Je sais pas où j'en suis, je sais pas qui on est, je sais pas pourquoi on est arrivé jusque là. C'est fou comme les gens peuvent passer d'amis à étrangers en un claquement de doigt. Un jour on est proche et le lendemain, on ne l'est plus. Fou, comme les choses ? Tes couleurs s'imposaient et maintenant elles disparaissent. Alors mettons les choses au plat. Discutons en. Qui on est, Horace ? Qu'est-ce qu'on est devenus ? Qu'est-ce que ça fait de nous ? Pas envie de rester dans le flou. Là, avec mon bubble tea, je te regarde ; On parle 5 minutes sérieux et après on en parle plus, deal ? on met un coup d'adulte et après on redeviens des enfants, si c'est encore possible ?

Revenir et tenter de tout remettre dans l’ordre. Pas comme avant, puisque toutes les routes se croisaient, se chevauchaient, finissaient par m’écraser. J’ai besoin d’espace et de renouveau. De réparer ce que, dans mes gestes désordonnés, j’ai brisé par maladresse. Les kilomètres et le temps ont fait leur part du taff, à moi de faire le reste. La paille pincée entre les lèvres et le regard relevé vers toi. J’avale une bille de mangue à moitié de travers, c’qui me fait grimacer quand le mot “sérieux” s’amorce. Même pas fait exprès. T’es cette flamme que j’sais pas gérer, qui me crame quand je voulais juste lui faire un câlin. “Tu commences.” Justifie, la tête entre les épaules : “C’est ton idée.” Et tu sais que si on est des gosses, j’ai probablement un ou deux ans de moins que toi.

J'ai toujours eu ce feu, je le calmais seulement pour toi. Je sais pas, je crois que ça a été pire quand on a failli. Quand c'était presque. On était amis, presque plus. On s'entendait bien, presque trop. On s'aimait bien, presque plus. Les presque me font peur, te perdre me fait peur, te garder aussi. Je fuis quand l'engagement se montre, je fuis quand on s'attache, quand on m'aime, alors je pars avant que ce soit l'autre qui parte. Sauf toi. Toi tu décides de changer les règles et tu pars, tu m'abandonnes, puis tu reviens, comme si de rien. Tu n'engage rien et ça me rassure, mais tu t'en va et ça, je déteste. Alors je brûle, et pas dans le bon sens. “Tu commences. C’est ton idée.” ouais, parce que t'es pas foutu d'en avoir une seule pour qu'on aille mieux. Ok j'aspire du liquide et un peu de billes ; Je crois que je comprends pas ce que tu veux. vraiment. Un jour on rigole et on est amis, le lendemain on est trop proches, et le lendemain d'après ça tu t'en vas. hausse les épaules ; et Dieu sait que j'aime vivre dans le flou, dans les non dits, mais là j'sais même pas si tu m'apprécies toujours ? Je sais même pas si tu me vois encore comme une amie ? J'ai jamais rien demandé d'plus que ça. et même si j'avais osé, ça aurait mal terminé. Parce que tu ne sais pas t'attacher, parce que je fuis.

J’comprends pas ce truc de s’faire peur avec les conneries du corps ; le coeur qui s’accélère, ou les lèvres qui s’électrisent. J’comprends pas pourquoi faut s’écouter à ce point. Pourquoi on peut pas juste prendre le moment présent et le kiffer pour ce qu’il est. Sans réfléchir à l’après, ni même à l’avant. Les pierres, j’les laisse les unes à côté des autres, j’en fais pas une montagne. J’aurai trop peur que ça m’retombe sur la gueule. Ce qui nous est arrivé. J’avais pas vraiment fait gaffe, car j’nous faisais confiance. On était ce train constant, facile, t’étais tout ce qui allait dans ma vie. Quand je marchais sur des oeufs avec Elles ; avec toi, j’calculais rien. Tu m’as hurlé que je m’étais planté. Je voulais pas faire d’erreur avec toi. Avec aucune, mais, toi, t’étais l’alliée qui me montrait que tout pouvait être simple. Haha, regarde-nous désormais. “On est amis.” La tête secouée. “Enfin je crois, j’ai l’impression qu’on est passé par une période où tu pouvais juste plus voir ma gueule ou m’entendre parler, où.. j’sais pas, tu me prenais pour un sombre connard.” J’te désigne de ma paille, laissant quelques gouttes sur la table. “J’crois que tu m’as comparé aux plus crétins des types que t’as pu croiser.” Et, ça, ouais, ça m’a fait mal. J’me redresse un peu. “Je suis pas un connard.” Gravez ça sur ma stèle. “On était pas trop proches, on a failli s’embrasser, coucher ensemble j’en sais rien. Mais c’était pas grave.” J’en avais envie, et j’renie pas mes désirs. “J’ai eu l’impression qu’après j’te mettais mal à l’aise, et c’est le pire truc.” J'refuse que mes bras ne soient pas un espace safe.

Je sais pas ce qu'il s'est passé, ni de ton côté, ni du mien. J'avais besoin d'être plus écouté et toi tu voulais pas entendre. T'avais besoin de soutient et je voulais rien soutenir. On a été dans deux mondes parallèles, pendant un instant. Long instant qui nous a réduit à néant. “On est amis. Enfin je crois, j’ai l’impression qu’on est passé par une période où tu pouvais juste plus voir ma gueule ou m’entendre parler, où.. j’sais pas, tu me prenais pour un sombre connard.” Je t'ai détesté, c'est vrai. Tu l'a un peu mérité, non ? “J’crois que tu m’as comparé aux plus crétins des types que t’as pu croiser.” Bien sûr, et où tu voyais des insultes, c'était peut-être seulement qu'un cri d'appel à l'aide. “Je suis pas un connard.” Je te répondrais que ça dépend des versions, t'es forcément, ou sera forcément le connard de quelqu'un. “On était pas trop proches, on a failli s’embrasser, coucher ensemble j’en sais rien. Mais c’était pas grave.” hausse les sourcils, c'était pas grave ? Bien sûr que ça l'était. “J’ai eu l’impression qu’après j’te mettais mal à l’aise, et c’est le pire truc.” je me pince les lèvres, hausse les épaules d'un je sais pas. Je sais, je sais très bien. Alors, je prends une gorgée, et avoue bien que tardivement ; Quand on a failli s'embrasser, j'ai ressenti un truc. et je voulais ressentir ce truc, j'ai toujours voulu le ressentir, mais j'aurais jamais cru que je l'aurais senti avec toi. Et c'était exactement le même ressenti que j'avais eu pour Aidan. et je sais que c'est quelque chose que je ne veux plus ressentir. C'est dangereux, ça. Je le sais, je l'ai vécu. Et tu sais comment je suis, comment je réagis quand je.. m'attache un peu trop. je quitte le navire. Dès lors que je comprends que je m'attache, je pars. Je quitte avant d'être quitté. J'abandonne avant d'être abandonnée. Et j'voulais pas ça avec toi, parce qu'on s'connait, que je te connais, donc j'ai juste tout repoussé, et ça a marché, j'crois. au moins, je suis bonne à ça.

C’est pas grave, Sofia. Dans l’monde, y a tout un tas de trucs graves. Suffit de prendre une chaine, de mettre n’importe laquelle, au piff, et de voir combien tout est gris dehors. Moi, j’refuse d’être gris. J’refuse qu’il y ait quoique ce soit de grave, dans ma vie. Y a rien qui m’empêchera de danser. Me dit pas qu’on s’est gâché de quiproquos, d’une mésentente à la con pour un instant. Ce genre d’instant où tu peux basculer, d’une bouche croisée. C’est beaucoup trop doux, un baiser, pour qu’il soit tenu comme responsable de la fin d’une relation. Quand on a failli s'embrasser, j'ai ressenti un truc. J’veux ouvrir ma gueule, te souffler que c’est juste du désir, et que dans mon monde c’est normal, et ça prouve qu’on est pas encore trop foutu. Et c'était exactement le même ressenti que j'avais eu pour Aidan. La bouche ouverte se referme aussitôt. Aidan, j’dois prendre ça comme une insulte, non ? J’le prend comme ça, ça m’fane la mine. Et tu sais comment je suis, comment je réagis quand je.. m'attache un peu trop. J’avais pas compris, mais toi, le suspens, tu connais pas. C’est le bordel sur mes traits, qui changent d’émotions à chaque réplique. “C’est ça que t’as ressenti ?” Comme si j’avais du mal à capter. J’suis désolé maintenant, désolé d’avoir rien vu et d’avoir été si emporté. “J’pensais que tu pouvais juste plus me saquer.” J’ai l’air con, quand je le dis. “Je suis désolé, j’ai pas cherché.” Mais, tu le dis, tu me connais. Il me manque des kilos de maturité. J’efface quelques gouttes sur mon verre. “Tu dis que ça a marché parce qu’on.. s’est éloigné, ou parce que si j’t’embrasse maintenant tu ressens plus rien ?” J’me pose pas la question de ce que moi, j’ai pu ressentir. Ca a jamais été le sujet. Mes sentiments, c’est pas un sujet.

Horace, faut le dire, c'est vraiment un prénom à la con. J'aurais jamais pu le présenter à mes parents. Horace. En plus ce débile porte bien son nom, il pense jamais aux conséquences, il consume sa bougie et advienne que pourra. C'est un peu son truc, ça, à Horace. Il se moque de demain et moi aussi j'aimerais être un peu mieux comme lui. C'est fun, probablement, quand t'as plus rien à perdre. “C’est ça que t’as ressenti ?” Et moi je compare qu'à ce que je connais, ceux que je connais. Je te l'accorde, c'est pas glorieux, mais t'as le même comportement qu'eux. Alors comment on fait, Horace ? “J’pensais que tu pouvais juste plus me saquer.” C'était un peu l'idée, aussi. J'ai fais exprès. Faut croire que je pourrais faire carrière en grande actrice. Je sais déjà faire les caprices. Apparemment, j'en ai le talent. Manque plus que l'agent. “Je suis désolé, j’ai pas cherché.” J'hausse les épaules; Horace, tu portes bien ton nom. Ou mal, ça dépend comment tu vois la chose. “Tu dis que ça a marché parce qu’on.. s’est éloigné, ou parce que si j’t’embrasse maintenant tu ressens plus rien ?” Regarde le verre, lève les yeux vers l'homme ; "J'sais pas, un peu des deux." Mais des deux, y en a qu'un seul qui soit vraiment vérifiable. L'autre, je sais pas si je tente pas. "On s'est éloigné, ouais. Donc ça a marché. L'reste..." hausse les épaules, d'une petite moue. Répète ; "Le reste..." et regarde l'homme. Considère la chose. Faut le vérifier, Sofia, pour savoir si ça a fonctionné. Les yeux dans ceux de l'homme, le visage s'avance. Légèrement. Pas assez pour que ce soit gênant s'il continue la conversation comme si de rien mais assez pour que, s'il s'avance, alors le feu sera vert des deux côtés pour vérifier la supposition. J'ai déjà dis qu'Horace c'était vraiment un prénom à la con ?

J’veux juste danser sous la pluie, n’avoir comme seule préoccupation de savoir comment faire sécher mes fringues avant la prochaine valse. Tu te prends trop la tête, Sofia. Ou moi pas suffisamment. On est sur deux planètes, et on s’amuse à voir ce que ça donne quand on les rapproche. Quand tu viens squatter la mienne, par exemple, que t’essayes d’en prendre la légèreté. J’aurais dû te prévenir que nos anneaux s’entremêlaient, que ça faisait rougir la tienne, de planète. Trop pressé, trop empressé, j’ai dû rater le moment où fallait freiner, et les sphères confrontées, on s’est retrouvé chacun dans un coin du billard. On apprend la douceur, depuis. Enfin, on gueule, on s’fait la gueule, puis on s’la regarde, notre gueule. J’aimais ce qu’on était, à poil l’un à côté de l’autre, à se vanner sur la voisine d’à côté. A se battre pour une télécommande ou pour la dernière part de pizza. Comment le reste peut-il rivaliser avec nos rires ? Le reste ça gâche la naïveté, ça nous fait devenir adultes. Ca nous fait réfléchir aux conséquences de nos actes. C’est beau dans un prêche ; dans la vraie vie, ça fait juste chier. L’expérience plutôt que la théorie. On disait, donc ?  "Le reste..." Le reste, oui, et ton mouvement à peine visible. Les détails, tu sais que j’y fais gaffe. A une nuque qui se penche, se dévoile, à une lèvre qui se mord, à ce signe, subtile, que la planète est suffisamment proche à nouveau. Toi, tu t’avances juste. Et j’ai pas vraiment besoin de plus. “Le reste..” Copie le ton, copie l’attitude, copie l’adroit rapprochement. Pas davantage. A ma dernière tentative d’audace, je t’ai perdu plusieurs mois. Laisse moi juste accrocher mon vert à ton sombre. C’est pas moi qui doit rien ressentir, hein ? Je ne suis que le cobaye consentant. “C’est pour la science.” Soufflé, un fin rictus à la bouche. Je ne sais plus quoi te souhaiter, empathique mais pas suffisamment pour espérer que mes lèvres te semblent froides.

Quand toi tu danses sous la pluie, moi j'me demande comment faire pour pas attraper une pneumonie. Danser sous la pluie, j'adore ça, détrompe toi. Ce que j'aime pas, c'est le partage, c'est errer dans le flou, c'est avancer dans une direction sans être certaine que tu restera avec moi jusqu'à la prochaine ville. Tu vois, moi, ce qui m'inquiète, c'est que tu prennes les clefs et que tu t'en aille. Toi, la voiture, les confiseries dedans et tous mes vêtements. Que tu prennes tout ce qui m'appartient, tout mon intérieur, et que tu me laisse là, au bord de la route. Que tu choisisse quelqu'un d'autre, côté passager. Je sais ce que c'est, ça m'est déjà arrivé. Je crois que je suis juste fatiguée d'être mise de côté. Ce que tu interprète comme étant de l'inquiétude n'est en fait que de la peur. J'ai trop vécu l'abandon, pour le revivre. Alors c'est moi qui prends les clefs, c'est moi qui conduit, c'est moi qui dit qui reste et qui sort. C'est moi, qui laisse les gens sur le côté. Je choisi. Sauf quand je ressens. Tu la sens venir, la blague ? “Le reste..” Et t'es malin Horace, tu sais y faire. Une partie de moi n'a pas envie de savoir, mais j'ai envie. “C’est pour la science.” Hoche la tête, valide d'un ; "Pour la science." comme si nous n'étions qu'une expérience. A quel moment, tu penses, la corde va craquer ? A partir de quand, somnambules que nous étions, nus dans le salon, à rire passé trois heures du matin, se transformerons ? Funambules aux heures perdues, à rester en équilibre entre nos deux mondes. Le tien de l'insouciance, le mien de l'insomnie. Je t'envie, toi et la légèreté face à la vie. Alors j'avance, un léger sourire en coin, ma main qui se cale tendrement dans ta nuque, qui apporte ton visage au mien. L'échange est à la fois affreusement court et très rapide. Je l'explique pas, mais quand j'avance, ça s'emballe. Je poursuis quand même, pour la science, on a dit. Les lèvres se frôlent, jouent lentement, avant de s'attraper. Je sais qu'on est différent, l'expérience, la science, ne vaut que pour moi, dans ce cas.

Pour la science, on donnera une partie de nos corps.  Cette partie qui compte pour tellement de personnes. C’est con, parce que ça contient rien d’autre que du sang et de la chair ; on l’accuse de tous nos maux juste parce qu’il bat. Qu’il s’emballe, parfois. Le problème, c’est que le mien a tendance à jouer sa propre musique. Pour un morceau d'adrénaline, pour une soirée mouvementée, pour une envie passagère, pour un rapprochement sincère. Il est si peu régulier que je ne sais pas m’y fier. Je sais qu’il bat, je sais que j’suis toujours debout, que j’vis chaque parcelle de quotidien, aussi intensément que j’le peux. Moins désormais que j’essaye une existence plus rangée, avec un vrai boulot. Mais il est un mauvais radar, ça j’peux te l’assurer. Un rien m’anime, et mes accroches, même multipliées, sont toujours honnêtes. J’ai jamais compris pourquoi on devait forcément monter dans une voiture deux places. Pourquoi on devait se promettre la destination finale, alors qu’on ne connaît pas demain. T’as beaucoup trop de couleurs à arborer pour te laisser grignoter le ventre par la peur. Comme je peux être le support et le bourreau ? J’propose, je souffle un peu sur quelques braises qui se désespéraient, ainsi abandonnées depuis nos dernières vacances. Le diablotin sur l’épaule s’amuse, et j’le vois. Qu’est-ce que j’y peux, si j’arrive jamais à le faire taire ? Sa fourche me chatouille si délicieusement le cou que j’en déchire un sourire, à ton  : "Pour la science." Comme si j’avais déjà un jour capté quelque chose à cette matière. Les expériences, je ne les fais qu’avec ma peau ; je la laisse juge. Je sais qu’elle se délecte de tes doigts sur ma nuque, je sais qu’elle espère une prise douce et franche, je sais aussi qu’elle ressent la brûlure, là sur mes lèvres. Elle peut déjà te donner la conclusion de notre expérience à la con. Mais, nous sommes des scientifiques d’un bout de jour, n’est-ce pas ? Il faut confirmer. Mes doigts disparus dans tes cheveux, s’amarrent avec délicatesse à ta nuque à leur tour, le baiser léger, d’une candeur qui s’efface, à peine je m’installe sur ta bouche. Mais. Mais, je coupe l’expérience, je coupe le courant qui -tu pourras me le tourner comme tu veux-, circulait sacrément bien à mon avis. Remercie l’angelot sur l’autre épaule, qui m’tirait les bouclettes. Paupières retrouvent la lumière, et toi. A peine reculé. Un sourire dont j’ai le secret. “Alors ?” Plus reculé, alors, le dos retrouvant un appui. L’angelot, toussa. “Comme si t’embrassais ton cousin, non ?” Tu sais mentir, Sofia ?