caractère « C’est le gendre idéal l’un des meilleurs partis de Grande-Bretagne », tu l’as entendu moult fois, ta mère, répéter cette phrase à toutes les dames de bonne famille qui ont une fille à marier. Tu as même presque failli y croire, à l’écouter en boucle. Après tout, c’est vrai que tu es facile à vivre : tu es plutôt du genre docile, et tu as très bon fond. Tu respires la gentillesse, peut être même un peu trop. Ça t’attire les bonnes grâces des gens, mais ça t’amène également une bonne poignée de vautours qui veulent en profiter. Surtout qu’il est facile de t’influencer, parce que ce que tu sais faire de mieux, c’est le caméléon : tu sais t’adapter aux gens, à ton environnement, tu es un vrai passe-partout. En dépit des situations tu ne t’énerves jamais, c’est ton côté diplomate, tu es assez habile pour lisser les situations. Puis aussi loin que tu t’en souviennes, on t’a toujours répété « Qu’est ce que tu es beau Alexander ! ». Ta mère, ton père, tes grands parents, tes amourettes adolescentes. Tu ne te trouves pourtant rien de spécial - c’est peut être ça qui plait aux autres, ta gueule d’ange impeccable. Tout ça pour dire que tu pourrais, en effet, être le gendre idéal que ta mère aime si bien vendre. Le problème, il n’est pas là : tu as toujours préféré les princes aux princesses dans les contes de fées. Et ça, même ta mère ne pourra rien y faire. Ça t’embête presque, parce que dans le fond tu aimes bien lui faire plaisir, elle le mérite. Tu aurais aimé lui ramener la belle-fille royale dont elle rêve tant, mais tu ne peux pas. Tu ne peux pas non plus lui dire : tu n’imagines pas faire un pas en dehors du chemin qu’elle t’a tracé sans qu’elle ne syncope. En Amérique, tu es beaucoup plus libre, tu peux agir plus ou moins comme bon te semble et avec qui tu le veux, mais les quelques fois où tu te montres à Londres, il faut faire bonne figure. Redevenir le prince parfait, loin du « nouveau toi ». Tout ça parce que tu n’aimes pas t’imposer, surtout face à ta mère. Tu ne veux pas la blesser, ni elle ni les autres. Alors tu te fais discret, cordial, et tu te plies aux règles. Tu ne donnes donc pas souvent ton avis, sauf si on te le demande. Jusqu’ici, tu n’as pas eu à te plaindre : les autres se sont très bien débrouillés pour toi : tu as intégré une université prestigieuse, tu as beaucoup d’amis, tu mènes une vie épanouissante… Enfin, ce sont aussi des prétextes derrière lesquels tu te caches, pour ne pas avoir à affronter le véritable Alexander qui ronfle au fond de toi depuis bien trop longtemps. Mais après tout, tu te demandes parfois : n’est ce pas normal d’être prisonnier de ce genre de chaînes, quand on s’appelle Windsor ?

admission à harvardQui a choisi ta première école ? Mère. Qui a choisi ton collège ? Mère. Ton lycée ? Mère. Alors a ton avis, qui a choisi Harvard ? Toujours la même. Enfin, tu ne t’en plains pas. Tu n’as pas vraiment grand chose à redire : ça aurait pu être pire, tu aurais pu rester prisonnier de l’Angleterre et des murs froids d’Oxford. L’Amérique, tu préfères : pour une fois, tu étais d’accord avec les choix de ta mère. Tu n’as pas eu beaucoup de mal à réaliser ton rêve américain : mère sait s’y prendre, tu as toujours eu la meilleure éducation et pour contenter tout le monde tu t’es surpassé dans ta scolarité. Les tests, les entretiens… Quand on s’appelle Windsor, on appréhende ça avec un peu plus de confiance. Si bien qu’après une première année à Oxford qui t’en a paru durer 100, tu as intégré Harvard, pour poursuivre tes études en relations internationales. Tu as également pu poursuivre ton apprentissage du français, sans savoir te débarrasser de ton horrible accent.

story of my life







« - Bonjour David. Vous savez, vous n’avez pas besoin de m’escorter a chacun de mes déplacements. Il fait beau, j’aurais pu me débrouiller seul pour rentrer à Cambridge.

- Bienvenue monsieur. J’entends, seulement vous connaissez votre mère…

- Trop bien, malheureusement

- Je vous en prie » il t’ouvre la portière avec beaucoup de manières.

- Vous pouvez me déposer sur le campus ? 

- Monsieur Windsor, vous savez très bien que votre mère…

- Quoi encore ?

- Elle n’a pas apprécié que vous lui mentiez. Elle insiste pour que vous viviez dans votre appartement. Elle n’aime pas que vous logiez sur le campus »

- … Je déteste cet appartement. On s’y croirait à Londres, en plein Massachussets. Vous-y croyez ?

-  Je ne fais qu’obéir, Monsieur, je…

- J’ai compris n’en dites pas plus. Ma mère, le protocole, les ordres, j’ai saisi. Déposez moi ou vous voudrez. 

- Je suis désolé monsieur. Racontez moi plutôt votre séjour à Londres. Comment était-ce?

- Agréable. Mais long. Maman m’avait manquée, même si j’aurais pu me passer de  toute ses réflexions. J’ai l’impression de ne jamais la satisfaire.

- Je suis sur que votre mère ne fait que s’inquiéter pour vous, vous êtes si loin des votre. Vous savez, elle a toujours été très exigeante. Avec vous ou votre frère.

- Si vous le dites. Mais William, il s’en sort lui. Je sais pas, peut être que je ne suis pas à la hauteur. Peut être qu’on m’en demande trop. 

- Vous êtes un Windsor. Ce n’est pas facile à assumer, mais vous n’avez pas le choix. Le… 

- Pas le choix ? Alors vous pensez comme eux…

- Monsieur, je voulais simplement…

- STOP ! A-arrêtez vous. J’ai passé une semaine à Londres à crouler sous les remarques. Taisez-vous et roulez.

- Excusez-moi monsieur.

- … N-non, excusez moi David. Je ne sais pas ce qui m’a pris. C’est ce séjour, le voyage, je crois que je suis un peu trop tendu. J’aurais du vous parler autrement. 

- Vous savez, si vous avez besoin d’une oreille la mienne est grande ouverte. Ce qui se passe dans ma voiture reste dans ma voiture. 

- Merci… A vrai dire ça me ferait peut être du bien. Vous avez peut être entendu parler des fiançailles…

- J’ai peut être entendu quelques rumeurs.

- C’est plus que ça. Mes parents prévoient vraiment de me fiancer à je ne sais plus quelle princesse. C’est complètement dingue, je veux dire on est plus en 1950. J’ai 26 ans merde, et j’ai l’impression que ma vie m’échappe.

- Je vois… Peut être devriez-vous prendre les devants, contourner le problème en présentant des jeunes filles à vos parents ?

- Il est bien là, le problème… 

- Quoi donc ? Vous avez pourtant beaucoup d’amis, vous êtes intelligents, plutôt beau garçon, je suis certain que vous devez plaire à certaines de…

- David. Ne vous voilez pas la face. Je veux bien que Maman et Papa ferment les yeux, mais je n’ai pas besoin de ça, avec vous. Vous m’avez vu ramener beaucoup de femmes, à l’arrière de cette voiture ?

- Non, monsieur. 

- Mais vous savez aussi bien que moi ce que ça signifie. J’ai l’impression d’être prisonnier de la couronne. Depuis que je suis né, j’obéis - je ne fais que ça. J’ai étudié comme on me l’a demandé, j’ai appris les bonnes manières comme on me l’a demandé, j’ai fraternisé avec les personnes que l’on m’a conseillé, j’ai appris le piano parce que cela donne un bon genre, je n’ai jamais fait d’écart. Mais aujourd’hui, j’en ai assez. 

- Je ne sais pas quoi vous répondre, monsieur. Vous savez, le sang royal… 

- On en revient toujours là. Le sang royal. Merde quoi, je devrais m’infliger ça juste parce que je suis l’arrière-arrière petit fils de George V ? Je veux dire, jamais je ne toucherais la couronne d’Angleterre de ma vie, et personne ne s’intéresse à moi excepté quelques royalistes fanatiques. Alors pourquoi tout le monde ici se prend tant au sérieux ?

- Réfléchissez monsieur, la maison de Windsor a plus avoir que la couronne, elle dépasse cela, elle est… 

- … Un héritage dynastique porteur de valeurs, de devoirs envers le pays… Je la connais, la rengaine. C’est juste que… J’aimerais être quelqu’un de normal, parfois. Que tout le monde me regarde comme on regarde n’importe qui. Que Maman arrête de projeter tout ses fantasmes princiers sur moi. Que je puisse faire mes propres choix, pour une fois dans ma vie. Mais non. Soit discret, sois sage, ne fais pas de vagues, on me l’a assez répété… 

- Peut être devriez vous sympathiser davantage avec vos camarades. Vous détacher un peu de toute cette agitation Londonienne et cette émulsion princière. Vous ne me parlez jamais de vos amis. 

- C’est parce qu’il n’y a pas grand chose à dire, c’est tout.

- Vous êtes pourtant souvent bien accompagné.

- Oui, mais dans le fond David, qui me connaît vraiment ? Même moi, j’i l’impression de ne pas me connaître. C’est comme si cette carapace, cette couche de bonne manière et de protocole était devenue trop épaisse. Ce qui est à l’intérieur, c’est coincé. Oui, j’ai des connaissances sur le campus, beaucoup, mais je ne sais pas si je peux les considérer comme des amis. Et puis, c’est si compliqué de faire confiance. Ces titres de merde, ça complique tout.

- Pourquoi penser cela ?

- Je ne vous ai jamais parlé de ce garçon ? Gabe. On s’est rencontré pendant mon année à Oxford. Rappellez-vous, vous avez du nous ramener quelque fois.

- Hm… grand? Brun, aux yeux clairs ? 

- C’est Gabe. Je crois que c’est la dernière personne que j’ai vraiment… Enfin, c’était plus qu’un ami. Du moins c’est ce que je pensais.

- Que voulez-vous dire ?

- Je me suis beaucoup… Attaché à lui. J’étais bien. Je croyais qu’il avait réussi à me percer. Mais j’avais tort, il était juste intéressé par le scintillement de la couronne. Un jour, j’ai surpris une conversation dans ses mails. Il parlait à des journalistes, et il voulait leur balancer des infos sur moi.

- Sur vos… Penchants ?

- Entre autres. Pourtant, j’ai passé l’année avec lui. Ca a été… Compliqué, de passer a autre chose. J’ai détesté Oxford encore plus, après ça. Et pourtant, je ne portais déjà pas la ville dans mon coeur. Comment vous voulez vivre quelque chose de sain après ça, j’ai trop peur. Tout ça à cause de ce foutu secret. On est vraiment au 21ème siècle ? Enfin, cette histoire n’a fait que me renfermer un peu plus. Après tout, quand on joue le rôle du prince parfait, au moins on ne s’attire aucun problème. C’est plus facile…

- Facile, ça l’est sans doute monsieur. Mais bon? Pour vous? Je vois bien que vous n’êtes pas dans votre état normal. Et si vous envisagiez de vous confier ? A vos parents, votre frère ou vos soeurs ?

- Super idée, je crois que c’est inédit, un couple de princes. Ca va ravir les tabloïds. Maman, un peu moins. Je l’imagine déjà syncoper. Vous n’êtes pas sérieux. Et mon père ? Mon père, je crois qu’il s’y attend. De toute façon, c’est pas comme s’il prêtait beaucoup d’attention à ma situation. Je le comprends, à quoi bon s’embêter d’un deuxième fils quand son aîné réussit déjà tout.

- Je ne sais pas, monsieur. Ce que je sais, c’est que vous êtes un homme maintenant. Vous serez bientôt diplômé, et vous devez prendre votre vie en main. J’ai de la peine de parler à un garçon abattu, et écrasé par sa famille. J’aime beaucoup vos parents, mais j’ai beaucoup d’affection pour vous aussi.

- … Peut être que vous avez raison. Ça ne serait pas la première fois. Excusez moi de vous embêter avec ça c’est… C’est sans importance. Je suis ridicule. C’est juste cette semaine à Londres, ça… Ça m’a mis à fleur de peau.

- Ne vous inquiétez pas monsieur. Vous savez, ça me manque de vous parler, à vous mais aussi à vos frères et soeurs. Vous devenez secret, en grandissant. Et c’est normal.

- Secret ? J’ai l’impression d’en avoir beaucoup trop, des secrets. J’ai besoin d’exploser.

- D’exploser ?

- Oui David, j’ai envie de vivre, de me montrer vraiment. Sans me cacher derrière Alexander Edward Louis Windsor. Vous comprenez ? J’ai envie qu’on me secoue, qu’on me sorte de là.

- La vie est parfois injuste, Monsieur.

- Oui, la vie est parfois injuste. Et arrêtez de m’appeler comme ça, vous me conduisez partout depuis que je suis né.

- Comme vous voudrez Alexander. Nous sommes arrivés.

- Déjà ? Mais, ce n’est pas…

- Sur le campus, vous n’avez pas une chambre qui vous y attend?

- … Merci beaucoup David. Je crois que… Que j’avais besoin d’extérioriser, tout ça. Merci d’avoir été compréhensif. Merci de l’être depuis toutes ces années, en fait.

- C’est normal. Je sais que vous êtes capable de belles choses, vous êtes quelqu’un de formidable. Ne laissez pas un gentil garçon comme vous se faire dévorer par la couronne. Et puis, je suis sûr que vous trouverez bientôt la manière de vous confier, à quelqu’un d’autre que votre chauffeur.

- Tout a l’air si facile, quand vous le dites. Simplement.. Rien ne presse. Ce que je vous ai dit pendant le trajet…

- Restera dans la voiture. N’oubliez pas vos bagages, Alexander. 

- Merci pour tout. Je vous donne rapidement des nouvelles. Embrassez Mary pour moi.