Tu regardes le gars que t’as en face de toi alors que tu viens de passer une grosse demi-heure avec lui. Si aux yeux des autres ça peut sembler particulièrement aguicheur comme boulot, toi tu restes professionnelle en ne dépassant, au grand jamais, les limites. T’es pas du genre à sauter sur tout ce qui bouge, et même si t’as déjà eu des invitations ou encore des essais de mains baladeuses, t’as toujours refusé bien gentiment. T’es pas là pour ça, t’es juste là pour faire ce que t’aimes. Ces massages, tu t’y consacres avec beaucoup d’envie et ce, avant même que tu t’envoles pour la Norvège. T’avais déjà voulu te former, tu n’as donc fait que te performer au cours de ton voyage. Un moyen pour toi de penser à autre chose, de gagner la confiance de tes clients et puis surtout un moyen d’oublier tes cours que tu n’aiment pas particulièrement. Tu gratifies ton client d’un sourire avant de t’éclipser pour récupérer des serviettes, de l’huile et tout ce dont tu auras besoin pour tes prochaines séances et tu t’octroies un moment de répits. Tu prends un carré de chocolat noir dans ton sac, tu portes le culot de ta bouteille d’eau à tes lèvres pour dire de te maintenir en forme et tu te postes juste devant le miroir de la pièce où tu offres tes massages. Tu tentes de relever tes cheveux en une queue de cheval et veille à ressembler encore à quelque chose. Dans le miroir, tu y aperçois un visage que tu ne connais que trop bien, que t’as longtemps essayé d’oublier. Si la Norvège t’a aidée à te changer les idées, depuis ton retour tu peines à laisser ton passé de côté « T’as rien à faire là, y’a d’autres masseuses, Tiago. » lui dis-tu du tac-o-tac. C’est plus fort que toi, t’as pas envie d’être aimable avec lui, pas après ce qu’il t’a fait vivre. Pourtant, tes massages il les connait, il a probablement été un de tes premiers clients autrefois, bien qu’à lui tu le faisais pour ton plaisir à toi, à lui ou simplement à vous. Juste à vous. Aujourd’hui, t’as plus envie de jouer à ce jeu-là, t’as tourné la page. Du moins, t’as essayé et t’avance petit à petit « Je suis sûre qu’elles seront très ouvertes et beaucoup plus accueillante que moi et c’est pas ton genre de rechigner devant de jolies jambes, non ?» Encore une fois, t’as pas pu te retenir. T’as pas envie de faire d’effort, pas là non.

Tu viens de relever tes cheveux pour en dégager ta nuque, et être un peu moins dérangée par tes mèches lorsque tu masses les gens qui se présentent à toi. Tu ne fais pas ça pour l’argent, parce que tu n’as pas besoin d’un petit boulot, comme certains autres étudiants. Toi, ton père te paie tout ce que tu veux. Mais ça te plait, ça te change les idées et ça te détend, toi aussi. Lorsque ton portable sonne, tu lis le message de ton paternel qui t’envoie des photos de New-York illuminés pour les fêtes de fin d’année. Depuis que t’es gamine, t’as les étoiles plein les yeux lorsque la ville où tu as grandi se fait belle pour Noël, ou pour passer à l’année suivante. Sauf que depuis trois ans t’as mis tout ça de côté, et cette année, tu n’as pas réellement envie d’y aller non plus. T’aimerais, oui. Mais les souvenirs te retiennent. Tu ne t’attends pas non plus à croiser Tiago dans le miroir sur lequel tu poses ton regard. C’est toujours plus simple les textos, que se trouver face à face. Pourtant, tu éprouves toujours aussi de rancœur, peut-être même plus encore. Mais ça te blesse aussi de le voir là, debout, alors que t’as littéralement changé de pays pour le fuir lui, et tout ce qui s’en rapproche. « T’es franc. T’as pas peur que j’en profite pour me venger ? » si ça sonne sur le ton de l’humour, au fond t’es toujours aussi blessée, bien que tu ne lui souhaites pas une mort atroce, pas même de tes propres mains. « Quoi que je ne t’arriverais pas encore aux chevilles. T’es tellement parfait pour faire du mal aux gens. » Tu ne le regarde même plus, tu cherches juste un peu de force pour au moins te retourner et être face à lui « Qui te dit que je ne couche pas avec mes clients ? J’ai été à bonne école pourtant, non ? » Tu finis par te retourner vers lui.  « Si tout ce que tu m’as dit était réellement sincère, je ne suis pas certaine que ce soit une bonne idée que ce soit moi qui te masse, Tiago. Ni pour toi, ni pour moi. » Tu parles plus pour toi que pour lui, en réalité. Tu sais que tu ne veux plus de contact avec lui, encore moins de contact physique. Tu le sais parce que si t’es partie en Norvège pour oublier, autant dire que revenir ici semble te rebooter le cerveau 3 ans en arrière. Pourtant, t’avais vraiment l’impression d’y être arrivée. Tu te diriges vers la porte de la pièce, que tu prends la peine de fermer pour éviter que quiconque entende quoi que ce soit de ta vie privée. « Bon, pourquoi t’es là exactement ? »

T’aurais préféré ne pas vraiment te retrouver face à Tiago. Si vos échanges SMS avaient fini par prendre une tournure plus calme, le fait de l’avoir devant toi te plonge dans ta rancœur, celle que tu nourris depuis plusieurs années. Tu n’avais jamais vraiment imaginé à le voir là où tu passes plusieurs heures par semaine, ni à faire de lui un de tes potentiels clients. Tu lui adresses un regard rempli d’incertitude et de méfiance. Tu le connais, tu sais qu’il a cette facilité déconcertante de te toucher avec ses jolies paroles. Le problème, c’est que tu n’oses plus lui faire confiance. Tu n’oses pas avaler ses paroles et si ordinairement, les belles paroles des gars que tu connais à peine, tu arrives à ne même pas y faire attention ; tu te rends compte que c’est plus difficile avec Tiago. Lui, t’as vécu de jolies choses, mais aussi des moins belles. Et malheureusement, tu ne retiens que ce qui t’as réellement fait souffrir, et tu envies les bons moments que vous passiez autre fois. Mais étaient-ce réellement sincères ? Pour toi oui, mais pour lui, tu doutes. En fait, tu as tout remis en doute le concernant. Et là, pourquoi s’évertue-t-il encore alors ? Des questions qui te bouffent à chaque fois que tu vois son prénom apparaitre sur ton portable, à chaque fois que tes yeux se posent sur son visage « Je crois que tu n’as aucune idée du degré de rancœur, sinon tu ne me pousserais pas à te faire souffrir autant que toi tu m’as fait souffrir. » . Tu soupires en entendant ses excuses, qui te passe un peu par-dessus la tête. Tu le mets dans le même sac que tous les mecs, finalement. Il n’y a qu’à voir ceux qui font partie de ta confrérie, ils sont tous pareils. T’as pas encore connu d’exception et t’es loin d’y croire, en fait. « Vous, les mecs, vous faites des conneries et après vous êtes désolés. Et nous, on doit vous pardonner, et puis vous regarder recommencer vos conneries. Vous êtes influençables, vous êtes faibles et ça changera jamais. Vous vous prenez pour les rois du monde, mais vous n’êtes rien de plus que des chiens qui remue la queue dès qu’une paire de belles jambes se présente. Si nous on faisait le quart, on se ferait traiter de pute. Alors excuse-moi, mais toi et toute ta clique vous n’êtes que des gigolos, incapable de réfléchir autrement qu’avec ce qu’il a entre les jambes. Alors non, je ne crois pas à tes désolés, parce que lorsque l’occasion se présentera, t’auras oublié toutes tes excuses et j’estime que j’ai déjà été relativement bonne avec toi, mais je ne serais pas trop conne… Vous êtes des animaux, rien de plus et moi je suis pas zoophile. » Tu le fixes du regard. Tu as conscience de la méchanceté de tes paroles, mais tu ne crois pas réellement à toutes ses paroles et si tu te laisses de temps en temps attendrir par ses jolis messages, tu te rends compte qu’à force d’y songer, tu n’es absolument pas capable de lui faire confiance « Je te l’ai dit. Je veux des preuves en béton armé et n’oublie pas que tout se sait et que t’es pas irremplaçable. ».

T’es pas le genre de meuf à coucher à droite à gauche. Tu fais des rencontres, parfois t’as envie de t’amuser, mais il est évident que tu n’es pas du genre à te laisser aller dans n’importe quel bras. T’as beaucoup plus de volonté que ça, beaucoup plus de caractère aussi « Non, mais je suis humaine, moi. Et je n’ai pas fait don de chasteté le jour où t’as décidé de ruiner notre couple. ». Dois-tu réellement accepter de le masser ? Non. Mais accepterais-tu réellement qu’une autre le fasse ? Oui et non. Oui parce que ça t’éviterait ce contact physique avec lui et non parce que tu refuses qu’une autre le fasse. Tu le repousses, mais tu ne l’oublies pas, tu ne reste pas indifférente non plus. Toi ce que tu voudrais, c’est qu’il n’ait pas envie de se faire masser et qu’il reparte d’où il est venu. Ca semble bien plus compliqué, vu la détermination. A nouveau tu le fixes alors que t’es proche de lui « Ok. Mais tu demandes le tarif minimum, tu gardes tes fringues et tu profites pas de la situation en demandant des trucs que t’aurais jamais demandé à une autre. Tu restes un VRAI client, je veux dire.» T’as peur de flancher, clairement, mais t’espère avoir assez de volonté pour garder tes distances.

T’aurais sans doute aimé que ce soit plus simple. Qu’on t’ait fait un lavage de cerveau et que tu ne te rappelles en rien de ce qu’il s’est passé avec lui autrefois, si ce n’est les bons moments. T’étais impatiente et désireuse de ces moments avec Tiago. Les plus simples comme les plus importants : te caler à ses côtés pour regarder un film, ou simplement regarder l’écran de ses jeux-vidéos. Tu ne cherchais pas spécialement à l’en détacher, juste à ressentir sa présence auprès de toi. T’aimais vos fous rires, ou encore vos coups de folie. T’aimais te réfugier au creux de ses bras, ou te perdre dans ses draps. T’aimais lui murmurer des mots doux alors que tes lèvres frôlaient déjà les siennes. Tous ces instants-là, t’as l’impression que tu ne les revivras jamais, pas avec lui en tout cas. Ils n’auront pas la même sensation, pas le même goût non plus. Comme te dit ta sœur, il n’est pas le seul sur terre. Tu pourras toujours retomber amoureuse d’un autre, mais t’es pas encore à cette étape… Non, toi t’essaies encore d’oublier, mais tu manques cruellement de volonté, parce que t’as un goût d’insuffisant, d’inachevé. Tu l’écoutes te parler de la douleur qu’il ressent et si t’étais sadique puissance 1000, t’aurais au moins envie de crier un gros « tant mieux ». Mais même ça, tu ne le fais pas. « Alors comme ça tu vois ce que moi j’ai ressenti à chaque fois que t’allais voir ailleurs, Tiago. Que ça te serve de leçon, t’y réfléchiras deux fois la prochaine fois que tu tromperas celle que tu dis aimer. » Tu fronces les sourcils, t’es persuadée de tes paroles, t’y crois vraiment même si au fond, ça te fait mal de penser tout ça de lui alors qu’il a aussi été le seul que tu aies réellement aimé. Alors l’entendre rectifier tes dires, ça te plait moins, parce qu’il fait appel à ta confiance ; confiance que tu n’as plus le concernant, ni concernant les hommes en général en fait. Tu as cette fâcheuse habitude de les mettre tous dans le même sac, parce que celui qui se trouve en face de toi t’a poussée à le faire « Tu ne le fais pas parce que tu sais que si tu le fais, t’as ma main dans ta figure non ? » dis-tu en arquant un sourcil en attendant de voir sa réaction. En réalité, tu sais que tu n’es pas violente, tu n’es même pas sûre de réellement réussir à rester inébranlable, alors quelque part, t’es bien contente de voir qu’il se retient. « Ah non ? Pourtant t’as souvent eu l’habitude de l’oublier en allant t’amuser avec la première paire de fesses qui te passait sous le nez… » Calme toi, Mel. Tu sais que ça ne mènera à rien ce genre de discussion, d’autant plus que tu n’as pas arrêté de lui rabâcher la même chose depuis que vous avez échangé par sms. T’as posé tes conditions, des conditions pas réellement pratiques dans ton boulot. Tu le fais pour t’aider, mais lui comme toi savez que ce n’est pas réalisable et il ne se retient pas de te le faire remarquer. Tu te mordilles la lèvre inférieure, pas certaine d’avoir envie de ce contact physique. Ou peut-être que si, que ça te manque au fond, mais t’as pas envie de replonger « Bon okay. Mais tu restes sage Tiago. Tu peux pas m’avoir comme ça, sinon c’est de la triche. » dis-tu en continuant de le regarder « T’es vraiment venu par hasard ici ?... Sincèrement pour une fois… » lui demande-tu en attendant qu'il se mette à son aise pour que tu puisses accéder à sa demande

Tu ne veux pas réagir à ses mots. Parce que tu ne veux pas te laisser avoir si facilement à de jolies paroles. Pendant longtemps, tu l’as écouté te sortir les mêmes chansons pour te pousser à lui pardonner, mais cette fois-ci, tu n’as plus envie de te faire avoir. Tu lui en veux, c’est un fait. Tu ne comprends même pas comment il fait pour oser se pointer là, après ce qu’il t’a fait vivre. Lorsque tu le vois sourire à tes menaces, tu fronces les sourcils. T’es sérieuse, tu comptes bien lui en coller une si réellement il vient à abuser de la situation « Et en quoi je me mens ? » tu piges pas trop où il veut en venir, alors que t’es carrément prête à mettre tes menaces à exécution « tu ne devrais pas me chercher, Tiago. Si je devais te faire souffrir au même tarif que toi, une centaine de gifle n’atteindrait même pas la moitié de l’effet escompté. » tu croises les bras sur ta poitrine lorsqu’il continue sur sa lancée. Ses paroles viennent te heurter, tu doutes d’avoir bien compris « et on peut savoir ce que tu attends de moi, au juste ? » Toi, tu ne veux plus prendre de risque, tu ne veux plus lui faire confiance, tu ne veux plus l’aimer non plus. Tu veux rester loin de lui pour pouvoir vivre ta vie comme tu l’entends, et surtout, pour pouvoir réapprendre à aimer un homme qui le mérite réellement. T’es conscience que ça va encore être long, que t’as du pain sur la planche, d’autant plus s’il vient rameuter sa jolie bouille à chaque fois que tu essaies d’oublier ses traits que tu ne connais que trop bien, pour ne pas dire par cœur. Son visage, tu l’as admiré tellement de fois, tout comme t’y as déposé tes lèvres presque autant également que tu pourrais le dessiner dans les moindres détails si seulement t’étais agile avec un crayon. Finalement, t’acceptes sa requête, avec des conditions. T’accepte difficilement, au point d’avoir même tenté de lui interdire de retirer son haut. Tu peines à garder ton regard fixé sur son visage lorsqu’il découvre son torse une fois son t-shirt retiré. Sa voix te ramène dans l’instant présent et tu te jettes une gifle mentale d’être aussi faible, pour le coup « C’est donnant-donnant. Je reste tranquille si tu restes tranquille et comme je vais avoir le contrôle, je te conseille de vraiment rester tranquille » dis-tu en te mordillant de nouveau la lèvre, juste pour le provoquer, au moins un peu. Il est venu pour ça, non ? Tu le laisses s’installer sur ta table de massage alors que de ton côté tu te diriges vers l’étagère où se trouve l’huile que tu utilises pour les massages. De retour vers lui tu finis par poser tes mains sur ses épaules pour effectuer des mouvements délicats et lents avec une légère pression « Tu voulais me voir pour ? Voir les dégâts que t’as fait ? Si je suis toujours cette pauvre fille au cœur brisé qu’on regardait comme une accidentée de la route ? »