Ce matin Sigrid s'est réveillée tôt, trop tôt alors qu'elle s'était promise d'engin en profiter. Fallait croire que son cerveau avait un autre projet. Lorsqu'elle ouvre un œil il est 5h30 et après, impossible pour elle de se rendormir. Ses heures de sommeil sont de plus en plus réduites et elle ne saurait dire pourquoi.
D'un pas traînant, elle se rend jusqu'à la cuisine ou elle met en route la machine à café. Comme beaucoup de gens dans ce monde, elle ne peut pas démarrer sa journée sans ce breuvage salvateur. Elle est d'une banalité... Le café est ultra serré, sans sucre, comme elle l'aime. Elle le termine presque du premier coup. Et après, elle se prépare un thé, c'est un peu son rituel. Tel un pantin, elle déambule dans le salon spacieux dont les baies vitrées donnent une vue splendide de la ville et s'ouvrent sur le toit terrasse. Sigrid étouffe, elle a besoin de prendre l'air. Elle ouvre alors une des portes de verres et sort respirer l'air du matin. Elle se sent déjà mieux. Pourquoi est-elle comme ça ces derniers temps ?! Elle ne comprend pas et ça l'énerve. Elle reste un long moment ainsi avant d'être ramenée à la réalité par le bip de son téléphone portable, indiquant qu'elle a reçu un texto. C'est Ava, une de ses employées. Elle l'informe qu'elle est arrivée au cabaret pour s'entraîner. Les lèvres de la finlandaise s'étirent en un petit sourire. Elle aime beaucoup Ava, elle la considère un peu comme sa petite sœur. Et elle la trouve très déterminée, ce qui lui rappelle ce qu'elle était plus jeune.

Sigrid hausse un sourcil; elle a appris à connaître la jeune femme et vue l'heure matinale, elle est certaine d'une chose: Ava n'aura pas mangé. La blonde fait la moue, entre de nouveau dans le loft et s'octroye un passage éclair à la salle de bain. Elle prend une douche, enfile un jean et un petit pull vert. Avec Ava, elle n'a pas besoin d'ajouter d'artifice, elle n'a pas besoin de tenir un rôle ou de présenter une image en particulier d'elle-même; elle lui fait assez confiance pour se révéler telle qu'elle est. À bien y réfléchir, c'est étrange et Sigrid ne sait toujours pas vraiment pourquoi elle s'est si rapidement sentie à l'aise en présence de la jeune femme. Peut être parce qu'elle représente un peu la sœur qu'elle aurait toujours voulu avoir... Allez savoir !

Elle attrape son manteau et s'engouffre à pieds dans les rues de Boston. Le cabaret n'est pas si loin mais elle doit passer quelque part avant. Elle sait l'effet que peuvent avoir les croissants venant de la boulangerie française au coin de la rue. La patronne en achète deux et s'arrête également pour prendre une bouteille de jus d'orange. Elle non plus n'a pas mangé.
Lorsqu'elle arrive à l'entrée principale de son business, c'est d'un geste habile qu'elle fait jouer la porte et entre. Lorsqu'elle entre dans l'édifice, elle avait bien raison, elle trouve Ava sur la scène principale en train de s'entraîner, ses affaires ça et là. Elle prend alors la parole, tentant de ne pas lui faire peur:

- Ava ! Salut !!

Instinctivement, un sourire vient se coller sur son visage. Elle dépose son manteau et son sac sur un fauteuil non loin et finit par s'asseoir au bord de la scène:

- Je suppose que t'as pas mangé ?!, dit-elle d'un ton a moitié accusateur tout en secouant le sachet et papier qui contient les deux croissants.

Encore un de ces réveils qui brûle les yeux, qui pique le cerveau. L'un de ceux qu'on trouve avoir sonné beaucoup trop tôt. Mes cours commençaient à dix heures ce matin et je voulais avoir le temps de m'entraîner un peu au tissue aérien, je voulais que tout soit prêt dans un temps record. Pas seulement pour le plaisir des yeux des clients du cabaret, mais surtout pour mon porte monnaie. La discipline était déjà très compliqué, trop, même. Les muscles tiraient souvent le soir, se crispaient, et bien malgré mes étirements. Les mouvements étaient nouveaux, peu habituel, et le corps essayait de s'y faire au mieux. J'avais encore un peu de mal à executer certains mouvements, mais je savais que ce n'était qu'une question de temps avant que j'y arrive. De temps, et surtout d'entrainement. J'avais prévenue Sigrid d'un message que j'étais déjà au cabaret, non pas pour me faire mousser, non pas pour qu'elle m'envoie des fleurs, juste parce que je venais de désactiver l'alarme, et j'avais pas envie qu'elle arrive, qu'elle se rende compte que la porte est ouverte et qu'elle m'attaque. Toujours prévenir, ça vaut mieux que de finir amochée inutilement.

A peine arrivée, je m'y étais mise. J'avais fait descendre le tissu, je m'étais échauffée et j'étais monté directement. Quelques mouvements enchainé, une chorée qui prenait forme dans mon esprit. Un numéro, déjà au moins presque prêt. Il m'en faudrait encore quelques uns, quelques autres entrainements, quelques autres réveils. Nombreux réveils d'ailleurs, trop nombreux. "Ava ! Salut !!" Je suis encore accrochée, le visage à l'envers, les fesses en l'air, emmêlé dans mes divers neouds. "Heeey !" rigole un peu tant la situation peut sembler particulière. "J'vais descendre !" essayer, déjà. Glisse d'un noeud à un autre, tourne, se détourne, se retourne, la jambe qui en croise une autre, la taille qui se déroule, pendant que la patrone s'assoit au bord de la scène. "Je suppose que t'as pas mangé ?!, elle pense toujours à tout, Sigrid. C'est la personne idéale, la patrone parfaite. "Non, mais j'allais le faire après !" le sourire est large, l'excuse déjà prête ; "mais c'est parce que j'suis plus légère, du coup ça aide." la tête qui tourne aussi, ça aide ? Parfois je devrais moi même m'engueuler. Je fini par arriver enfin sur le sol, m'asseoit en tailleur à côté d'elle, sourire large au lèvre en attrapant un croissant dans le sachet, "T'es parfaite !" croque un morceau, "Pourquoi t'es debout aussi tôt ?" moi, j'ai une excuse, faut que je m'entraine. Elle, par contre, elle a le temps avant que le lieu ouvre ses portes.