Vendredi soir. Alors que tous les étudiants se préparaient à faire la fête toute la nuit, Cleo avait revêtu sa tenue règlementaire noire avec une simple chemise blanche. Tenue sobre mais qui restait tout de même assez élégante, à l’image du travail qu’elle effectuait. Ici, c’était les spectateurs qui étaient mis en avant et qui brillaient, jamais le personnel. Cleo avait ordre de rester à sa place, comme tous les autres, et de servir comme il se doit chaque client, et encore plus les habitués des lieux.

Ce vendredi soir était joué un opéra. Ces oeuvres rameutaient tout Boston et même plus loin encore. Le gratin de la ville, les hauts dignitaires étaient forcément présents mais aussi tous les amateurs d’opéra et de chant lyrique, et bien entendu les habitués du lieu. Cleo commençait à connaître les rouages, après quatre ans passés ici, et savait quelle oeuvre allait “plaire”, laquelle attirait le plus, que ce soit pour la culture ou bien pavaner devant les autres. Certains visages lui étaient presque devenus familiers mais aucun écart, constaté tout du moins, n’était permis ici.

Ce soir serait joué Peer Gynt d’Edvard Grieg. L’équipe était au grand complet, la salle était comble, aucun siège ne serait libre. Cleo venait d’être assigné au placement sur le troisième balcon, places les moins appréciées - les moins chères aussi -, prisées par les étudiants et les clubs de théâtres, de musique ainsi que les écoles. C’était aussi en général le balcon le plus calme, toujours apprécié par les ouvreurs, puisqu’ils étaient assez peu sollicités par les spectateurs, qui appréciaient généralement les oeuvres à leur juste valeur, qui ne venaient pas pour l’artifice. Beaucoup d’étudiants venaient quand même régulièrement et Cleo, souvent assignée à ce balcon commençait à en reconnaître certains.

La salle ouvrit enfin ses portes, Cleo attendait positionnée à sa porte, prête à installer chaque personne. Un bourdonnement ambiant envahit la salle, les bruits de pas étaient étouffés par la moquette noire et les premiers spectateurs prirent rapidement place, afin de consulter plus en détail le programme. Cleo offrait un sourire un peu plus larges aux quelques étudiants qu’elle avait déjà vu auparavant, mais se devait de rester le plus professionnel possible.

C'était vendredi. Le grand jour était enfin arrivé. Dès la fin des cours à 15h, Hazel se précipita chez elle. C'est qu'il ne fallait pas se mettre en retard.

A peine arrivée dans son petit appartement de South Bay, elle alla prendre une douche, puis coiffa ses cheveux courts en légères ondulations,. Elle ne souhaitait pas être mal habillée et mal coiffée cette fois. Cette représentation était plus importante que n'importe quelle représentation qu'elle avait pu voir depuis son arrivée sur Boston. Cette fois, elle y allait pour elle et non pour ses cours d'arts dramatiques. Elle dut choisir sa tenue. Si Hazel ne voulait pas être habillée trop « casual », elle ne voulait pas pour autant sortir les froufrous et ne pas être fidèle à elle-même. Après 30 minutes passées dans sa garde robe, elle se décida à porter un petit haut vert-jaune, aux manches longues et assorti d'un col un peu long car elle savait qu'il peut rapidement faire frais dans le théâtre, inséré dans un pantalon bleu jean, en taille haute, assez large, ce qui, dans l'ensemble, accentuait ses petites formes.

Il était déjà 18h56. Elle commanda un Uber dans la mesure il lui était impensable de se déplacer en bus dans cette tenue. Elle enfila une paire de bottines dorées, sans réel talon pour ne pas agrandir beaucoup plus son mètre soixante-quatorze. Elle se parfuma de cette eau florale aux odeurs d'agrumes qui lui rappelait son enfance dans le conté d'orange et se vêtit d'une petite veste avant de descendre au pied de son immeuble et prendre le Uber commandé plus tôt.

19h13. Elle n'était pas en retard quand elle arriva au théâtre. Elle entra dans le grand hall, sorti de son sac bleu son ticket avant de le tendre à cet homme du personnel. Il était grand et très imposant, avec sa taille et sa barbe, on ne voulait pas frauder, d'autant que les billets peuvent être chers. Si Hazel l'avait voulu, elle aurait été à l'orchestre. Elle n'aurait eu qu'à demander à sa famille. Mais elle voulait acheter son ticket d'elle-même. « Troisième balcon, les escaliers à gauche ». Elle n'avait pas pris les meilleures places, elle n'avait pas pu en tout cas, alors elle avait pris un siège sur le même balcon que d'habitude. Elle monta les escaliers. Avec la lumière du théâtre, on voyait presque son soutien-gorge blanc. Une fois en haut, elle prit la porte qui devait la mener à sa place. Elle tendit son ticket à l'ouvreuse qui marmonna « M21 ? ».

Après un énième aller-retour jusqu'à la porte, pour accompagner un groupe d'amis à leur place, Cleo attrapa machinalement le ticket que lui tendait une jeune étudiante. "M21", visualisa-t-elle. Elle releva la tête du ticket et fixa un instant la personne face à elle. C’était un visage qui ne lui était pas inconnu, elle la savait habitué des lieux depuis quelques temps déjà. Etudiante, tout comme elle, c’était sûr. Cleo se sentait petite face à elle, ce qui lui arrivait rarement du haut de son mètre soixante dix, elle était presque obligée de relever la tête. Elle sourit et annonça, encore une fois ce soir : “Je vous invite à me suivre”. Elle se devait de rester très professionnelle, avec toujours un sourire aux lèvres. Une fois à la rangée, elle se recula un peu pour laisser passer la spectatrice et ajouta : “Votre siège est le quatrième, nous sommes présent, mes collègues et moi, pour la moindre question. Je vous laisse aussi le programme de la soirée.”

Cleo avait eu le temps de lire le nom sur le billet, qui était nominatif à moins de passer par une école ou une université. Hazel Paulson, Paulson, un nom de famille qu’elle avait déjà entendu, que ce soit du côté des acteur.rice.s ou des politiques américains. Un nom de famille assez courant aux États-Unis, qui plus est nous étions à Harvard, où les enfants de personnes célèbres se trouvent et retrouvent à chaque bout de couloir. Ca ne restait, pour Cleo, qu’un nom au milieu des autres, mais elle pouvait enfin nommer ce visage qu’elle ne voyait pas pour la première fois, loin de là.

Elle sortit de sa torpeur, se rendant compte que ça faisait quelques secondes qu’elle était restée immobile à fixer le vide. Un dernier sourire s’afficha sur son visage : “Je vous souhaite une bonne soirée”.


(HJ : Désolée, j’ai mis du temps à répondre et c’est pas terrible )

Elle ne l'avait jamais vu. Où elle n'avait pas fait attention. Hazel remarque les personnes qui sorte du lot hors les ouvreureuses s'habillent de sorte à se fondre dans la masse. Mais cette fille, malgré son allure et son style sobre, avait quelque chose de plus. Serait-ce sa peau marron aux reflets cuivrés ? Serait-ce ses yeux d'une profondeur sans description qui l'avaient fixée ? Serait-ce ce sourire léger qu'elle avait montré avant de lui montrer son siège ?

D'habitude, les employés du théâtre ont un sourire forcé. Cela fait partie de leur métier. Mais ce sourire-là ne semblait pas faux. Il était intrigant et mystérieux en même temps qu'il restait courtois et professionnel.

J'aurais voulu lui parler. Mais elle était plus que débordée. Les autres étudiants venaient et moi je venais d'être coincée par mes voisins de sièges. Elle devait trouver une solution. Trop tard. Les cloches sonnaient. Il ne restait que 5mn avant le début de la représentation. Sur ces 5mn, elle jeta un dernier coup d’œil à la jeune femme. Les regards se croisèrent. Elle regardait Hazel aussi, mais depuis quand ? Hazel détourna le regard immédiatement. Sa timidité l'avait rattrapée. Cette fille était intimidante de par sa beauté alors comment Hazel avait fait pour ne pas la remarquer plus tôt ? Elle fixait maintenant la scène. Ses joues avaient rosi. La salle plongea alors dans le noir mais Hazel sentait ses joues chauffer. Elle regarda furtivement derrière elle. La fille était partie, les portes étaient fermées. L'orchestre s'accorda, les chanteurs et chanteuses se mouvèrent sur la scène colorée et le premier acte se fini.

Les lumières s'allumèrent. Les gens se levèrent. La plupart partir fumer, certain.e.s allèrent se dégourdir les jambes. Hazel décida d'aller à la rencontre de la jeune fille. Elle prit ses affaires pour ne pas se faire voler et sortie de la salle. Elle tourna dans le grand corridor à droite. Il y avait beaucoup de gens. Iels marchaient, parlaient, riaient, mais la jeune femme à la peau de cuivre n'était pas là. Après la 3e porte, presque au bout du long couloir, Hazel la vie. Elle était avec un de ses collègues. Hazel s'arrêta, elle était en face de la jeune fille, à quelques mètres cependant. Elle réfléchit quelques instants et, alors que la jeune fille au regard profond l'avait aperçue, elle se lança.

« Euh … Est-ce que vous pourriez m'indiquer où se trouvent les toilettes, s'il vous plaît ? »

C'était la première chose qui vint à son esprit. Elle aurait dû lui demander son numéro. Elle l'aurait voulu. Mais la panique fit flancher les mots qui lui sortirent de la bouche. S'était trop tard.

« Au fond du couloir, à gauche. » avait-elle répondu. Hazel savait où étaient les toilettes. Et au vu du léger sourire qu'elle avait encore montré, la jeune fille au regard profond le savait aussi. Hazel se rendit aux toilettes même si elle n'en avait pas expressément besoin. Cachée derrière la porte, elle devait réfléchir à ce qu'elle allait bien pouvoir faire ou dire. Elle fouilla son sac en quête d'idées. Du mascara, des mouchoirs, un stylo, son portefeuille, quelques post-it, un tampon. Elle venait d'avoir une idée. Elle sortit le stylo et les post-it de son tout petit sac et commença à écrire son numéro et son prénom. C'était juste au cas où elle ne puisse pas sortir un mot, freinée par sa timidité. Elle sortit des toilettes, se lava les mains et retourna dans le corridor. Elle n'était plus là. Les cloches se mirent à résonner. Hazel parcourra le couloir jusqu'à sa porte en scrutant chaque personne présente. Elle n'était plus là.
Hazel retourna à sa place et jeta un dernier coup d’œil avant la reprise. Elle n'était donc pas partie définitivement. Pendant toute la fin de la représentation, malgré le fait qu'elle écoutait attentivement l'opéra, elle ne pouvait s'empêcher de penser à cette jeune femme qui était quelques mètres derrière elle. Elle était hypnotisante. Hazel, était curieuse même si elle était timide.

A la fin de la pièce, elle mit le post-it dans le livret qu'on lui avait donné. « J'espère qu'elle comprendra » murmura-t-elle.
Elle sortit dans la salle, donna le livret à cette fille. « J'ai beaucoup apprécié les artistes » avait dit Hazel en clignant de son œil droit. Personne ne redonne le livret après une représentation. Elle quitta la salle sobrement, prit un Uber et rentra chez elle.

Tout de suite après avoir indiqué la place à cette jeune fille, Cleo fut happé par d'autres spectateur·rice·s impatient·e·s de trouver leur siège avant le début de la représentation pour ne pas en manquer une miette, espérant ne pas avoir un·e voisin·e trop bruyant·e ou trop dérangeant·e·s. Cleo parcourait les allées qu'elle connaissait par cœur après ces trois ans passés ici à se plier aux exigences de chacun, n'ayant à peine le temps de s'arrêter deux secondes. Soudain, le brouhaha généré par l'installation du public dans la salle laissa place à un calme absolu, les souffles se faisaient discrets et les yeux étaient rivés vers les lourds rideaux qui s'ouvraient. Cleo en profita pour se retirer et rejoindre son collègue qui l'attendait un peu plus loin.

L'entracte fut annoncé avec le changement de décor qui l'accompagnait généralement. Les portes s'ouvrirent, laissant place à un marée humaine qui souhaitait se rafraîchir ou prendre l'air avant que l'opéra reprenne. Les étudiants se mêlaient avec la bourgeoisie, voire même parfois l'aristocratie, sans en être préoccupés le moins du monde. Cleo restait en retrait lors des entractes, restant juste à disposition si quelqu'un avait un questionnement ou se perdait. La jeune fille de tout à l'heure, Hazel s'approcha d'elle, elle l'avait aperçu au loin dans le couloir, qui se rapprochait d'elle. Un sourire s'immisça sur son visage, ses lèvres s'étirant discrètement. Elle lui demanda subitement où étaient les toilettes, mais pour Cleo, ça sonnait un peu faux, c'était une phrase prononcée dans la précipitation, par pur stress. Cleo lui indiqua alors, non sans un coup d’œil à son collègue qui lui, ne semblait pas comprendre toutes les subtilités, et tant mieux d'ailleurs : « Au fond du couloir, à gauche. »

Avant la fin de l'entracte, Cleo dû rejoindre la salle, bien qu'elle ait attendu quelques temps après le départ de son collègue : peut-être que la jeune femme repasserait par là pour retourner à son siège, alors elle attendait, pour savoir ce qu'elle avait vraiment à lui dire. Mais l'opéra reprit lorsqu'elle l'aperçut enfin dans la salle. La curiosité l'avait  envahit et elle espérait qu'elle pourrait avoir une réponse à son questionnement avant de rentrer chez elle. Elle aimait le théâtre pour ça Cleo, c'était un lieu propice aux rencontres. Ce lieu, ce théâtre était intimiste mais une multitude d'émotions l'habitait aussi. Cleo, qui pourtant n'avait jamais fait de théâtre et ne connaissait pas la sensation qu'était de se trouver sur les planches devant un public, comprenait l'importance que beaucoup accordaient à ce lieu, assez secret et ouvert qu'à quelques initiés.

La foule acclamait les artistes dans une vague d'applaudissements sonores. L'opéra qui avait été joué sous leurs yeux était merveilleux, pour le regard de Cleo. Elle n'en avait jamais vu d'aussi applaudis, la foule ne semblait vouloir s'arrêter et les artistes ne cessaient leurs révérences. Puis la foule se leva enfin, comme un seul homme et la magie éveillée par l’œuvre retomba subitement. La jeune femme du début s'approcha à nouveau d'elle et lui tendit le livret.  « J'ai beaucoup apprécié les artistes », lui dit-elle. Cleo sourit : « Oui, ils étaient vraiment très bons ». Elle prit le livret, qu'elle rangea dans sa poche de veste. Jamais on ne lui avait rendu un livret et elle savait que ce n'était par habitude qu'elle le faisait.

Une fois ses heures de travail finies, avant de quitter la salle, Cleo attrapa ce petit livret dans sa poche et le scruta un instant. Doucement, elle le secoua au dessus de la table de leurs vestiaires et fit tomber le petit papier jaune. « (456) 367-4221  |  Hazel » avait inscrit la jeune fille. Cleo prit son inspiration. Elle ne savait pas vraiment si elle devait envoyer un message ce soir ou attendre demain matin. Mais elle ne voulait pas faire espérer inutilement Hazel. Elle prit donc son téléphone dans ses mains et entra le contact dans son répertoire avant de quitter le théâtre. Elle lui enverrait un message sur la route.

Hazel, après une soirée forte en émotions, rentra chez elle. Le Uber était silencieux. Le chauffeur était concentré sur la route. Il y avait un bouchon et le trajet fut plus long qu'à l'aller. Les lumières sont magnifiques la nuit. Elles donnent du charme à la ville de brique. Les murs paraissent plus orangés que roses avec les néons des lampadaires. Je devrais faire un shooting la nuit, s'était dit Hazel, Un lightpainting serait vraiment magnifique avec les phares des voitures. La voilà au pied de son immeuble. Elle regarda le Uber partir sans un bruit. Ce coin de la ville était toujours animé. Il était déjà minuit et pourtant, le petit café de l'autre côté du carrefour servait ses quelques clients sur la petite terrasse. Hazel se retourna et observa la façade de l'immeuble. Elle inspira profondément.
Après cette soirée, elle n'avait plus envie de faire le premier pas. Pourquoi avait-elle donné son numéro à une parfaite inconnue qu'elle venait juste de rencontrer s'était-elle dit alors qu'elle observait sa fenêtre. Que lui dire si elle répond ? Et déjà, va-t-elle répondre ? Elle entra dans le hall, prit les escaliers et monta au deuxième étage. Elle inséra la clé dans la petite serrure de la porte à sa gauche. Elle fit deux tours, abaissa la poignée et retira la clé.

Elle entra dans cet appartement. Elle était seule. Comme tous les jours, la solitude l'habitait et elle habitait avec la solitude. « Ça doit être agréable de vivre avec quelqu'un ». Les mots s'étaient échappés de sa bouche si naturellement. Ses voisins étaient déjà partis en vacances. L'immeuble était donc plus que calme. Le ventre de Hazel commença à gargouiller. C'est vrai qu'avec toute cette agitation pour ne pas être en retard, elle en avait oublié de grignoter. Elle prit un pot de glace. « Personne ne m'en voudra si je mange directement dans le pot ». Elle prit une cuillère, ouvrit le pot et s'installa dans le canapé. Hazel alluma la télé et fit un peu de zapping avant de tomber sur une série qu'elle connaissait. Elle avait déjà vu les épisodes mais ce n'est pas comme s'il y avait quelque chose de bien plus intéressant sur une autre chaîne.

Alors qu'elle regardait la télé et dégustait sa glace vanille pécan, son téléphone sonna.

« Salut Hazel,
C'est l'ouvreuse du théâtre, Cleo, à qui tu as laissé ton numéro »

S'était elle ! Elle s'appelle Cléo. Ce prénom ne lui est pas inconnu. « Cléo … Cléo … » Elle ne l'avait jamais entendu mais l'avait déjà lu quelque part. Elle devait être étudiante donc c'est probablement sur le campus. Faisait-elle partie d'un club ? Vu son physique très avantageux et les mains qu'Hazel avait pu entrevoir, elle devait faire du sport. Probablement une cheerleader s'était dit Hazel à ce moment. Mais si ce n'était effectivement pas le cas, elle ne pouvait pas le savoir. Hazel ne va jamais au Harvard Stadium. Elle n'est jamais allée voir un seul match de football depuis son arrivée à Boston. Elle ne serait pas contre mais encore faut-il faire de la place sur son emploi du temps. « Un jour, j'irais » avait-elle dit à sa mère. « Cléo … Cléo … Mais oui ! » Ce fut comme une évidence. Hazel savait parfaitement où elle l'avait vu. Il y a quelques jours, alors qu'elle était sur le campus, elle avait jeté un œil à la liste des inscrits au summer camp. Elle s'était dit à ce moment qu'elle était vraiment longue et qu'elle avait d'autant plus peur de ne pas arriver aux épreuves même avec un esprit aussi compétitif que le sien. Si Hazel est timide, il y a bien une seule chose qu'elle ne supporte pas : ne pas arriver à faire quelque chose. Ouvrir un pot de compote, courir longtemps, faire la photo parfaite, être à la tête de sa promo. Autant de petites choses qu'apprécie de réussir Hazel.
C'était là qu'elle avait vu son prénom, parmi tous les autres.

Et maintenant, il fallait répondre. Elle posa son pot de glace et sa cuillère sur la table basse en face du canapé et prit son téléphone à deux mains. Il était 12:15am. Que faire ? Qu'écrire ? Devait-elle écrire tout de suite ? Il était déjà tard.
Hazel commença à écrire quelque chose Bonjour Cléo enfin bonsoir ! Je me doutais que c'était toi, tu peux me tutoyer bien sûr ! Non. Hazel effaça. Salut Cléo ! Je ne sais pas pourquoi je t'ai donné mon numéro, j'espérais peut-être que quelqu'un comme toi veuille bien sortir un soir avec quelqu'un comme moi. Non. Trop désespéré. Hazel effaça le message. « Tant pis, je lui écrirais demain matin. »

Hazel coupa la télé, replaça la glace au congélateur et nettoya sa cuillère. Elle se dirigea dans sa chambre, enleva ses vêtements et examina ses cicatrices dans le miroir avant de se brosser les dents. Elle reposa la brosse dans son gobelet, mis son pyjama et s'allongea dans son lit. Seule et dans le noir, l'atmosphère était différente. D'autant que Cléo occupait toutes ses pensées. Il n'y avait plus de place. Sa tête était surchargée des images des détails de cette fille. Ses mains, ses dents, ses yeux, ses cheveux, sa peau, le timbre de sa voix avait une couleur mauve et Hazel mit bien 1h30 à s'endormir.


Le réveil sonna. 9H30. « Je dois absolument lui envoyer un message sinon elle va penser que je la ghost. ». Elle prit son appareil, alla dans maps, prit l'adresse d'un petit café sympa et envoya un message à ladite Cléo.

« J'espère qu'elle répondra !! » Hazel joint ses mains et les secoua vigoureusement. Son téléphone sonna. Hazel jeta un coup d’œil. Cléo venait de répondre.

Cleo était rentrée à la hâte chez elle, ne souhaitant qu'une chose : prendre une douche chaude et rejoindre son lit. Elle savait cependant qu'elle trouverait son appartement vide en rentrant, sans la petite Héra ni son colocataire depuis deux ans, retourné à Londres. Cet appartement, son petit cocon, serait vidé de tout bruit et elle n'aurait que sa furette Nausicaä comme réconfort. Alors si elle pouvait s'endormir le plus rapidement possible afin d'aller s'entrainer de bonne heure le lendemain, elle ne disait pas non. Jusqu'à son déménagement prochain chez son ami Edgar, elle ne voulait pas passer trop de temps là-bas, étant assez mal à l'aise avec la solitude. Elle avait besoin de présence autour d'elle, c'était aussi pour ça que les bars et boites ne l'avaient jamais dérangé et qu'elle s'y rendait même régulièrement.
Mais ce soir, ses pensées étaient aussi habitées par Hazel, cette fille, qui avait eu l'audace de lui laisser son numéro. Sur ce point, Cleo était assez lâche et ne donnait jamais son numéro, même quand la personne lui plaisait, ou qu'elle aurait aimé la revoir. Elle, qui paraissait plutôt confiante en général, n'assumait pas le fait de vouloir connaître un peu plus certaines personnes. C'est aussi pour ça qu'arrivée en quatrième année à Harvard elle n'avait que quelques amis : Edgar et Alexander. Cette tendance à éviter les autres la suivait pas mal, pourtant on pouvait penser l'inverse d'une fille cheerleader et qui en avait même été capitaine au lycée. Un manque d'assurance qui n'était pas flagrant mais qui l'envahissait depuis qu'elle s'était questionnée sur elle-même et qu'elle se remettait en question. Pour ce geste, Hazel l'avait impressionné, en plus, le fait de donner le post-it dans le livret restait quelque chose d'assez discrets pour ne pas trop les embarrasser si quelqu'un les voyait faire. Là-dessus, elle était très reconnaissante envers Hazel et ne voulait pas la laisser dans l'embarras du silence. C'est pour ça que son message ne s'était pas fait attendre, même s'il était resté assez neutre, simplement dire qui elle était à cette jeune femme audacieuse.
Sur ces pensées, Cleo s'endormit en oubliant de fermer sa furette dans sa cage qui vient se blottir contre elle, comme elle le faisait à chaque fois qu'elle en avait l'occasion.



En ce samedi matin Cleo s'était réveillée aux aurores pour se rendre à la piscine afin de s'entrainer un petit peu. Les clubs tournaient au ralenti en cette fin d'année mais ce n'était pas une raison pour ne pas se maintenir en forme, surtout avec l'approche du Summer Camp. Elle voulait se détendre le corps et l'esprit avant de partir travailler - une seconde représentation de l'opéra de la veille avait lieu dans l'après-midi pour que tout le monde puisse y assister - et devait donc se préparer assez tôt, afin de ne pas être en retard. Mais durant toute sa séance elle espérait sincèrement qu'Hazel aurait répondu au sms de la veille. N'ayant eu de réponse le soir même, elle s'était dit qu'elle avait dû s'endormir de bonne heure et qu'elle lui répondrait le lendemain dans la matinée, à tête reposée.
Lorsqu'elle attrapa son sac dans son vestiaire, son premier réflexe fut de se saisir son portable et de consulter les notifications qui y étaient affichées. Un message ? Cleo s'empressa de l'ouvrir. Hazel.

« Coucou Cléo !

Désolé de ne pas t'avoir répondu plus tôt, je me suis endormie !

Ça te dis une petite sortie après-demain ? On a qu'à se dire RDV ICI dans deux jours vers 1h de l'aprèm ?

A plus, Hazel »

Un sourire s'afficha sur le visage de Cleo qui ouvrit aussitôt le lien envoyé. Le Georgetown Cake ? Elle voyait parfaitement où c'était et qui plus est elle n'avait rien de prévu cet après-midi-là, elle ne pouvait que dire oui. Refuser un rendez-vous n'était pas vraiment dans son genre, surtout quand elle se trouvait face à quelqu'un qui faisait un effort. Et puis, Hazel était quelqu'un de charmant à première vu, Cleo voulait bien en apprendre un peu plus sur elle. Elle ne savait jamais où une rencontre pouvait la mener.
Elle resta 5 bonnes minutes, les doigts en suspend au-dessus de son téléphone à choisir quoi répondre, pour ne pas paraître trop froide ni beaucoup trop joviale. Elle avait tendance à ne pas avoir de juste milieu.

« Oui, ça me tente bien ! C'est parfait, en plus cet endroit est très agréable !
Cleo  »

Hazel avait-si hâte. C'était dans deux jours mais ça lui paraissait être deux mois. « Parfait, à lundi alors !;) »
Le cœur d'Hazel allait probablement exploser. Pas de bonheur mais plutôt d’excitation. Elle passa sa journée de samedi à travailler. Elle devait photographier l'Ouest de la ville et l'aquarium. Chose dû, chose faite. Elle retravailla ses images le soir même, la luminosité, l'exposition, la saturation des couleurs et le contraste étaient ses plus grandes préoccupations. Ce samedi n'était qu'un jour banal au final. Enfin, 'banal' mais Hazel ne pouvait enlever Cleo de sa tête. C'est donc ça avoir un crush ? Tout est toujours allé vite avec Hazel : sa notoriété, sa croissance, sa hantise du Lycée Français, son premier et surtout son seul petit-ami, son entrée à Harvard et ses deux premières années, et maintenant sa relation avec Cleo et surtout son attirance pour la jeune femme.

« 1h ? Déjà ? Je pensais qu'il était plus tôt ! » s'était-elle écrié en regardant son téléphone. Elle n'avait toujours pas soupé et surtout, elle devait envoyer ses clichés le lendemain. Elle alla dans la cuisine, ouvrit le frigo puis le placard. Elle en sortit une boîte de petits pois. Elle lança le contenu dans une casserole, fit cuire et mangea. Ce n'était pas particulièrement bon mais c'était rapide. Hazel lava ses couverts et ses ustensiles, éteignit son ordinateur et alla se coucher.

Dimanche, 10h. Elle était déjà en retard pour son travail. Enfin, elle n'avait pas à se déplacer mais quand même ! Ce n'est pas une raison pour ne rien faire ! Surtout quand on travaille pour la ville de Boston.
Hazel se leva brusquement, alluma son ordinateur, il est tellement lent !, récupéra les photos prises la veille et retouchées et les envoya à l'assistant du directeur des relations publiques. 11h30. Pile à l'heure ! Maintenant, elle n'avait plus rien à faire. Elle n'avait plus rien à faire du tout. Que faire ?? Et bien pas grand chose. Elle fit un rapide zapping de ce qu'il y avait à la télé (uniquement des infos et des jeux télévisés), fit le tour complet de Meetsachussets. « Tiens ! Cleo s'est abonnée. » Elle la suivit en retour et aima sa dernière photo. Bon, là, notre petite Hazel était cramée, elle crushait beaucoup sur Cleo et visiblement elle ne pouvait l'enlever de sa tête. Et puis après tout, c'était le destin quelque part. Comment aurait-elle pu la remarquer sans un coup de pouce. Elle se rendit compte qu'elle n'avait pas réellement profité de l'opéra ni de Peer Gynt mais était-ce réellement pour le pire ? Elle ne le pensait pas du tout.

Elle avait encore toute l'après-midi. Heureusement que les magasins sont ouverts les dimanches. Elle décida de faire un peu de shopping. Cela faisait presque deux mois qu'elle ne s'était pas acheté de vêtements. Elle sortit de son appartement, le ferma à clé, prit les escaliers pour descendre, et sortit de l'immeuble. Elle prit un bus pour l'emmener jusqu'à la rue commerçante. Il faisait un temps légèrement nuageux mais il faisait tout de même beau. Les températures n'excédaient pas les 79°F, de quoi se balader en t-shirt dans avoir trop chaud ou trop froid. Hazel entra dans 3 boutiques. Elle entra dans la première et s'acheta divers sous-vêtements. Elle entra ensuite dans la seconde et s'acheta quelques pantalons et short et une chemise pour le Summer Camp. Dans la troisième elle s'offrit 2 chemises, un t-shirt et un sweat en promo.

Elle rentra et rangea ses nouveaux vêtements. Il était 19h30. Tard mais pas tant que ça. Elle décida de réellement cuisiner. Ce soir, ce serait poulet aux champignons en crème avec des macaronis. Rien qui ne sorte vraiment de l'ordinaire. Alors qu'elle était en train de cuire sa viande, elle parcourra le profil Meetsachussets de Cleo. « Elle est végé ! Mince ! J'espère qui y aura des cupcakes végés à Georgetown demain ! ».
Elle finit de cuisiner, mangea, regarda la télé pendant une petite heure et alla se coucher aux environs de minuit.

Ce fut une nuit sans rêve. Cependant, à son réveil, Hazel ne pensait qu'à Cleo. Aujourd'hui était le jour J. A 13h, Hazel avait rendez-vous avec la jeune femme. Elle passa à la douche, et se lava les dents après avoir petit-déjeuné. Comment allait-elle bien pouvoir s'habiller ? Elle regarda dans sa penderie. Elle choisit un des t-shirts achetés la veille. Il était bleu nuit et l'on pouvait voir un chat rouge ailé, des étoiles la lune, bref le parfait décor fantastique. Elle porta une veste à petits carreaux noirs et blancs avec des lignes de coutures en bande noire et accompagna cette veste d'un pantalon aux mêmes motifs. C'est avec des vans noires que lui avait offert sa tante qu'elle finit sa tenue. Il est déjà midi. Hazel devait partir maintenant si elle voulait espérer arriver la première.

Elle vérifia sa coiffure et la ligne de sa veste, mit son portefeuille dans une de ses poches et son appareil photo à son épaule. Elle ferma à clé son appartement, descendit par les escaliers et sortit du hall, comme à son habitude. Elle tourna à droite sur la Tremont St puis à gauche sur la Clarendon St. Après un trajet qui lui paraissait interminable bien que ce ne fût que 25 minutes dans sa journée, Hazel arriva à Georgetown Cupcakes. Elle entra dans la petite boutique et prit un Peanut Butter Fudge Cupcake et un Vegan Apple Cinnamon Cupcake, deux gâteaux présents le lundi.
Elle était la première et décida de prendre les devants en offrant un de ces merveilleux petits gâteaux à Cleo. Elle avait fait attention à prendre un des gâteaux vegans et avait pris l'Apple Cinnamon en ayant remarqué que c'était le seul cupcake vegan proposé sur ce jour et en considération du fait que Cleo faisait attention à ce qu'elle mangeait. Elle prit la boîte où se trouvaient les petites merveilles et sortie à l'extérieur de la boutique pour attendre Cleo qui ne saurait tarder.

A quelques mètres, au passage piéton du carrefour, Hazel vit la jeune fille à la peau de cuivre et au regard pétillant. Alors qu'elle s'approchait, Hazel souria. Quand Cleo ne fut qu'à un mètre d'elle, elle la salua de façon très polie et lui demanda si elle souhaitait se rendre dans un parc où il faisait un peu plus frais.

Il faisait tellement beau, Hazel voulait surtout éviter de se retrouver avec un coup de soleil sur le nez et de ressembler à un clown face à Cléo.
En réalité, Hazel a beau avoir pensé à tout, une seule chose lui paraissait presque insupportable : que dire ? Elle avait déjà rusé pour avoir son numéro de téléphone, comment allait-elle faire pour initier le dialogue entre les deux jeunes femmes alors qu'elle avait déjà évité une crise de panique en l'invitant par texto. Elle espérait sincèrement que Cleo la fuse de questions sortant du commun pour ne pas avoir à faire face à la fameuse partie de questions sans but que l'on retrouve souvent quand on rencontre quelqu'un.