Passons au vif du sujet, inutile de discuter sur la manière dont j’ai été élevé, vous vous doutez bien que j’ai eu une éducation stricte avec un réel amour paternel. Maternelle, ce n’est pas évident quand on laisse une famille quand le petit dernier pointe le bout de son nez. Mais là, ce n’est pas le plus important, non, il vaut mieux directement traversé le temps, briser la boucle temporelle.
Le lycée, période de rejet, période où je n’ai jamais eu envie de vivre, on me crachait dessus, on m’insultait, rien n’avait moins d’importance qu’être un gosse de riche. Privilège, privilège, où était le privilège ? Des coups, j’en ai reçu, des avertissements aussi, j’étais toujours celui qui cherchait l'ennui, toujours celui qui était fautif. Privilège, donc ?
Harcèlement, solitude, tentative de suicide, je suis passé par toutes les étapes infernales pour un pauvre petit lycéen. Je n’avais aucun répit, sois intelligent, sois bon, sois poli, ne cherche pas les ennuis, River, tu sais à quel point les enfants peuvent être méchants, ne te rabaisse jamais à haïr pour que l’on te respecte. Oui, papa, je t’écoute mais je saigne pendant les pauses, on me bouscule, on arrache mes affaires. Je suis en train de crever, ne le vois-tu pas ?
Je sais, ça ne vous réjouit pas, je sais que c’est un peu pitoyable. Mais eh, tu me suis toujours ? Ne lâche pas maintenant, toi qui lis mon histoire, ça va être palpitant. Comme tu dois t’en douter, après une tentative de suicide plutôt ratée, j’étais animé par un esprit de vengeance, c’est pourquoi, plutôt malin, j’ai intégré l’équipe de football l’année suivante. Porter cette veste sur votre dos, vous savez l’effet que ça a sur votre réputation, sur les étudiants qui vous entourent ? Un vrai pouvoir dès que vous enfilez les manches sur votre peau, une réelle emprise sur les autres quand ils s’écartent pour vous voir traverser les couloirs. Le pire, c’est que vos bourreaux deviennent vos meilleurs amis, ceux qui te crachent dessus viennent t’embrasser. Je n’ai jamais eu une telle jouissance qu’en étant l’un des gars les plus populaires du lycée de Liverpool. Je sais, tu te dis très certainement que je suis superficiel, toi qui lit cette histoire, mais sais-tu comme il est bon de ne plus être torturé, de ne plus être arraché à sa vie ?
Un an ainsi, populaire, apprécié des filles, victorieux des matchs, à deux doigts d’avoir la bourse pour l’université. Brillant, sportif, aimé, j’étais comme un dieu. Dernière année, nous sommes fous, on a dix-sept ans, bientôt dix-huit ans, c’est bon de découvrir les plaisirs de la vie qui sont interdits. La drogue coule dans nos veines pendant nos soirées un peu trop arrosées pour des gamins. Nous sommes inconscients, incapables d’avoir la mémoire éveillée. Mais nos yeux s’arrondissent, qu’est-ce qu’on a fait ?
Ah tu vois, c’est palpitant, pas vrai ?
C’est sûr, on était des garçons en sursis. On l’a tué, comment, qui ? Il est là, inconscient, il baigne dans une marre d’un rouge écarlate. On a tous les mains de cette couleur, tous incapables de faire le moindre pas. Non, on regarde le corps inanimé de notre ami, coincés en enfer. Quatre gars, dont un décédé, sont encore présents, mais rien n’a de sens. On maquille, on fait comme on peut, nos têtes claquent, ça fait mal, on crie, on pleure, on est des gamins brisés. Pourquoi nous ? Pourquoi cette soirée ? Mais qu’est-ce qu’on fait ? C’est un suicide, oui, c’en est un, on était juste trop cons, trop jeunes, la soirée s’est mal finie, mais on y est pour rien, pas vrai ?
Nous sommes innocents, il clame pour moi : mon fils est innocent, on ne retrouve ses empreintes nul part, on a tout nettoyé papa, il est innocent, regardez son visage, peut-il vraiment retirer la vie à quelqu’un ? Papa, par vengeance, qu’est-ce que j’ai bien pu faire ?
Bam bam bam, le marteau de la justice s’écrase, nous sommes innocents, nous évitons de vivre croupis derrière les barreaux, mais qu’est-ce qu’il s’est passé ? Pourquoi tu es mort ? Comment ? Par quelles mains as-tu quitté ce monde ? Nous sommes trois gamins brisés, on sait que les enfers nous attendent, le bout du chemin n’a aucun espoir. Les lumières s’éteignent une à une, l’affaire est classée comme suicide, mais après ? On étaient jeunes, mais on n’a aucun souvenir.
Je ne peux plus faire ça seul, le monde s’abat sur moi, la foule m’étrangle, et chaque soir je me réveille en sursaut. Des années que son visage hante mes nuits, des années que j’ai terminé d’être le garçon populaire, je suis redevenu banal avec un lourd secret sur les épaules. Qui ? Comment ? Pourquoi ? Je n’aurai jamais ces réponses, clamé innocent aux yeux de tous, innocent aux yeux de tous, coupable à mes yeux.