C'était inattendu. Ce fameux message de Mark qui laissait apparaître une certaine déception et de la tristesse. Bien que je ne savais pas réellement quoi faire pour qu'il se sente mieux, en tant que petite soeur, je voulais qu'il sache que j'étais là pour lui, et que je le serai toujours. Seulement, je pouvais bien comprendre son désarrois, étant donné que ce vieux moteur n'avait pas ronronné pour une femme depuis bien longtemps. Il ne savait pas ce qui avait foiré, et il semblait qu'elle se soit bien gardée de lui donner des raisons à cette rupture.

Il voulait que je l'emmène adopter un chien, et l'idée me semblait bonne. Alors j'ai accepté de venir le chercher le lendemain pour l'emmener au refuge, où je m'étais rendue quelques jours avant en compagnie de ma brésilienne pour qu'elle adopte un chaton. Ils finiront par m'avoir, si ça continue. Adopter un animal serait certainement salvateur pour le vieux, ça l'incitera à se bouger les miches, au lieu de se morfondre. Il n'a pas le droit de penser qu'une femme peut l'affaiblir.

Comme prévu, je suis venue le récupérer près de sa caravane. Il était en train de cloper, au bord de la route, avec son style Docteur House qui me donnait envie de rire. Je m'arrêtais à son niveau en ouvrant ma fenêtre, avec un léger sourire au bord des lèvres. « T'as un air du Penseur de Rodin, en plus... Toi. » J'attendais sagement du côté conducteur qu'il parvienne à entrer dans l'habitacle, lunettes de soleil sur la tronche, prête à démarrer en direction du refuge.

Il a l'air d'avoir pris un bon coup, en quelques jours, mais je m'attendais à franchement pire. Il a gardé sa bonne humeur, du moins en surface. « J'me moque pas, je constate avec une touche d'humour. La différence est vraiment énorme. » me moquais-je gentiment.

Une fois qu'il fut rentré et la portière fermée, je démarrais de nouveau en direction du premier chenil de ce périple qui pourrait très bien durer plus longtemps. Je n'avais pas eu le temps de lui demander comment il allait, ni même comment ça se passait pour lui depuis ces derniers jours, qu'il me demandait comment se passait ma relation avec Helina. J'esquissais un léger sourire en coin. « Tout va bien, on prend notre temps, mais c'était comme si on vivait ensemble. Un soir chez moi, un soir chez elle. J'ai fait exactement le même trajet y a quelques jours avec elle. Elle voulait un chaton. Ils vont finir par m'avoir, les gens du chenil, j'vais craquer. » finis-je par avouer dans un léger rire.

J'ai toujours du mal à exprimer toutes ces choses positives que je ressens. Par pudeur ou par manque de mots adéquats. Puis c'était pas moi, qui avait besoin d'extérioriser les choses. Je posais alors mon regard sur le vieux, avant de lâcher mon levier de vitesse pour poser ma main sur son épaule. « Allez, parle moi. Fais pas le bonhomme devant moi. T'as pas besoin de ça. »

A force de vouloir être fort, ça perd tout son sens. On se détruit intérieurement pour garder le sourire en surface, et c'est bien pire. Enlever le masque, laisser les vannes s'ouvrir, se laisser aller. La véritable force, c'est de montrer ses faiblesses à la face du monde. Et je voulais qu'il s'exprime devant moi, comme il ne pourrait pas le faire devant ses potes.

malgré moi, j'ai une certaine pudeur qui m'empêche d'exprimer mon bonheur face à quelqu'un qui vient de le perdre. ou bien peut-on appeler ça une forme de respect, j'en sais rien. pour autant, je lui souris quand il dit qu'elle et moi, on s'est bien trouvées. « je te la présenterai quand même. peut-être qu'elle trouvera quelqu'un pour te retaper un peu. retrouver un peu le sourire dans une jupette de passage. » ricanais-je doucement, en lui jetant un regard.

il parvenait à s'exprimer un peu, même si je sentais qu'il ne savait pas trop où foutre les pieds dans son merdier. j'avais de la peine de le voir comme ça, lui qui était habituellement un sale gosse à qui la crise de la quarantaine offrait une nouvelle jeunesse. je ne savais pas tellement comment lui redonner le sourire, n'ayant jamais été dans cette situation. construire une famille et la voir disparaître dans un éclat verbal, un « je m'en vais » aussi calme que violent, un adieu déchirant. « tu t'en rends peut-être pas compte, mais t'as quand même évolué. ça a été trop court, très intense, mais t'es devenu un autre homme. t'as compris que ce vieux coeur pouvait battre de nouveau pour les beaux yeux d'une femme, que tu pouvais être un bon père pour ta gamine, même si t'as mis du temps. garde les choses positives dans un coin de ta tête, tu pourras les ressortir au bon moment, avec une femme qui viendra à nouveau réveiller tout ça. » essayais-je de le convaincre, en souriant.

je doublais une bagnole qui roulait bien trop doucement sur cette portion de la route, quand il m'expliquait ce qui s'était produit la veille. j'étais sur le cul, mais ça m'amusait quand même un peu. je lui donnais une tape sur l'épaule. « c'est que tu perds pas ton temps, mon salaud. » ricanais-je, avant de reprendre un ton plus sérieux. « faut pas que tu fasses un transfert vers la fille de wolfy... mais si tu sens que c'est sincère, que tu peux te reconstruire grâce à elle, alors fonce. et moi je sais qui t'es. t'es mark, mon frère d'une autre mère, un tombeur à la barbe poivrée, qui aime les old fashioned et sa belle quinn. et qui va adopter un cabot qui va avoir d'la chance. alors tire pas la tronche. » dis-je en posant ma main sur son épaule.

quand il me dit qu'il doit tenir pour sa fille, je ne peux pas le contredire. elle a attendu des années avant de le connaître enfin, il avait pas le droit de l'abandonner encore. « de toute façon, si tu meurs, j'te tue. » répondis-je simplement.

je remarquais que la proposition finale était passée à la trappe, et connaissant mark, ça voulait dire qu'il voulait d'une pause dans les conquêtes féminines, les relations avec les femmes et les possibles sentiments qui pourraient en découler. j'en souris simplement. « tu seras le premier à dire que j'ai bon goût. tu verras. » lançais-je fièrement.

quand il exprima ses regrets quant à sa relation passée, malgré tout, ça me pinçait un peu le coeur pour lui. pour l'heure, il n'en voit que les mauvais côtés, parce qu'il lui faut le temps de guérison, le temps que la brèche de ce vieux coeur se consolide. malgré tout, je pose mon regard sur lui avec un sourire amusé. « tu sais, parfois j'me dis la même chose sur certaines de mes ex copines. » ricanais-je finalement. « ça veut pas dire qu'on s'en sort pas, tu sais. »

le fait qu'il dise que ce qu'il s'est passé avec yen était une connerie sous alcool, j'y crois moyen, sachant qu'avant il me dit qu'il y a quelque chose. je lui souris de sorte qu'il comprenne que je ne le juge pas. ça n'a jamais été mon intention et ce n'est surtout pas mon genre. « t'as pas eu la force ou t'as pas eu envie de résister ? allez, tu peux tout m'dire, j'dirais rien à wolfy. » souriais-je.

ce chien, ça allait le remettre sur pieds. il allait faire autre chose que ruminer dans sa caravane. ça allait le pousser à se redresser, à bouger et à ne plus se morfondre. et il allait avoir toute la compagnie et l'amour dont il aura besoin, réunis dans un sac à puces.
alors qu'il me décoiffait, comme à son habitude, j'étais contente de l'entendre rire. au moins, même s'il se déleste de ses pensées, il est de bonne humeur. et quand il me remerciait, avec ce diminutif de mon surnom, je levais un poing en l'air, face au pare-brise. « j'suis une supernanaaa ! » fanfaronnais-je. « et tu sais que j'suis là pour ça, le vieux. pour les bons et les mauvais moments. » souriais-je.

le calme gagnait l'habitacle, au point que je me sentais obligée d'allumer mon poste radio sur une station pop-rock. mais les paroles de mark me séchaient d'un coup. je ne savais pas tellement quoi lui dire, pour le coup. « ça veut rien dire, tu sais. tu vas peut-être mettre une autre nana en cloque et elle viendra toquer à la porte de ta caravane en te disant que tu vas devoir l'épouser parce qu'elle est devenue prête à exploser. ou bien j'te demanderai un service un jour. » finis-je par dire en riant légèrement.

je sais que yen est, physiquement, le genre de mark. c'est une chouette fille, y'a pas à dire. mais je n'avais jamais imaginé qu'un jour, ces deux-là allaient se retrouver à se faire du bouche à bouche en toute conscience. quand il me dit que sa gamine le prendrait mal, sans compter sur wolfy, je sens bien qu'il est perdu, le vieux. les choses vont parfois trop vite et les conséquences ne sont jamais anodines. je jette un rapide coup d'oeil dans sa direction. « si tu vis pour le regard des gens, tu vis jamais. fais ce que t'as envie de faire. c'est ce que tu fais de mieux. camille, ça lui passera un jour, dans le pire des cas. un jour, elle te ramènera peut-être un mec plus vieux qu'elle, t'en sais rien. » souriais-je, doucement, avant de me concentrer à nouveau sur la route.

c'est qu'il deviendrait émotif, le vieux. à l'écouter, j'étais vraiment sa super-héroïne de la journée. il devrait le savoir, pourtant, que je ne suis pas du genre à laisser tomber mes amis quand ils en ont besoin, et même quand ce n'est pas le cas. « dis toi que t'es pas prêt de te débarrasser de la p'tite hoover. » souriais-je. « merci, le vieux. » répondis-je simplement, en ébouriffant ses cheveux. pour une fois, j'ai bien le droit de me venger.

on arrivait finalement devant le refuge. je coupais le moteur de ma bagnole avant d'en sortir, bien plus rapidement que lui. au point que je me retrouvais face à lui avant même qu'il ne soit complètement dressé sur ses jambes. dans un sourire narquois, je croisais les bras. « depuis le temps que j'te le dis, que t'es vieux. allez, viens ou j'vais te chercher un déambulateur sur le chemin du retour. » me moquais-je gentiment, en attendant qu'il clopine à côté de moi.