JASPEANDRA

Et, les pas, je les fais. Petits et saccadés, mais je les fais, de la pointe de mon stylo. Je te libère, avec la certitude de te maintenir encore, de mes doigts contre ton poignet. J’ai cette certitude basée sur notre passé. Sur ces moments de colère effacés par les rires, sur ces moments de haine, qu’on balayait de nos trop pleins d’amour. Puisqu’on était toutes les roses, tous les rôles. On l’est encore. On arbore juste des pétales plus sombres. "Essaie." Et, si ton projet n’avait pas sonné comme un accomplissement, je l’aurais détruit de la base avec plaisir. Pierre par pierre, pour le voir s’effondrer à mes pieds. Pour nous voir le reconstruire ; plus solide. Nos alliances créent de plus beaux projets. Il aurait été le plus puissant, fait de chair et d’os. Mais, enfermé dans mes certitudes, tu frappes plus fort. J’ai confiance en nos cordes, en notre équilibre. Pourquoi j’te vois chuter sans moi, alors ? Pourquoi je chute à mon tour, et qu’on est plus foutu de s’attraper les doigts ? "Non, j'avais besoin de toi. Plus maintenant. C'est fou comme on s'habitue au vide, quand l'autre disparaît." Parce que ça. Parce que tu le penses, désormais. Et que moi, les mains vides, j’ai pas la même histoire à raconter. Livre écrit à deux mains, les lignes qui se chevauchent et se confrontent. On est pas d’accord, les syllabes se castagnent. Les prunelles se confrontent, dans un duel des plus sombres. Les cœurs raisonnent, se tordent. Le mien, en tout cas ; puisque je ne peux plus parler au nom du tien. Lui non plus, ne m’écoute plus. « J’étais là. Mais y aurait-il encore fallu que tu me regardes. » Ton regard qui va ailleurs, qui se centre sur toi ou sur lui. Je fais partie d’une période que tu oublies, d’un homme que tu effaces. Qu’importe l’histoire qu’on racontera, à la fin, on est l’un sans l’autre. "Ce sera nettoyé, comme si jamais rien n'y avait été. On viendra te rendre les clefs dans une semaine." La tête oscille. En haut, en bas, sur le côté, on ne sait plus. Ces locaux, c’était le début, pas la fin. C’était toi, dans mon château. Toi qui claques la porte, et qui dit que c’est moi qui m’en vais. Le poignet qui pique, la cicatrice qui tiraille. Je serais de ces méchants de film, qui regrettent de ne pas avoir creusé plus profond dans la chair. « J’en veux pas. Donne-les à quelqu’un qui veut monter sa société, à n’importe qui. Au premier mec que tu croiseras. » Et c’est moi qui fuis désormais que tu as armé ton regard de haine. Les deux contrats qui pourrissent sur le bureau, l’un que j’demanderais à enterrer sous une pile poussiéreuse d’archives. Une plaque que je ferais enlever. Tu vois, j’aurai pas dû revenir. Pas dû lutter, digérer, accepter, j’aurai dû rester dans ma colère sourde. Elle est plus confortable que l’état pitoyable du corps. Des pas qui se barrent, pour ne pas s’effondrer encore. « J’ai une soirée, j’dois y aller. » Et je devrais être présentable pour celle qui va devoir réparer, encore, et que j’vais perdre à force de lui présenter un cœur troué. Alors réajuste le costume, serre la mâchoire, et quitte le jeu. A quoi bon jouer, quand on est le fou et plus le roi.