tu n'avais pas choisi d'intégrer une quelconque association, non, mais travaillant sur le campus tu te tenais souvent au courant des nombreuses actions mises en place par les engagés d'harvard, un groupe d'étudiants qui se réunissaient souvent au restau u. Bien que pas étudiante, tu venais y traîner une oreille quelques fois, afin de te tenir au courant.

t'avais tendance à la voir un peu comme ta petite soeur, tu te souviens encore de votre première rencontre, lors d'une de ces manifestations, les flics avaient essayé de disperser les foules alors, tu l'avais prise avec toi, comme une réflexe, pour la mettre à l'abri, pour lui éviter des ennuis. T'étais une habituée de ce genre de chose, tu savais comment agir pour ne pas te mettre dans de sales draps.
Pas envie de subir quelconques violences ou encore même se faire embarquer par la police.

Tu laissais donc entrer la jolie blonde, toujours ton sourire accrochés à tes lippes.
"bonjour, comment vas-tu ?" puis tu te rappelais que ce n'étais sûrement pas une simple visite de courtoisie.
"enfin, tout va bien ?..." ton sourire s'effacait un peu, laissant place à une petite inquiétude.

Ce matin, presque un mois après son arrestation et son passage au commissariat et l’incendie de son logement, Cleo s’était levée avec difficulté, un poids constamment présent en elle, une peine profonde l’envahissait. C’était elle, en tant que victime, qui prenait perpétuité, parce qu’elle était marquée à vie, que jamais elle n’arriverait à ôter définitivement ces images de son esprits. Au pire, elles resteraient au fond de sa mémoire, se manifestant uniquement au plus profond de la nuit ou dans des moments de désespoir. Ce cauchemar faisaient qu’elle passait une grosse partie de ses nuits les yeux grands ouverts, à fixer le plafond, sans savoir quand morphée viendrait la trouver.

Ce matin, elle s’était donc levée péniblement pour se rendre au centre médico-social, parce qu’elle avait besoin d’aide, plus qu’elle ne voulait réellement se l’avouer et plus qu’elle ne le laissait paraître auprès de ses amis : elle les avait déjà assez inquiété sans en rajouter une couche. Elle n’avait pas vraiment les moyens d’aller voir un psychologue, alors elle espérait que ça l’aiderait un peu, pendant un temps tout du moins.

Elle toqua trois coups à la porte du bureau, qui s’ouvra très rapidement sur Bisha, cette fille qu’elle avait rencontrée aux manifestations BLM, elle qui l’avait pris sous son aile, qui l’avait protégée de la cohue formée par les manifestants qui se heurtaient aux policiers. Les deux femmes avaient dès lors sympathisé et Cleo appréciait bien ce comportement de “grande soeur” que Bisha pouvait avoir envers elle. Mais à sa question, un sourire crispé s’afficha sur son visage. Elle posa son sac et sa veste sur le dossier de la chaise non loin et prit place dessus, de son propre chef. Elle en avait gros sur le coeur donc autant s’installer confortablement.

“Pas vraiment”, répondit-elle en secouant la tête. “J’ai besoin de parler de tout ce qui s’accumule depuis le mois de septembre dans ma vie, j’ai des amis, qui essaient de m’aider, mais j’ai pas envie de les mettre en danger ou de les faire souffrir inutilement… Je peux compter sur eux depuis le début mais ils ont aussi leurs problèmes à côté et, malgré tout, c’est pas leur rôle... Cleo c’était cette jeune femme, si sûre d’elle, engagée et pourtant, qui était atteinte plus qu’elle ne le croyait, effondrée plus qu’elle ne le voudrait.

@Bisha Francés

Son joli visage qui apparaît dans l'acadrement de la porte et tu souris tendrement, elle entre, s'installe et s'asseoit face à toi, son visage est éteint et juste la voir comme ça te brise le coeur. Elle est douce cleo elle mérite pas que le monde s'acharne sur son dos, elle mérite du soleil, des rires et de la joie, des yeux qui pétilles, tout le bonheur du monde.
Bisha, t'aimes pas cette idée de bureau qui te sépare des gens qui viennent discuter avec toi, ça te plaît pas, la sensation de garder une distance avec leurs problèmes, tu sais que de base c'est pour éviter les transferts, que cette distance est nécessaire mais t'es forte bisha, les transferts ça t'effraie pas. Ta t'as blouse, elle te suffit, cette blouse qui permet de couper avec les problèmes des autres lorsque tu la quittes, lorsque tu rentres chez toi.

Elle t'explique qu'elle a besoin de parler, mais qu'avec les amis c'est jamais facile, peur du jugement, ressentir leur pitié, de trop les impliquer, de les dérangers, voir même les mettres en danger et tu l'comprends. T'es pas du genre à trop parler de tes problèmes toi, toujours à dire que ça va, même quand c'est pas le cas. Assise sur la chaise qui se trouvait à côté d'elle tu hochais la tête doucement.
"tu sais cleo, je comprends ce que tu veux dire, mais tu sais, les amis c'est pas seulement pour les bons moments, je suis comprends que tu veuilles les protéger, mais ils pourraient s'en vouloir de ne pas être là pour toi", tu avais une certaine douceur dans ta voix, signe de compassion et d'une terrible empathie pour cette douce demoiselle qui te rappellais un peu ta propre petite soeur.
"mais après, si tu préfères en discuter dans une sphère professionnelle, je suis là aussi", t'avais beau ressentir une certaine amitié pour elle, tu savais qu'elle ne venait pas forcément voir une amie, alors tu reprennais ton rôle d'infirmière de l'université, celle qui était là pour soigner les bobos, physiques comme moraux.

Cleo observe Bisha, son amie de manifestation, qui l’avait plusieurs fois protégée comme une grande sœur le faisait avec sa cadette, fermer la porte et s’installer à côté d’elle, avec sa blouse blanche immaculée, qui réfléchissait la lumière vers elle. Mais aujourd’hui, ce n’était pas son amie qu’elle était venue voir, peut-être égoïstement, c’était surtout quelqu’un prêt à l’écouter qu’elle cherchait, une oreille attentive avec son point de vue externe, qui ne tentait pas l’impossible pour elle. Mais Cleo sait aussi que depuis, ce n’est plus vraiment elle-même, que la douleur s’est ancrée, silencieusement, rapidement, fourbement en elle, ne voulant déloger et la quitter. Elle n’aimait pas donner cette image d’elle, elle détestait montrer ses faiblesses, et encore plus en ce moment, mais c’était aussi trop pour elle, qui pourtant mimait de tenir, face à ses amis.

“Je sais bien Bisha… Mais je sais aussi que certains sont près à se mettre en danger volontairement pour m’aider… Je veux pas qu’il leur arrive quelque chose, sinon je m’en voudrais...” Elle relève les yeux vers celle qui revêt son rôle d'infirmière face à elle, aujourd’hui. Elle ne peut s’empêcher d’observer son visage doux et bienveillant, rassurant même. Dans ses mots, Bisha n’est que douceur, mais Cleo ne sait plus vraiment comment réagir. Ses émotions ont cette fâcheuse tendance à prendre le dessus sur ses pensées depuis peu, sans qu’elle puisse intervenir.

“Tu sais Bisha, j’ai toujours les mêmes scènes qui tournent en boucle dans ma tête dans mon sommeil, et parfois même le jour… J’arrive plus à dormir, dès que je ferme les yeux je vois que ça… Et puis j’entends ces mots...” Cleo serre les poings, de rage, de colère, de tristesse aussi, une larme roulant sur ses joues, terminant sa chute sur son jean bleu. “... ces mots si violents, ces cris, ces gestes brutaux et cette accusation... ”, énumérait-elle. Un sanglot restait coincé dans sa gorge. Elle essayait de le retenir pour ne pas craquer, pas tout de suite du moins. Mais la douleur en elle était vive, les souvenirs trop frais pour ne faire aucune dégât.