8h, dimanche 04 août. Les yeux embués, j'analyse un peu inquiète mon environnement. Une chambre sans âme, une vue imprenable sur l'inconnu, des valises à peine déballées. Je suis où putain ? Mes illusions nocturnes laissent finalement place à mes souvenirs de la veille. J'étais enfin arrivée à Toronto. Et c'était non pas sans mal. C'est pourtant pas si loin de l'Ohio, mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué, hein ? Le fait est que je suis arrivé relativement tard. Je n'ai rencontré personne mis à part les encadrants. Enfin personne ... J'ai certainement croisé quelques créatures nocturnes d'Harvard, mais difficile de reconnaître des visages inconnus surtout quand on est soi-même une inconnue. J'enfile ma tenue de sport, j'avale un petit dej' léger et je trace ma route jusqu'au parc le plus proche. Google maps m'amène dans un petit parc ultra sympathique et peu fréquenté. Il est 9h, j'entame quelques exercices et profite du presque-calme de la ville avant d'appréhender le reste de cette journée qui marquera le début de mon expérience à Harvard. Ironiquement, c'est à près d'un millier de kilomètres d'Harvard que cette expérience commencera.

Je n'ai jamais eu de grandes difficultés à me concentrer sur les objectifs que je me fixe. Après tout, je me les fixe pour une raison. Mais il faut avouer qu'un tel environnement à la fois étranger et familier me pousse à la distraction. Familier, car finalement Toronto n'avait pas l'air si différent d'autres grandes villes nord-américaines qu'il m'ait été donné de voir. Mon regard voltige entre les hauteurs des buildings qui m'encerclent pendant que j'enchaîne les exercices, puis il décide finalement de se poser sur cet homme. Ma solitude n'était plus, tout comme le silence qu'il brisa. Depuis combien de temps était-il là, à m'observer contempler avec béatitude les environs ? Peut-être un bon moment, il est parfois difficile de m'extirper de ma bulle. Toujours est-il qu'en cette fraîche matinée, il n'était pas désagréable de voir un tel pédigrée. Il avait définitivement un accent, mais difficile à dire s'il était canadien. Ça m'importait relativement peu, en fait. Son corps était un langage à lui tout seul. Je dirais plutôt qu'on est les deux seuls fous. Faut quand même avoir des cases en moins pour faire du sport un dimanche matin ! Je poursuis mes exercices, l'air indifférente. Sans manquer bien sûr de jeter un dernier coup d’œil sur l'apollon qui avait décidé d'entraver définitivement ma concentration.

Il se fait de plus en plus difficile d'avoir l'air concentré sur mon programme. Je brasse surtout de l'air au lieu de faire du sport, je m'en rends bien compte. Les muscles saillants et le charme évident de mon nouvel acolyte avaient eu raison de moi, à ce stade. C'est tout moi ça, premier jour de vacances et déjà un homme dans le viseur. Son énergie était tout à fait particulière, ou bien était-ce celle de la ville ? Je me fichais pas mal de savoir qui il était, où il vivait ou ce qu'il faisait. Son lit en revanche, m'intéressait. Hors de question de le montrer, cela dit. Mon air indifféré et ma moue naturelle laissaient émaner de moi cette aura de femme difficile à convaincre, à intéresser. Donner l'impression d'être inaccessible ensorcelait les hommes, et je l'avais bien saisi. Le matin en général, quand je peux en fait. Et fort heureusement, ce matin je pouvais. Mes exercices commençaient à tourner en rond.  Je comptais faire le tour du parc, mais bien loin de moi l'idée de m'éloigner de lui pour le moment. Je stoppe, bois un coup l'air essoufflée du peu que j'avais fourni et le regarde faire. Vous êtes du coin ? J'espérais bien. Il vit peut-être chez sa mère ? L'angoisse. Si jamais c'est le cas, je suis prête à tailler un sprint.

Visiblement, je n'étais pas discrète. Plus je baladais mes yeux autour de ses muscles, plus il avait l'air d'être volontairement sexy. Pas que ça me dérange, cela dit. Mais s'il y a bien une chose qui me peut se transformer en tue-l'amour, c'est un homme qui s'aime un peu trop. On dirait pas comme ça, mais les petits mouvements claqués que je fais depuis maintenant une dizaine de minutes me donnent chaud. Je serais presque transpirante. Ça craint. Du moins j'essaye de me persuader que ça vient de mes exercices. Ce qui n'avait pas l'air de tellement l’embarrasser, on en était déjà au stade du tutoiement visiblement. Il n'est même pas de Toronto, je suis presque déçue. Ah dommage... Moi qui aurais rêvé de me faire un local ! Putain mais je viens vraiment de dire ça ? Je me rends compte du degré de connerie de ce que je viens de dire, mais il est déjà trop tard pour me rattraper. Et difficile de savoir si mon rire confus allait être suffisant pour me venir en aide. La voilà bien déroutée, la soi-disant "inaccessible". Puis pour l'image de la michto on est au top, là. Je rigole, hein. Pas du tout. En tout cas pour sa part, il n'avait rien d'un lourdaud. Il se souciait même de savoir s'il me dérangeait. Non non t'inquiètes, j'étais pas vraiment dans l'optique de me donner à fond de toute manière. Je suis en vacances, quand même. J'arrête mon cinéma avant de vraiment devenir une éponge imbibée de sueur. Je me pose sur le banc, bois une gorgée de mon eau et fais une nouvelle fois voyager mon regard entre les gratte-ciels.

Première remarque importante : il a de l'humour. Et je dois dire que c'est quelque chose qui se perd de nos jours. Les mecs flippent à la moindre occasion, maintenant. Une femme qui sait ce qu'elle veut ? Next. Une femme un peu trop entreprenante ? Next. Pas assez entreprenante ? Next et encore next. Je voyais bien qu'il avait la maturité d'un trentenaire, et c'est tout à fait ce qu'il me fallait. Après plusieurs années passées à l'université et avec encore plusieurs années devant moi, je dois dire que quelqu'un un peu hors de cet univers me ferait le plus grand bien. Même si c'est pour quelques instants seulement. Et si en plus c'est un Européen : Jackpot. Encore plus simple de couper les ponts une fois que l'envie me viendra. Dis rien, laisse moi deviner ! Hum... Anglais ? J'analyse ses traits, ses mimiques, son attitude. Je me reprends rapidement. Non ! Français, c'est ça ? J'avoue que les occasions de rencontrer des Européens n'ont pas forcément manqué dans ma vie. Mais il avait ce genre de visage à la nationalité indétectable. Qu'il soit russe, italien ou français, rien ne me surprendrait vraiment. Deuxième remarque importante : il vient de dire que j'étais grosse là, ou je rêve ? Mon regard un peu interrogatif, relativement similaire à mon regard froid d'ailleurs, l'a un peu poussé à se rattraper. Il valait mieux. Même si je voulais forcer, je vois pas ce qui m'en empêcherait. Et voilà, une remarque à peine de travers et elle s'embarque, la Calypso. Désolé. Et un autre rire gêné. Il est du genre à en avoir vu des femmes dans sa vie, je ne pense pas que ce changement d'ambiance l'ait beaucoup perturbé. La preuve en est, j'ai gagné un café. C'est clair que je vais avoir besoin d'une douche avant, mais... Va pour un café. Et hop, le petit sourire discret qui va avec. J'ignorais s'il habitait dans les environs ou même s'il habitait ici tout court. Je lui donne le nom de mon hôtel, ça peut être utile. Je suis au Sheraton, je prends ma douche et on se retrouve là-bas ? Tu vois où c'est ?