Le job de mécanicienne qu’avait Saoirse suffisait à ce qu’elle puisse subvenir à ses dépenses quotidiennes sans qu’elle n’ait à se demander si elle parviendrait à finir le mois. Cela impliquait de limiter son nombre de sorties, de ne pas tout flamber dans des vêtements ou des livres mais c’était faisable sans que la vie de Saoirse ne soit pour autant particulièrement chiante. Pourtant, la jeune femme avait pris pour habitude d’accepter de temps à autre des missions d’hôtesse, qui avaient le mérite de mettre un peu de beurre dans les épinards - ou plutôt de renflouer le matelas dans lequel elle cachait l’argent qu’elle mettait de côté. Malheureusement les deux milles quatre cent cinquante trois dollars qui s’y trouvaient, n’avaient pas vu de nouveaux venus depuis quelques temps. En effet, la dernière mission d’hôtesse de la jeune femme s’était finie de façon désastreuse : elle avait malencontreusement renversé du jus de tomate sur la chemise immaculée d’une personne qui s’apprêtait à prendre parole devant toute l’assemblée. Si elle avait compris son agacement, Saoirse avait trouvé profondément injuste qu’il l’incendie devant tout le monde - et plus encore qu’elle se fasse virer pour ça. Refroidie par cet événement, elle avait décidé pendant quelques temps de ne plus prendre de mission d’hôtesse mais elle devait avouer que cela payait bien. Et puis, malgré elle, Saoirse craignait toujours de ne pas avoir assez d’argent, de devoir assumer des choses qu’elle ne pouvait pas se permettre. Son absence de couverture médicale était d’ailleurs la raison pour laquelle ses économies étaient si peu importantes que la jeune femme travaillait depuis près de dix ans.
Saoirse avait donc fini par se raisonner et décider de chercher une autre agence, avec laquelle elle avait rendez-vous dans exactement vingt minutes. Sauf qu’il lui fallut exactement ce temps-là pour arriver au lieu de rendez-vous, sans parler de se garer… Tapotant nerveusement ses doigts sur le volant en attendant que le feu daigne passer au vert, elle attrapa son téléphone dans son sac pour appeler l’agence et les prévenir qu’elle aurait dix minutes de retard. Elle savait que c’était risqué, car elle avait encore une chance d’arriver à l’heure si elle roulait légèrement au-dessus de la limite de vitesse mais si pour une raison ou pour une autre elle arrivait en retard, ce serait pire… Poussant un soupir, elle appuya sur l’accélérateur et leva son pied de l’embrayage dès que le feu passa au vert. Elle attendit d’être sur une rue un peu moins fréquentée pour chercher dans son téléphone le numéro de l’agence, ne jetant que des regards furtifs à la route. Ce fut probablement la raison pour laquelle elle grilla une priorité sans s’en rendre compte. Apercevant au dernier moment la voiture qui s’engageait au croisement, elle enfonça son pied sur l’accélérateur dans l’espoir de parvenir à dégager la voix avant que l’autre voiture ne la percute. Peine perdue, le pare-choc de l’autre voiture percuta l’arrière de sa voiture bien aimée. Stoppant nette sa voiture, Saoirse pesta - contre elle-même, il n’y avait aucun doute sur le fait qu’elle était en tort - et se gara sur le bas côté avant de sortir de sa voiture. Luttant contre l’envie de jeter un coup d’oeil avant tout à sa précieuse voiture, elle grimaça en voyant que l’autre voiture n’avait pas été particulièrement épargnée : “Je suis vraiment désolée ! J’étais pressée et…”

Si la journée avait plus que bien commencé, avec une rencontre plutôt agréable lors de son jogging matinal, ça allait maintenant en dégringolant. Un simple coup de fil à son père, lui rappelant que son ultimatum avait une date limite, avait suffit à venir ruiner la bonne humeur de Jem, qui avait à présent les mains crispées autour du volant et l'envie de tout bruler sur son passage. Sa petite crise passée, l'anglais avait naïvement cru que son père retrouverait la raison et lui présenterait ses plus plates excuses. Leur relation n'avait pas toujours été au beau fixe, surtout depuis que Jem avait été engagé chez Williams, mais il restait son fils... Ce que Harry Hanwell semblait avoir oublié. Son départ précipité pour Boston n'avait en rien fait réfléchir son père, qui tapait toujours du poing sur la table pour obtenir cette place au conseil d'administration. Sa mère était-elle au courant de ce petit chantage ? Il y avait peu de chances... Quand à ce qui s'était passé il y a plus de dix ans, Jem préférait ne même pas se poser la question. Il avait toujours vu Kate Williams comme une femme respectable, dont l'honneur n'était pas à questionner, et Jeremiah ne souhaitait pas commencer à le faire aujourd'hui. Un nouveau soupire s'échappait de ses lèvres, alors qu'il enfilait ses earbuds pour passer un coup de fil, sans avoir cependant le temps de lancer l'appel. Trop énervé pour être attentif, en droit qui plus est, il ne vit pas la voiture arriver et lui couper la priorité, ne lui laissant aucune chance de l'éviter. Un coup de volant aurait pu faire l'affaire et les épargner, mais Jem n'avait aucune idée des possibles piétons qui l'entouraient et n'avait donc pas pris de risques. Surtout, tout s'était passé beaucoup trop vite pour qu'il aie le temps de se poser la question, d'autant plus lorsqu'il était habitué aux priorités de gauche. " Putain." Il grogna en frappant son volant à plusieurs reprises, avant de ranger la voiture le bas côté afin de ne pas provoquer un second accident. A peine sorti du véhicule, l'anglais détailla la jeune femme qui s'adressait à lui, secouant la tête comme s'il cherchait à savoir s'il rêvait ou non. Jeremiah n'oubliait pas un visage. Il pouvait être complètement nul pour un prénom, une date d'anniversaire, mais il avait depuis toujours une mémoire photographique qui lui permettait de replacer toute personne ayant croisé sa route, si tant est que la personne en question l'aie un tant soit peu marqué. Elle, elle avait fait plus que le marqué, malheureusement. " C'est votre mission dans la vie de pourrir la journée des gens, ou ça m'est exclusivement réservé ? " Il lança, acerbe, sans lui laisser le temps de finir sa phrase. Comment était-ce possible, en étant si rarement à Boston, que la même femme parvienne à lui ruiner deux journées ? D'abord le jus de tomate sur sa chemise avant un passage en public, maintenant l'avant de la voiture de location, que Jeremiah venait tout juste d'aller récupérer, complètement ruiné.

Saoirse ne reconnut pas immédiatement le jeune homme planté devant elle, dont chacun des membres semblait crispé. Elle grimaça d’un air sincèrement désolée en lui expliquant qu’elle était pressée mais n’eut pas le temps de finir sa phrase que déjà il venait la couper. S’interrompant dans sa phrase, elle ne put s’empêcher de froncer les sourcils, ne comprenant pas immédiatement sa remarque. Ok, elle était en tort et aurait dû être plus prudente sur la route ; prendre son téléphone au volant était une erreur ridicule de débutant, elle était bien d’accord mais de là à voir une réaction aussi dure… “Non, enfin, je…” Elle s’arrêta en secouant la tête : “comment ça, ça vous est réservé ?” Continuant d’avancer vers sa voiture, elle alla examiner le pare-choc et grimaça en voyant qu’il n’y avait pas que cela de toucher. Il lui faudrait changer le pare-choc et vérifiait le moteur, mais surtout les essieux lui semblaient ne pas être en fameux état non plus. Rapidement, Saoirse fit le calcul dans sa tête voyant les chiffres s’aligner devant elle. Elle ferma les yeux quelques secondes, additionna le prix de chaque pièce plus celui de la main d’oeuvre et se mordit la lèvre. S’il l’emmenait dans un garage, non seulement l’intégralité de ses économies y passait mais probablement une bonne partie de son salaire du mois - voire même des deux mois suivant vu le type de véhicule qu’elle conduisait. “Ecoutez, je suis vraiment désolée, je sais que c’était de ma faute.” dit-elle en se plantant devant lui, prête à lui offrir de procéder elle-même aux réparations. Cependant, c’est à cet instant qu’elle le reconnut, faisant un pas en arrière. “Oh vous êtes…” A dire vrai, elle n’avait aucune idée de comment il s’appelait, ne l’avait probablement jamais su mais il était la raison pour laquelle elle avait perdu son poste d'hôtesse. En d’autres termes, celui sur lequel elle avait renversé un jus de tomate juste avant une prise de parole importante… Elle soupira doucement, comprenant un peu mieux sa remarque mais regrettant de ne pas l’avoir remis plus tôt ; elle lui aurait bien répondu qu’elle pourrissait uniquement les soirées également de temps en temps. Mais en réalité, Saoirse n’avait vraiment pas le temps pour ce genre de discussions ; elle n’avait même pas eu le temps de prévenir qu’elle allait être en retard à son rendez-vous. “Je suis vraiment désolée pour le jus de tomates, pour la voiture, mais c’était des accidents. Vous pouvez passer au garage dans lequel je travaille, on s’occupera des réparations gratuitement.” Enfin, aux frais de Saoirse mais il n’avait pas non plus besoin d’entendre tous les détails de cette histoire, ni le fait qu’il était crucial qu’il accepte rapidement, de préférence sans constat pour qu’elle puisse vérifier l’état de sa propre voiture, et surtout reprendre la route.

@Jeremiah Hanwell

S'il avait voulu oublié son visage, Jem était probablement incapable de le faire. Le lendemain, l'anglais était parvenu à relativiser sur ce petit accident, mais il se souvenait s'être emporté plus que de raison contre la serveuse lorsqu'elle avait saccagé sa chemise. Le fait de devoir prendre la parole, quelques minutes plus tard, n'avait pas joué en sa faveur, c'est certain. Celui de devoir s'exprimer devant tout le gratin dans un t-shirt qu'un serveur lui avait prêté encore moins. Si quelques ignorants avaient trouvé ça mignon - pour reprendre leur mot - qu'il enfile la même tenue que les membres du personnel, Jem lui fulminait et aurait encore préféré se présenter torse-nu. Son discours terminé, l'anglais avait pris la poudre d'escampette sans demander son reste, évitant de s'adresser à la responsable de ce fiasco afin de ne pas s'enflammer à nouveau. Jamais ô grand jamais il ne s'était attendu à croiser sa route à nouveau, ou en l'occurence à la percuter. Le britannique arqua un sourcil, un brun vexé qu'elle ne se souvienne pas de son visage après leur altercation en juin dernier - ce qui confirmait, ceci dit, que l'accident l'impliquant n'en était pas un isolé. Cette femme devait être une catastrophe ambulante. Bras croisés devant lui, Jeremiah l'observa faire le tour du véhicule de location qu'il avait récupérer à peine deux heures plus tard, laissant un rire nerveux s'échapper de ses lèvres lorsqu'elle pris la responsabilité de l'accident. Il ne manquait plus qu'elle le lui mette sur le dos, ça aurait été la cerise sur le gâteau. " Sans blague. Je suis à peu près certain que le téléphone au volant est interdit dans le code de la route américain également. " Le portable dans la main de la brune ne lui avait pas échappé. Celle-ci était sortie si rapidement de son véhicule qu'il en tirait la conclusion qu'elle était déjà accroché au téléphone avant même d'être à l'arrêt. Alors qu'elle le rejoignait sur le trottoir, la pièce sembla tomber sur son identité, haussant un sourcil pour l'invité à poursuivre. Qu'était-il au juste ? Sans doute le connard qui l'avait humiliée en public, mais c'était justifié. C'était en revanche injuste de passer la colère qu'il avait envers son paternel sur elle aujourd'hui, malgré leur accrochage. Jem en était conscient, sans parvenir à se calmer pour autant. " Des accidents, ou plutôt un manque cruel d'attention de votre part. " C'est comme ça qu'on finissait avec des innocents tués sur la route ; pour une erreur d'inattention de quelques secondes. " Non merci. J'ai suffisamment été témoin de ce dont vos deux mains gauches sont capables, je ne risque pas de vous confier le véhicule. " Jem eut un nouveau rire, tout aussi nerveux que le premier ; la situation ne l'amusait pas du tout. " C'est une voiture de location qui plus est, on va donc établir un constat. " Non pas que l'anglais en avait grand chose à faire des frais de réparations, mais il tenait à rester dans les bonnes grâces de la compagnie de location, ce qui impliquait un constat où le responsable apparaissait noir sur blanc.

Saoirse n’était pas du genre à se taire lorsqu’une situation lui déplaisait. Elle n’était pas du genre à crier quand la situation ne le justifiait pas et tâchait d’ailleurs de garder son calme autant que possible. Pourtant, il suffisait qu’elle sache qu’elle ne pouvait pas se permettre de l’ouvrir face à un individu qui se sentait clairement supérieur à elle pour que son sang ne fasse qu’un tour. Même si elle essayait sincèrement de prendre sur elle, la jeune femme ne pouvait s’empêcher de se complexer sur sa situation sociale. C’était idiot; elle le savait pertinemment. Elle n’avait d’ailleurs jamais rien fait de particulier pour essayer de faire richesse. Lorsque tous ses frères et soeurs seraient adultes et auraient un travail, elle aurait probablement les moyens de vivre normalement, de ne plus compter chaque dollar qu’elle dépensait mais elle n’aspirait pas forcément à grand chose de plus. Cette vie lui suffisait et le strass et les paillettes ne lui avaient jamais vraiment donné envie - peut-être parce qu’elle n’y avait jamais gouté. Non, ce qui la rendait folle était la façon dont une partie de la population pensait que le fait qu’ils soient nés avec une cuiller en argent (ou en or, voire en diamant pour certains) les rendait supérieurs aux autres, comme si la valeur d’un être humain se mesurait à hauteur de son compte en banque. Oui, ces gens-là avaient accès à des choses qui étaient beaucoup plus compliquées pour d’autres - il suffisait de voir comment Mila avait dû se battre pour pouvoir mener ses études à termes. De plus, n’était-ce pas ce qu’ils avaient dans les tripes qui devaient compter, plus que tout le reste ? Comme la façon dont il traitait des individus qui ne leur avaient pourtant rien fait - enfin… vous voyez l’idée. “Et je suis…” à peu près certaine que les anglais étaient sensés être des gens sympathiques, se retint-elle de préciser. Au lieu de ça, elle se mordit la langue. L’idée était de régler cette situation au plus vite - et surtout à l’amiable. “C’était une urgence.” précisa-t-elle, fermement. Ce n’était pas tout à fait faux, et elle avait surtout aucune intention de s’expliquer vis-à-vis de cet homme. Saoirse aurait probablement pu prendre un air désolé, essayait de jouer sur ses sentiments et voire même se mettre à pleurer en inventant une histoire à la mord moi le noeud - cela ne serait d’ailleurs pas la première fois - mais le seul fait de reconnaître l’individu lui fit passer l’idée. Elle ravalait déjà sa fierté en le laissant lui parler de la sorte sans le remettre à sa place; il était hors de question qu’il la voit avec des larmes - aussi fausses soient-elles sur son visage. Elle secoua doucement la tête en le voyant arquer un sourcil et ne chercha même pas à compléter sa phrase. Elle n’avait aucune idée de la façon dont il s’appelait et n’avait aucune intention de l’insulter devant lui, même si cela n’allait sans doute pas tarder. Déglutissant en l’entendant, elle secoua doucement la tête et ne put se retenir de lui répondre, sur le même ton que lui : “Parce que je suis la seule qui doit regarder où je vais, peut-être ?” En l’occurrence, Saoirse aurait mieux de se faire ; elle aurait en effet mieux fait de mieux regarder où elle allait. Peut-être que le jeune homme avait manqué d’attention - elle n’en savait rien, mais elle n’en était pas moins en tort - dans les deux situations. Rapidement, elle lui proposa de s’occuper de faire les réparations, sachant pertinemment que c’était le meilleur moyen qu’elle s’en sorte financièrement. Elle se demanda pendant quelques secondes si elle avait la moindre chance que Mila puisse l’aider à se dépatouiller de cette situation avec les assurances. Elle était certes avocate en droit de la famille mais elle n’en restait pas moins avocate et pourrait peut-être l’en dépatouiller. Se mordant l’intérieur des joues pour ne pas répondre à sa remarque sur ses deux mains gauches, elle serra sa main autour de son téléphone tâchant de garder son calme. “Je travaille dans le meilleur garage de la ville, je vous conseille donc de l’y confier. Mais si vous tenez à ce que je ne touche pas à votre voiture, je n’y toucherai pas. Vous aurez la voiture trois fois plus vite en procédant comme ça.” précisa-t-elle, sachant surtout que cela coûterait trois fois plus cher s’il passait par une assurance. Saoirse serait obligée de prendre un prêt… si seulement on le lui accordait. L’espace d’une demi-seconde, elle fut tentée de refuser d’établir le constat mais si Saoirse avait commis quelques méfaits quand elle était adolescente, elle n’était pas non plus une délinquante et n’allait pas commencer maintenant à se comporter comme telle. Ravalant une dernière fois sa fierté : “Je n’ai pas d’assurance.” Dieu que cela lui coûtait de devoir lui demander une faveur - surtout quand elle était à peu près certaine qu’il refuserait de lui accorder. “Ca serait vraiment sympa de votre part d’accepter que je m’occupe des réparations…”

Spoiler:

Sourcil arqué, Jem attendait qu'elle termine sa phrase et l'agresse en retour, mais la jeune femme décida de s'abstenir et peser ses mots, ce qui n'était pas plus mal. Elle venait de leur causer un accident, lui avait ruiné une soirée importante quelques mois plus tôt, il y avait tout intérêt à ce qu'elle ne se permette pas d'en plus lui faire des reproches. Certes, Jeremiah était injuste. L'accrochage n'était pas bien grave et vu le prix de l'assurance, la compagnie de voiture ne s'en accommoderait certainement pas. La jeune femme avait juste la malchance de le croiser sur les nerfs, et surtout d'avoir déjà joué avec ceux-ci au préalable. " Vous auriez pu tuer quelqu'un, pour votre urgence. " Fit-il remarquer, pour la culpabiliser mais surtout pour la voir en prendre conscience. Sans être proche de lui, Jem avait perdu un pote à l'université, renversé par une personne sobre mais au téléphone et distraite, et ça avait tendance à le rendre dingue qu'on puisse se montrer aussi insouciant derrière un volant. Au delà de sa petite leçon de morale, l'anglais avait clairement besoin de quelqu'un sur qui passer ses nerfs et elle tombait, malheureusement pour elle, à pic. " A partir du moment où vous êtes celle qui grille une priorité... " Certes, il aurait du ralentir. S'il y avait bien un truc qu'on apprenait après des années de conduites, c'était de ne pas fair confiance aux autres personnes sur la route. Jem aurait du s'assurer qu'elle lui laissait la priorité, ce qu'il aurait fait s'il n'était pas lui-même aussi distrait, mais il n'allait certainement pas s'excuser alors qu'il était dans ses droits.
Le britannique s'efforça de ne pas lui couper la parole lorsqu'elle l'informa de l'endroit ou elle bossait - ça lui était totalement égal, mais il avait un minimum de respect pour la laisser terminer sa phrase. Et l'écouter, ce qui de toute évidence elle ne faisait pas en retour. " Comme c'est surprenant " marmonna-t-il, plus pour lui-même que pour elle, lorsque la jeune femme lui confia ne pas avoir d'assurance. Devait-il laisser tomber ? Reprendre sa route et payer ces frais qui, pour lui, ne représentait rien ? Il aurait pu. Sauf qu'elle n'en tirerait clairement aucune leçon s'il la laissait s'en sortir sans aucune conséquence et que elle (et les autres) ne serai(en)t peut-être pas aussi chanceux au prochain accident. " Comme je l'ai dit, c'est une voiture de location. Je ne suis pas en droit de la faire réparer. " Clause non négociable de tout contrat de location ; on payait les réparations, mais il était hors de question de s'en charger soit-même. Ça avait du sens, ou n'importe qui pouvait s'improviser apprenti-mécanicien et ruiner le véhicule pour éviter de débourser un chèque important. " C'est illégal de rouler sans assurance. " Jem ajouta, juste parce qu'il le pouvait et n'en avait que faire de ses excuses. Si elle essayait de l'avoir par les sentiments, autant dire que la garagiste était tomber sur la mauvaise personne. " Je vais récupérer les papiers pour le constat. " Annonça-t-il, avant de retourner au véhicule et se mettre à la recherche des papiers en question dans la boite à gants. Pas vraiment la manière dont il avait imaginé sa première journée à Boston... C'était peut-être un signe qu'il devait rentrer à Londres au plus vite. Peut-être.

Si la jeune femme tentait de prendre sur elle, elle n’aimait absolument pas l’attitude que le conducteur en face d’elle arborait. D’accord, elle était en tort. Oui c’était imprudent, dangereux et rien ne justifiait son moment d’inattention mais personne n’était mort, ni même blessé et Saoirse n’était pas d’humeur à recevoir des leçons de morale. Elle l’était d’ailleurs assez rarement, n’acceptant que celle de Mila et parfois, si vraiment elle était dans de bonnes dispositions, de celles de ses frères et soeurs. Par chance, Saoirse n’en avait pas souvent besoin - du moins l’estimait-elle. Déjà passablement agacée mais disposée à faire pour que les choses se passent au mieux - parce que c’était dans son intérêt, certes mais pas uniquement, elle ne put s’empêcher d’écarquiller les yeux lorsqu’il précisa qu’elle aurait pu tuer quelqu’un. C’était, certes, vrai mais avait-il besoin de monter sur ses grands chevaux ? “Je sais.” répondit-elle un peu sèchement, et ce, plus encore avec cette manie qu’ils avaient tous en bons américains à avoir des voitures si hautes qu’un corps humain pouvait aisément passer en dessous. Mais si Jem n’avait pas non plus été en état de s’arrêter, cela signifiait également qu’il aurait pu être responsable d’un accident. Lui rappelant qu’il était aussi maître de son véhicule, Saoirse roula ostensiblement des yeux en entendant sa réponse. “Parce que du coup si un gamin avait débarqué et était passé sur vos roues, ça aurait été quoi votre justification ?” Ce n’était pas vraiment fair de sa part de lui sortir un argument pareil mais s’il se refusait à se comporter cordialement, elle n’avait aucun scrupule à se mettre à son niveau.
Comme si Saoirse se ne bouillonnait pas assez comme ça, il fallut qu’il se permette d’émettre un jugement sur le fait qu’elle n’avait pas d’assurance. Tâchant de ravaler quelques secondes de plus sa fierté, au cas où ce dernier décidait de faire preuve d’un minimum d’intelligence à un moment ou un autre, elle serra la mâchoire, insistant pour se charger directement des réparations. Ne réalisant qu’elle ouvrait la bouche qu’après qu’il soit trop tard pour la refermer, Saoirse finit par perdre patience : “Et évidemment, monsieur Parfait fait toujours tout dans les règles.”  Elle secoua la tête, abandonnant l’idée de faire tout effort. Cela ne servirait à rien et si elle pouvait prendre sur elle pour certaines choses, il ne fallait pas non plus pousser mémé dans les orties. Ses yeux roulèrent une nouvelle fois quand elle l’entendit lui parler d’illégalité - bientôt, cela serait illégal d’être pauvre de toute façon. “Ha bah merci de me le dire! Si j’avais su, j’aurai pris une voiture à pédales, comme ça avec l’argent économisé pour l’essence, j’aurai pu me payer l’assurance tiens !” Elle secoua la tête et le laissa partir vers sa voiture pour récupérer le constat. Elle se dirigea vers la sienne pour récupérer sa carte grise et si l’idée de prendre ses cliques et ses claques lui traversa l’esprit, Saoirse n’était malheureusement pas assez - du tout - je-m’en-foutiste pour cela. Elle récupéra ses papiers, envoya rapidement un email pour prévenir qu’elle avait eu un empêchement à l’agence puis ressortit pour étudier les dégâts faits à sa voiture. Lorsqu’elle entendit des bruits de pas derrière elle, elle se retourna et le toisa du regard : “J’imagine que vous voulez le remplir vous-même ?”

Jem arqua un sourcil à son " je sais " un peu sec, se retenant d'ajouter que le savoir et l'appliquer étaient deux choses différentes. Aussi énervé soit-il de cette journée, il n'avait certainement pas envie de se prendre la tête sur le bas côté de la route avec une parfaite inconnue. C'était une perte de temps, ayant déjà bien compris que cette conversation ne mènerait absolument à rien. Le jeune homme voulait simplement signer ces papiers et la faire disparaître de son champs de vision, l'assurance prendrait ensuite le relai pour la contacter. Sa mâchoire se contracta lorsque la jeune femme face à lui roula des yeux à s'en décrocher la rétine, geste qui avait tendance à l'énerver au plus haut point. " J'étais attentif aux piétons. " Inexistants, soit dit en passant. C'était faux, Jem avait réellement manque d'attention pendant quelques secondes, mais il s'osait à espérer qu'il aurait vu un gamin débouler en courant lorsqu'il n'avait pas fait attention aux priorités. Qui n'était pas les mêmes qu'à la maison, ce qui était toujours perturbant quand le britannique prenait le volant dans un autre pays.
Jem eut un rire nerveux à son 'monsieur parfait', étant loin de l'être. Ça n'empêchait pas son petit côté moralisateur de faire surface, surtout lorsqu'il savait avoir raison. " Ça va vous surprendre, mais j'essaye, oui. Les lois ne sont pas là pour décorer. " Et si peu de monde semblait s'en accommoder dans son entourage, Jeremiah était quelqu'un de droit qui tentait, pour sa part, de rester dans la légalité. Il avait bien sûr eut quelques écarts - à commencer par l'alcool avant 21 ans et quelques joints - mais rien qui ne pouvait le faire passer derrière les barreaux. Si l'anglais était enclin à se calmer, signer ses papiers et arrêter là, le ton qu'elle employait et l'ironie dans sa voix suffit à ce que son sang ne fasse qu'un tour et le force à répliquer. C'était le problème pour Jem ; il ne savait pas quand s'arrêter et souhaitait avoir le dernier mot. Peut-être pas dans le milieu pro, où le jeune homme pesait ses mots, mais face à une jeune femme insignifiante, qui le provoquait en étant pourtant en tord ? Définitivement. " Vous êtes un danger public, rouler à vélo n'est peut-être pas une si mauvaise idée, en effet. " Jem commenta, avant de tourner les talons et se rendre au véhicule sans même penser à vérifier qu'elle ne prenait la poudre d'escampette. Au final, elle aurait peut-être dû... Histoire de ne lui laisser d'autre choix que d'abandonner et rentrer au Copley. En guise de réponse, il tendit simplement la main pour récupérer ses papiers et s'assurer qu'elle n'allait pas lui fournir une fausse identité. " Vous imaginez bien. " Une petite pointe de culpabilité naquit pendant qu'il complétait les papiers, ayant bien compris que cette situation risquait de la mettre dans la merde financièrement, ce qui était loin d'être le cas de Jem... Mais il aurait fallut y penser avant de lui répondre comme elle avait pu le faire. Une fois le tout rempli, Jem lui tendit les papiers afin qu'elle puisse vérifier ses dires et y apposer sa signature. " Je vais prendre les photos des dégâts et on pourra tout deux reprendre notre route. "

Si Saoirse n’avait jamais été quelqu’un de particulièrement patient, il fallait bien avouer que les situations de stress et les moralisateurs n’aidaient en rien. Assez rapidement, elle m'agaçait, comme si plusieurs personnes à la fois s’amusaient à taper du bout des doigts sur ses épaules pour avoir son attention - alors même qu’elle répondait. Arquant un sourcil en l’entendant dire qu’il était attentif aux piétons et se retint de justesse de souligner que lui aussi, apparemment avait l’attention sélective. Cependant, elle savait pertinemment que l’arrogance dont elle aurait fait preuve en le soulignant aurait été contreproductive - cela aurait plutôt agacé l’énergumène plutôt que de le calmer et si avoir raison était quelque chose de toujours appréciable, cela n’en valait vraiment pas la chandelle. Saoirse souhaitait avant tout mettre un terme au plus vite à cette entrevue, pas gagné une rixe verbale contre un être bien trop imbu de lui-même pour entendre raison. “Bien sûr, oui.” répondit-elle tout de même, sans cacher qu’elle ne croyait nullement ses dires.
Un rire jaune émana des lèvres de la jeune femme lorsqu’il précisa que les lois n’étaient pas là pour décorer. Respectueuse de ces dernières - avec une exception de quelques mois à l’âge de seize/dix-sept ans jusqu’à ce qu’elle se fasse prendre la main dans le sac par Mila (et non la police, coup de chance), elle n’en était pas pour autant convaincue qu’elles avaient toutes leur utilité. Du moins, elle était convaincue que certaines servaient surtout à justifier les actions du gouvernement et/ou à enrichir des gens déjà tellement riches qu’ils ne pourraient jamais dépenser tout leur argent, même s’ils essayaient. C’était de bonne guerre : ils avaient le pouvoir, voulaient le garder et la plupart des citoyens américains tâchait de respecter ces règles… Saoirse la première, sauf quand les respecter signifiait ne pas être en mesure de remplir les placards en fin de mois. Enfin… là dessus, elle exagérait puisque ses frères et soeurs se démerderaient toujours pour que ce ne soit pas le cas mais le but était tout de même de ne pas dépenser de l’argent dans des choses inutiles… “Vous voulez vraiment débattre sur la raison pour laquelle on a ce genre de lois ?” souffla-t-elle, agacée. “Un danger public ? Non mais la seule chose que j’ai tué, c’est votre chemise la dernière fois. Faut se détendre, Monsieur parfait !” s’énerva-t-elle, cette fois avant de se diriger vers sa voiture en marmonnant.
Elle le laissa ensuite réaliser le constat après lui avoir communiqué ses papiers et lui indiqua deux ou trois commentaires qu’il avait intérêt à noter. Cela pouvait donner l’impression qu’elle était en train de l’aider à parfaite son dossier contre elle mais Saoirse préférait surtout éviter que d’autres dommages lui soient imputés - mieux valait être exhaustifs. Elle apposa sa signature sur le constat après l’avoir revu, un mal de ventre lui nouant l’estomac à la seule idée du coût des réparations et lui fit signe de faire lorsqu’il parla de prendre des photos. “Avant de reprendre la route, je vérifierai que mon véhicule ne perd aucun liquide et que le moteur ne fait pas de bruit étrange, à votre place. Mais qu’est-ce que j’en sais, après tout de si vous pouvez rouler avec votre caisse, hein ?” dit-elle en prenant quelques photos. Il faudrait qu’elle voit avec Jerry s’il y avait moyen de contacter l’assurance pour que son garage soit au moins celui qui ferait les réparations. Cela permettrait un minimum d’en limiter le coût…

Jem avait-il sincèrement envie de débattre sur le fait qu'il était, pour sa part, attentif, tout en sachant que ce n'était pas le cas ? Non. Le fait est que sur le papier, c'était la jeune femme qui serait en tord et que lui n'avait rien à se reprocher, n'ayant pas enfreint le code de la route. C'est tout ce qui comptait et Jem se le répéta lorsqu'elle sous-entendit qu'il mentait, afin de se garder de tout autre commentaire. L'anglais avait définitivement trouvé pire que lui niveau entêtement et n'avait pas l'énergie à se disputer plus que de raison, et de manière tout-à-fait puérile, avec la pseudo-mécanicienne.
Jeremiah n'avait même pas inspecté en détail les dégâts - à peine visibles sur son véhicule mais qui couteraient néanmoins une petite fortune à la compagnie d'assurance pour la remettre à neuf. Le jeune homme avait sauté sur l'occasion d'évacuer sa frustration sur quelqu'un et elle tombait à pic. Nul besoin de dire que leur rencontre précédente n'avait que donner une raison de plus au directeur marketing pour se montrer exécrable, que ce soit justifié ou non. Il secoua la tête incrédule à sa remarque, alors que c'était tout le contraire ; Jem n'avait aucune envie de débattre avec elle, juste de lui rappeler que s'il y avait des règles, c'était pour éviter l'anarchie - tant sur les routes que dans la vie de tous les jours.  " Ah parce que le code de la route porte à débat ? Pas étonnant que vous soyez incapable de le respecter si c'est à libre interprétation dans votre monde. " Et il parlait de sa petite personne et non d'une catégorie de personnes, quand bien même le britannique avait tendance à insulter la conduite des américains. " Vous n'en avez pas marre avec votre " monsieur parfait " ? Je ne suis pas là pour me prendre votre manque de cruel de confiance en vous au visage. " Parce qu'elle devait avoir une bien pauvre estime d'elle pour le mettre à deux reprises sur un pied d'estale, aussi ironique soit-il, sous prétexte qu'il avait raison et que rien qu'elle puisse dire change ce fait. Dieu qu'elle pouvait l'agacer avec ce surnom... A croire qu'elle cherchait sincèrement quelqu'un avec qui se prendre la tête. " Les accidents ont des conséquences, ce serait peut-être bien de les assumer plutôt que de vous dédouaner avec un " faut vous détendre". " Est-ce qu'il dramatisait sur le résultat de ces accidents ? Totalement. Il n'empêche qu'il représentait Williams lors de ce discours et qu'elle ne pouvait pas se contenter d'estimer que ce n'était pas grave, sans savoir s'il avait ou non perdu à contrat par sa faute.
Jem fut rassuré qu'elle décide de n'émettre aucun nouveau commentaire pendant qu'il remplissait le constat et lui tendit une fois rempli, pouffant à son commentaire. Elle avait bien de la chance d'être une femme, sans quoi il l'aurait probablement déjà encastrée. " Vous ne savez pas quand il est temps de la fermer, ma parole! " Fini le respect, elle avait bien assez joué avec ses nerfs, même si la remarque était lancée dans un sourire. Il craquait après cette journée éprouvante et bouillonnais intérieurement. Jem avait tenté de se montrer aussi diplomate que possible face à son attitude puérile et désinvolte, prendre ces photos étant simplement la suite logique pour remplir ce constat jusqu'au bout. " La pare-choc a à peine une griffe, merci. " Le ton était sec mais son sourire s'élargit, ravi d'appuyer sur le fait qu'une simple égratinure dans sa couleur allait couter à la jeune femme un sacré pactole. Jem n'était pas du genre à descendre les autres basés sur leur compte en banque (quoi que), mais entre la fatigue et l'énervement, ses pires côtés ressortaient. Sans aucune délicatesse, il récupéra les documents où il vérifia juste que sa signature correspondait au document d'identité que Saoirse lui avait donné quelques minutes plus tôt, avant de lui la tendre. " Bonne fin de journée. " Tâchez de garder les yeux ouverts au volant, pensa-t-il fort tout en parvenant à la fermer afin de ne pas remettre d'huile sur le feu.