J'avais encore mon café dans la main lorsque je me changeai en vitesse pour arriver à l'heure auprès de mon chef de service. Je le savais exécrable avec les retardataires, c'est pourquoi je ne tentais même pas de traîner un tant soit peu pour repousser cette journée quelques minutes de plus. J'avais en fait passé une sale nuit à cause de mes deux petits loups qui se sont apparemment donnés le mot pour faire un cauchemar en même temps. En deux temps trois mouvements, ils se sont attroupés dans mon lit et y ont pris toute la place, me forçant à me rendormir dans une position assez improbable. Mes paupières tombaient donc, mais j'étais à présent comme les cinq autres internes de mon équipe devant le grand manitou, avec cependant une minute de retard que ce dernier ne releva pas. Il avait déjà dit quelques infos sur le premier cas que nous allions visiter à l'instant, j'entendis seulement le mot "leucémie récidivante" au vol lorsqu'il ouvrit la porte de la chambre. Je m'engageai comme les autres dans le mini couloir avant de tomber nez à nez avec le patient. Ce visage. Il n'avait pas l'air bien, mais l'expression de ses yeux n'avait pas changé. Je restai de marbre, essayant tant bien que mal de ne rien laisser paraître, mais ma mâchoire se serra instantanément. Je souhaitais bien sûr le revoir, mais je croyais avoir le contrôle sur cette prochaine rencontre. Et surtout, je ne savais pas qu'il se battait actuellement pour rester en vie. Le grand manitou se tourna vers moi et me demanda si j'étais capable de résumer le cas de cet homme. Surprise, je me contentai de bafouiller avant qu'un autre élève prenne mon relai, grand merci à lui.

"@Jude Montgomery

you, again
→ ft. @Samara E. Hemingway
Le retour à Boston a été assez rapide et plutôt plaisant. Cela fait des semaines que je suis à l'hôpital maintenant, et ça fait toujours un bien fou de pouvoir ne serait-ce que prendre l'air. A cause des saloperies de virus qui se baladent dans le pays de nos jours, les médecins préfèrent que je reste en chambre stérile le temps de ma chimio, parce qu'avec mon système immunitaire au plus bas, chopper un de ces virus pourrait me tuer en une nuit. Bien que j'aurais préféré rester chez moi et venir à l'hôpital quotidiennement pour ma chimio, j'ai accepté qu'on me garde en isolation, par mesure de sécurité. La chimio me fatigue énormément, me coupe l'appétit, mais je la supporte tout de même mieux que lorsque je l'ai commencé la semaine précédente. Quand le médecin arrive avec une ordre d'interne, je soupire. Je sais ce que c'est, mais je ne suis franchement pas d'humeur. Celle-ci, change d'ailleurs radicalement quand je vois une blonde entrer parmi ce groupe d'étudiants. Mon coeur se stoppe d'un coup, j'ai l'impression de ne pas en croire mes yeux. Il s'agit de.. Samara ? Le médecin l'interpelle, mais elle semble aussi surprise que moi, et n'arrive pas à aligner deux mots. Mon regard ne quitte pas le sien, et quand le groupe d'interne s'éloigne pour quitter la chambre, je suis bien content de la voir paralysée sur place, incapable de bouger. Probablement la surprise. "Mais qu'est-ce que..", que je commence, complètement perdu. Je me redresse dans mon lit, "Qu'est-ce que tu fais ici ?" Elle a signé les papiers, elle a renoncé à ses droits envers Aaron. Alors qu'est-ce qu'elle fait ici ?

Alors que le grand manitou quitte la chambre avec toute la clique d'internes lui collant aux chaussures, je reste plantée là, tel un cactus en proie au froid du pôle nord. Il me demande après une première tentative sans pouvoir aligner tous les mots qu'il souhaite ce que je fais là. Ce que je fais là... Tout bouge dans ma tête et les choses n'auraient pas dû se passer comme ça. Je devais reprendre contact oui, mais je n'étais pas encore prête. "Eh bien... j'étudie en médecine. Et toi, qu'est ce que tu ..." je demande par réflexe, me rendant vite compte que ma question est débile. J'avais assisté à tout l'entretien et Jude avait répondu à toutes les questions. "Je suis désolée pour... enfin, le fait que tu sois dans cet état. Le chef ne nous a rien dit, mais tu es en bonne voie ?". Encore une fois, une question idiote. J'imagine une seconde que ce n'est pas le cas, que peux t'il me répondre ? Je ne sais tout simplement pas quoi aligner comme mots pour échapper à cette situation. Je m'apprête à quitter la chambre, mais quelque chose m'en empêche. Son regard sans doute. Ou bien sa surprise qui rejoint la mienne.


@Jude Montgomery

you, again
→ ft. @Samara E. Hemingway
S'il y a bien une personne que je ne m'attendais pas à voir ici, c'est Samara. Et au début, je n'étais même plus sûr que c'était bien elle. Ça peut paraître un peu bête, mais je ne l'avais pas vu depuis sept ans et demi. Et pourtant, malgré ça, elle n'a pas changé. D'un coup, énormément de questions commencent à se bousculer dans ma tête : pourquoi est-elle là ? Est-ce que ça a un rapport avec Aaron ? Il faut que je prévienne Leandra. Le plus rapidement possible. "Eh bien... j'étudie en médecine. Et toi, qu'est ce que tu ..." Je ne la laisse pas continuer que je la coupe tout de suite : "J'ai bien vu que t'étais interne, mais qu'est-ce que tu fais ici, Samara ?" Qu'elle ne tourne pas autour du pot, elle sait bien ce que je veux savoir. "Je suis désolée pour... enfin, le fait que tu sois dans cet état. Le chef ne nous a rien dit, mais tu es en bonne voie ?". J'hausse les sourcils et je ris légèrement, probablement l'inquiétude, le stress. "C'est difficile à dire, ça dépendra de la chimio." Je ne sais pas quoi lui dire de plus. En réalité, rien d'autre n'est important, j'ai juste besoin de savoir pourquoi elle est tout à coup de retour ici. Dans ma tête, la panique d'installe. Et si elle était venue prendre Aaron et qu'elle disparaissait d'un coup, comme ça, sans prévenir ?

Je n'ai même pas le temps de finir ma première question que Jude me coupe déjà. "J'ai bien vu que t'étais interne, mais qu'est-ce que tu fais ici, Samara ?" Son ton est ferme et sa phrase cinglante. Il a l'air inquiet, en colère ; ou bien les deux, je n'arrive pas à faire la différence. Il enchaîne ensuite sur son espérance de guérison, il fallait voir ce que donnerait la chimio. J’acquiesçais en silence, me préparant à mentir concernant les raisons de ma présence ici, près de Jude et de notre fils. "Je... ma soeur est morte d'une leucémie en fin d'année 2018, mes neveux avaient besoin de moi." Ce que je raconte n'est pas un mensonge à proprement parler, mais je n'étais revenu à Harvard que pour lui et Aaron. Je triture le coin des feuilles de mon carnet de notes, la situation devenant vraiment gênante. "Tu.. tu es là depuis longtemps ?" je demande, par intérêt réel, mais aussi pour éviter d'autres questions me concernant. Je regarde aussi ma montre, je ne pouvais pas rester beaucoup plus longtemps sans éveiller la colère du chef de service.

"@Jude Montgomery

you, again
→ ft. @Samara E. Hemingway
Bien sûr, que je suis en colère. Si Aaron s'avère être une des meilleures choses qui me soit arrivé dans la vie, il n'en restait pas moins super inattendu et ça m'a demandé beaucoup d'ajustements et de sacrifices. J'avais 23 ans à l'époque, j'étais pas prêt à être père, et encore moins à être père célibataire. Alors son abandon, ça a fait bousculer ma vie. En bien, au final, mais sur le coup, c'était difficile de le voir. Et ça a rendu la vie d'Aaron très très compliquée. Il a mit du temps, avant d'avoir une relation définie avec Leandra, et maintenant qu'il la considère comme sa mère, qu'il l'appelle maman, il est hors de question que Samara vienne tout chambouler. "Je... ma soeur est morte d'une leucémie en fin d'année 2018, mes neveux avaient besoin de moi." Je fronce légèrement les sourcils. Une leucémie ? Elle est en train de se moquer de moi là ? "Je suis désolé", que je finis quand même par dire. Je sais que trop ce que ça fait, de perdre ses proches. "Tu.. tu es là depuis longtemps ?" Je fronce légèrement le nez. Je dois avouer que je perds un peu la notion du temps. "Ça fait un mois, environ. J'ai choppé une infection dans l'accident de métro" Parce que bien entendu, j'ai eu une barre métallique rouillée dans la jambe. C'est le leucémique qui se tape ce genre de blessures. Je laisse un léger silence, "Donc, tu vas me faire croire que t'es pas là pour Aaron ?" Parce que l'explication de sa soeur me semble un peu bancale. La coïncidence me semble un peu trop grossière pour être franc.

Son visage se détend soudainement lorsque je lui apprend pour la mort de ma soeur. Ironie on peut le dire, elle souffrait bien du même mal qui touche Jude. Je me demande ce que l'on ressent lorsque l'on apprend qu'une personne ayant la même chose que nous ne s'en est pas sortie. Il m'explique un peu plus en détails pourquoi il est là et je me décompose. Son cas n'a vraiment pas l'air simple, ni en bonne voie étant donné les infos que m'a donné mon chef de service. Cette fois-ci, c'est moi qui lâche un : "Vraiment désolée". Cette entrevue me paraît surréaliste tant Jude me paraît être à la fois un inconnu et un meilleur ami que j'aurais perdu de vue depuis longtemps. On se connaissait peu lorsqu'Aaron a pointé le bout de son nez et pourtant, nous avions en commun un être humain, mélange de nos deux adn et histoires. "Donc, tu vas me faire croire que t'es pas là pour Aaron ?" Son ton est à nouveau plus franc et sur la défensive. Je me rappelle que je ne suis pas censée être ici et que j'aurais dû suivre mes autres collègues pour les visites suivantes. "On se recontacte rapidement, je dois y aller". Je n'attend pas sa réponse et m'éclipse de la chambre.

"@Jude Montgomery