Paupières closes, je prends de mon souffle là au cœur de la verdure. Peu importe qu’elle soit entourée du béton de Cambridge, ici mes heures solitaires perdurent, l’écrin se protège à l’abri du monde, parenthèse fine au cœur du tumulte. J’oublie. Le bon, le mauvais, le doux et l’amère. Je laisse libre mes pensées de voguer, tantôt vers le sombre ensuite vers le clair. Je ne perçois même pas cette amorce de sourire qui vient poindre à mes lèvres, j’ai cet air tranquille et peut-être même un peu moins sévère. Les cheveux libres et sans artifice au visage, je me repose tout simplement, un livre ouvert entre mes mains, je n’ai pas avancé les lignes depuis de longues minutes. La réalité m’appelle néanmoins, mes paupières s’érigent pour laisser place au délavé des prunelles. Je le vois lui, tapi dans l’ombre des feuillages, à l’abri sur un banc, écouteurs aux oreilles défilant sans doute une singulière musique. Un peu comme lui. Un peu comme sa sombre prestance. Un voisin lors de mon voyage vers les terres celtes qui n’a prêté aucun égard au monde qui l’entoure. De cette obstination que je connus bien autrefois, mon cœur s’est laissé surprendre par une tendresse débordante. Pour un inconnu, un homme dont je dessine des lignes. Imaginaires, que sa peau pourtant rend bien plus réelle, je construis des traits, je lui invente un caractère, je résonne de nos ressemblances que je rêve sans doute dans nos silences. Je ne prends pas garde à mon regard qui insiste sur sa personne, à mes orbes qui défient mon imagination, qui m’indique intérieurement de taire ce tumulte, de bâillonner ce cœur qui gronde de mes histoires sans doute un peu trop grandes. Je persiste tandis que lui m’ignore, là où le monde fuit mes éclairs, il ne semble même pas les recevoir. Nourrissant ainsi l’étrange intrigue que je mûris à son égard.

Je ne sais pas pourquoi je nourris cette fascination étrange à ton égard. Pourquoi mon regard s’attarde où ceux des autres fuient ? Sans doute parce que je souffre du même mal même si les raisons nous séparent. Je suis une marginale, une maudite dans mon propre monde, l’aveu incarnée de la trahison, d’un adultère. Une petite fille aux yeux trop pâles et aux mèches bien trop sombres. Je peux voir du similaire dans ta personne, une âme toute en contraste. Je t’imagine un monde, une vie même, je crée une histoire à partir de ton image et je suis bien consciente que quelque part, je suis un peu folle de réaliser une chose pareille. Je suis toute absorbée par ma rêverie, occupée à peindre des couleurs dans l’imaginaire de cette vie que je construis te concernant lorsque tu te relèves subitement. Mon corps se redresse lui aussi, attentive, concernée par un étranger, le livre m’échappe des mains et j’ai soudain peur d’être découverte dans ma folie. Mais tu n’entends pas, ta musique toujours vissée aux oreilles, ton âme toujours happée dans ta bulle. J’entends, je perçois, ce râle qui s’échappe de tes lèvres surprises, ta fuite vers les bois plus sombres. J’en reste interloquée quelques minutes. Quelques secondes peut-être. Dois-je te poursuivre ? Ou me contenter de rester une anonyme sur ce banc, une simple spectatrice avec une imagination trop grande. Mais la curiosité est plus forte, l’envie de savoir pressante. Je ne sais même pas si un danger te guette. Alors ma raison se range consciencieusement dans mes méandres, mes pas dictent l’action, me pousse à te rejoindre sous les lueurs plus sombres et forestières. Je distingue ta silhouette au loi, j’entrevois les lignes ébènes qui parcourent ton exsangue. T’es une balafre à toi tout entier, un écorché qui ne peut se permettre de hurler le mal. « Tout va bien ? » que je demande en restant à distance. Je ne sais pas pourquoi je suis là, je ne sais pas pourquoi je te suis dans ton monde. Tu ne l’ouvres pas et je m’y introduis, inconsciente du danger ou bien même du mal que je pourrai y provoquer.

Je suis une figure étrange à l’orée de cette verdure sertie au cœur de la jungle urbaine. Comme une illusion de nature dans les méandres de l’asphalte. On s’échappe, on oublie la réalité, et j’élude un instant que c’est après un inconnu que je cours. Que je suis le petit chaperon qui poursuit le loup. Je n’ai pas conscience du danger. J’ai cette impression d’une course interminable, moi qui ne suis pas apprêtée pour le sol meuble d’une terre à nue. Mes talons s’adaptent bien mieux à la dureté du béton, et je décide de les abandonner assez vite. Sauvageonne apprêtée d’un tailleur. Etrange, toujours finalement. J’écarquille les yeux lorsque ton arme se pointe sur ma silhouette. Je n’ai pas peur. Parce que j’ai l’habitude de manipuler ces mortels métaux et que je devine surtout la crainte qui vient animer ton geste. Tu as tout de la proie acculée. De l’homme trop blessé qui tente à tout prix de se défendre. Ce sont les lignes que je trace pour ta personne et il est trop tard pour réaliser si je fais bonne route ou non. « Oui dans l’avion pour Dublin. » que je décide d’avouer en ne perdant rien de mon assurance. Je viens d’avouer que je te suis sans te connaître quelque part. Mais je suis étrange. Sans doute plus étrange encore que toi. « Juste savoir si vous allez bien. » Je lève mes mains en signe de passivité, comme pour abjurer la violence de mes phalanges. Je laisse battre mes paumes soumises à cette lumière qui entrecoupe les feuillages. Tu ne peux nier l’évidence. Je ne suis pas là pour te faire du mal. Mais je suis étrange.

Tu es étrange, une énigme à toi entière et il s’avère que je suis bien trop curieuse. De ta fuite, je me lance dans une poursuite qui n’a aucun sens. Me voilà ainsi pieds-nus et devant faire face à une arme. Mon entourage s’énerverait de me voir dévoiler si peu de prudence à ton égard. Je t’imagine inoffensif mais je n’en ai pas la moindre idée pour être honnête. Tu n’es qu’une esquisse de mon cerveau sans trop torturé. Mon souffle s’apaise néanmoins lorsque tu ranges ton flingue et que tu m’indiques que tu vas bien. Je ne comprends toujours pas ta fuite pourtant. Tes mains cherchent une cigarette et je me troupe happée quelques instants par les motifs qui te composent. J’ai pourtant eu à loisir d’observer des tatouages mais tu en es entièrement recouvert et sous l’encre, je devine les cicatrices. Je m’interroge sur ton histoire, sur les tortures que tu as pu subir. Je viens toutefois sortir un briquet de ma poche arrière, activant le mécanisme d’un revers du pouce, je laisse une flamme surgir entre nous. Je m’approche doucement, t’invitant à allumer le brin de poison de cette façon plutôt de d’opter pour un mode extrême de survie et sans doute beaucoup trop long. « Je m’appelle Deirdre. Et vous ? » Je décide de porter une lumière sur le mystère, de deviner le contour des lignes que je projette, d’éclaircir le mystère par une volonté que je ne maîtrise pas vraiment.

She remembers
w/ @Deirdre M. Wheelan
~~~~

Connor avait bien des défauts mais il était loin d'être inoffensif... Bien au contraire, son instabilité mentale le faisait souvent agir préventivement alors que le danger n'était pas avéré. Et même si son arme était retournée à sa place, les spasmes de ses mains indiquaient qu'il n'était pas encore calmé. Le noir qui composait à présent sa peau était intense comme si on avait passé et repassé plusieurs couches d'encres pour masquer ce qui pouvait se trouvait dessous. L'homme releva soudainement la tête lorsqu'il entendit le mécanisme d'un briquet, regardant enfin la jeune femme dans les yeux, elle put se rendre compte de l'intensité de ses prunelles mordorées. Son regard était profond, on pouvait avoir l'impression qu'il était en train de sonder son âme, de déchiffrer ses pensées. Connor se pencha dans sa direction, il poussa délicatement l'une de ses mèches derrière son oreille afin de ne pas l'enflammer au passage pour finalement allumer sa cigarette. A la première aspiration, les traits de son visage semblèrent se détendre légèrement. Les tremblements de ses mains cessèrent soudainement. Soufflant la fumée sur le côté, Grimm se redressa, il ne lâcha plus son regard, faisant languir sa réponse sans réellement le vouloir, il semblait vouloir décrypter la personne se trouvant en face de lui. "Grimm" Cela dura plusieurs minutes avant qu'il ne détourne finalement le regard pour s'asseoir sur un tronc abattu un peu plus loin. "Maintenant que je vous savais que je vais bien... Pourquoi restez-vous ?" Son ton semblait plus calme, moins paniqué. Comme si la cigarette qu'il avait entre les mains l'avaient aidé à reprendre pied avec la réalité de ce monde. En réalité, à présent qu'il avait pris conscience de sa présence et de son insistance à son égard, la jeune femme portant le prénom de Deirdre se mit à l'intriguer et la voir partir ne l'intéressait plus autant.

credits img/gif: tumblr
code by lumos s.

Je ne peux empêcher cette curiosité malsaine à ton égard et là où le mystère m’entoure habituellement c’est moi qui vient poser les questions. « Comme dans les contes ? » que je demande à l’énonciation de ton prénom. Je me souviens ce livre relié aux illustrations sombres que ma gouvernante avait remis entre mes mains, j’étais fascinée par ces histoires morbides soit disant pour enfant, il n’y avait rien de tendre là-dedans, juste des faits cruels. Est-ce que tu l’es toi ? Je ne sais pas vraiment, mais je devine qu’on l’a été avec ta personne. On reconnait la douleur quand on la voit. Tu viens me demander pourquoi je reste. Je hausse les épaules silencieuses, laissant mes phalanges reposer et explorer entre les feuillages. « Je ne sais pas. » dis-je finalement en saisissant les plantes entre mes doigts. « Vous n’êtes pas comme les autres. » Un peu comme moi, de ceux qui attirent le regard par leur silence, qui nourrissent le mystère sans même vouloir le faire. L’énigme avance, s’énonce de cinq nouvelles lettres. Grimm.

She remembers
w/ @Deirdre M. Wheelan
~~~~

Connor se mit à pencher la tête sur le côté, très légèrement à sa réponse que venait de lui donner la jeune femme. Il l'observa quelques instants, impassible dans son expression avant que son rictus ne monte vers son oreille dans un sourire à la fois beau et inquiétant, les traits marqués de son visage rendaient chacune de ses expressions presque monstrueuses. Mais Deirdre avait tapé dans le mille. "Exactement." En réalité et peut être qu'elle s'en doutait, ce n'était pas vraiment son prénom mais un surnom qu'il s'était donné avec le temps car chacun de ses frères et sœur avaient leurs propres pseudonymes. Et cela lui venait, en effet, des contes de frères Grimm qu'il avait lu et relus un nombre incalculable de fois durant son enfance. Connor savait raconter les histoires comme personne. Le sobriquet Grimm était donc venu tout naturellement. Il observa les mains de la jeune femme aller et venir dans les branchages, attentif et captivé à la fois. Sa cigarette continuait de se consumer entre ses lèvres mi-close sans qu'il ne la consomme réellement, respirant par le nez sans la lâcher des yeux. Sa cendre prit une forme de serpent au bout de cette dernière avant de tomber sur le sol. Silencieux comme à son habitude, il se releva sans un bruit, approchant de la jeune femme qui l'intriguait de plus en plus dans sa présence. Il tourna autour d'elle comme un rapace pouvait tourner autour de sa proie. Cela pouvait être effrayant dans le contexte actuel, seuls dans la forêt avec une dizaine de minutes de marches pour en sortir. "On me le rappelle chaque jour depuis ma naissance." La commissure de sa lèvre recommença à atteindre des sommets dans un nouveau sourire. "Mais vous non plus, vous n'êtes pas comme les autres... Personne ne se serait aventuré à me suivre dans cette forêt pour me demander si j'allais bien."

credits img/gif: tumblr
code by lumos s.