J'essaye d'avancer avec ces fichues béquilles sans me casser la figure. Plus difficile que prévu. Je n'arrive pas à avoir un mouvement fluide. Alors je m'arrête tous les quinze mètres. Mais j'y suis presque. J'ai dis à Laszlo que je passerai le voir. Parce que je veux m'assurer qu'il va bien, comme j'ai tenu à vérifier que tout le monde aille bien. Par sms, il m'a dit que ça allait. Chose que je ne croirais que quand je l'aurais vu. Je sort de l'ascenseur et j'essaye de repérer par où je dois aller. La dame de l'accueil m'a donné le numéro de la chambre, pas plus. A vrai dire, je n'ai pas osé la déranger plus que ça. Avec ce qu'il s'est passé, tellement de personnes ont été admises à l’hôpital que les pauvres dames de l'accueil doivent être surchargées de travail. En tout cas beaucoup trop que pour perdre leur temps à expliquer où se situe précisément une chambre dans ce grand hôpital. Je finis par retrouver mon chemin, aidée par les petits panneaux. Je tocque à la porte de sa chambre, espérant qu'il y soit. Il me dit d'entrer et je ne me dépatouille avec la porte avant d'aller me poser sur la première chaise en vue, manquant par la même occasion de me caser la figure. Je ne tiens plus sur mes pieds, c'est l'horreur totale. Je fixe ensuite Laszlo un moment. Pas faut qu'il a une sale tête avec son bandage sur l’œil. "Ça va te faciliter la vie quand tu devras choisir un déguisement pour Halloween. Puis tu pourras draguer toutes les filles avec ton bandeau." Je parle sans réfléchir, comme souvent. Mais avec un peu de chance, ça détendra l’atmosphère.

Trop gentille. Qu'est-ce qui vient me rendre visite à l'hôpital après l'attentat ? Brooklyn. Une amie attentionnée, toujours couveuse avec moi, comme je suis protecteur avec elle. C'est dans ma nature. La savoir en vie, juste en béquille, ça me soulage de ouf. Peu de personnes comptent à mes yeux. Je le dis, sans crainte, car c'est la vérité. Laszlo ne peut même pas compter ses amis sur le doigt d'une main. Mais elle, c'est bien la plus précieuse à mes yeux. Je la trouve trop cute d'avoir fait le déplacement dans l'hôpital, juste pour mes beaux yeux. En même temps, je suis cloîtré sur ce lit, impossible de bouger. « et les estropiés ça a leur charme aussi. » que je dis amusant à sa remarque. Au moins, elle peut se déplacer. Difficilement, je l'accorde, mais c'est déjà ça. « sors-moi de là Brook. j'en peux plus des produits qu'ils me donnent pour la douleur. je suis totalement dans le cosmos. » je souris. C'est cool, la drogue tout ça, mais bon, j'aimerais bien revenir sur terre en fait.

C'est normal de faire le déplacement pour voir Laszlo. Il ne peut pas bouger, il doit être tout seul, dans sa chambre, avec rien à faire. Je n'ai pas envie de le laisser seul. Il doit s'ennuyer comme un rat mort. A sa place, je n'aimerai rester seule. Ma remarque sur son bandeau semble le faire rire. "Toujours. Le coté personne en détresse, ça plaît toujours. On ferait un malheur tous les deux." Faut qu'on aille se poser dans un bar ensemble, on aurait un succès de dingues. Ce serait encore mieux que les sites de rencontre. D'ailleurs, il me demande de sortir de là. Je ne sais pas s'il est sérieux ou pas. Je ne sais même pas pourquoi il n'a pas le droit de sortir, ni ce que les médecins lui ont donné pour la douleur. "Te sortir de là ... Ok, pour aller où ? Si tu veux, je peux négocier avec ton médecin qu'il te laisse sortir au moins pour la journée. La bouffe est dégueu ici." Première chose que j'avais faite en quittant l’hôpital, c'était me manger une pizza pour oublier tous les repas infâmes. Il était là depuis plus longtemps, il devait en avoir sérieusement marre de la bouffe. Il y a avait peut-être moyen qu'il sorte, juste le temps d'un repas. "À part ça, ça va ? Tes amis, tes proches, tout le monde va bien ?"

Je veux juste sortir de là, mettre mon dehors, bouger, voir du monde. Sauf que dès que je bouge le petit doigt, je grimace de douleur. Je me sens tout flasque, les antidouleurs me défoncent et j'ai l'impression d'être dans une autre dimension. Y'a que la voix de Brooklyn qui me ramène sur terre, mon seul lien avec la réalité. « où tu veux, mais plus dans ce lit et ces quatre murs. je rêve... d'une montagne de crêpes au sirop d'érable, et avec de la chantilly. » tu crois que tu peux faire ça pour moi ? Je suis trop capricieux mais que voulez-vous, j'ai failli passer six pieds sous terre. La dunster me demande des nouvelles sur mes amis et mes proches et je fais la grimace. « certains sont blessés, mais tous saints et saufs. on a vraiment eu de la chance. le mec qui était dans la grande roue en-dessous de moi n'a pas survécu. » je tourne la tête et je regarde la fenêtre, tristement. J'ai encore des flashs qui ne veulent pas me quitter. Mon coeur qui bat vite et ma respiration qui s'emballe.

"Crêpes sirop d'érable et chantilly ? Ça devrait pouvoir se faire." Je sort mon téléphone, pour trouver un endroit où manger où manger de bonnes crêpes. Presque six mois à Boston et je ne connais toujours pas la moitié des endroits qui sont sympa. En même temps, je ne m'aventure jamais très loin du campus. Je finis par trouver un endroit qui à l'air sympa, pas trop loin de l’hôpital. Je ne sais pas trop combien de temps Laszlo peut marcher. Je ne sais même pas s'il peut marcher en fait. J'aurais tendance à penser que non, auquel cas ça va être compliqué de se déplacer.  Mais on trouvera bien une solution. "J'ai trouvé un endroit à deux rues d'ici. Si j'arrive à convaincre ton médecin de te laisser sortir, à toi les crêpes." Nouvelle mission, trouver le médecin. Je décide d'attendre qu'il arrive ou qu'une infirmière arrive plutôt que de courir les couloirs à sa recherche sur mes béquilles. Éviter au maximum de me casser la figure, c'est le plus important. Parce que sinon je ne pourrais plus rien faire du tout. Il me parle de la grande roue et je me sens super mal pour lui. Il était dedans, il aurait pu y laisser la vie. En comparaison, être prêt de l'écran géant, ce n'est rien. Je m'en suis bien sortie, Morgan s'en est bien sorti, comme ceux qui étaient prêt de nous. "Oh mon dieu, je suis désolée." Désolée qu'il est du assister à la mort de quelqu'un, désolée alors que ce n'est même pas ma faute. J'entends sa respiration qui se fait plus rapide et je me demande si c'est normal. Je le regarde, les bras ballants, me demandant ce que je peux faire. "Ca va ? Tu veux que j'appelle quelqu'un ?" En fait, je ne vais peut-être pas avoir à attendre longtemps pour qu'une infirmière arrive.

Je souris tendrement. Si elle m'apporte vraiment ce dont j'ai envie, je peux mourir en paix, la bouche pleine de chantilly. Je pense qu'à mon ventre. J'ai faim. On m'a affamé pendant tout ce temps où on me faisait des examens. Maintenant, j'ai envie d'un bon truc sucré, salé, n'importe, mais pas la nourriture dégueulasse de l'hôpital. « pff, tu as de l'espoir toi, il ne me laissera jamais sortir... mais toi, tu peux aller en chercher non ? » je pense même pas à ses béquilles, juste à mon petit caprice. Puis tout à coup, je manque d'air, j'ai chaud, je tremble légèrement, des images me reviennent, frappent mes souvenirs de plein fouet et je perds le contrôle. « non, laisse... » je me concentre de toutes mes forces et petit à petit, j'arrive à me stabiliser, à retrouver mon calme même si ma respiration est encore forte. Est-ce que ça va tout le temps me faire ça ? Va-t-on réussi à vivre avec ? En tout cas, pas pour le moment, je me sens pas prêt du tout.

Je suis déjà en train de me demander comment convaincre les médecins de laisser sortir Laszlo, pas vraiment consciente du fait que s'il est toujours coincé dans son lit d’hôpital, c'est peut-être pour une bonne raison. Du coup le traîner à l'extérieur pour manger des crêpes va se transformer en véritable mission impossible. "J'irais te chercher ça va. T'as fort faim ?" Je ne pense pas à mes béquilles qui risquent de me compliquer la tache. Je ne peux le laisser avec la bouffe d’hôpital vraiment pas bonne. Déjà qu'il est blessé et coincé dans un lit, je ne peux pas en plus l'envoyer sur les roses quand il me demande un truc pas spécialement compliqué. D'un coup, je vois  que sa respiration s'accélère et qu'il se met à trembler. Incapable de savoir quoi faire, je lui demande s'il veut que j'appelle quelqu'un. Il répond négativement avant de se calmer. C'était quoi ça ? C'est censé être normal ? Une réaction aux médicaments ? "Tes sur que ça va ? Il vient de se passer quoi ?"

Elle est trop gentille Brooklyn. Je suis au bout de ma vie dans mon lit, je fais un caprice pour de la bouffe, et elle, handicapée en béquilles, elle serait prête à faire le tour de la vile pour moi, pour me satisfaire, mon ventre de gros porc. « oui. » que je dis avec un petit sourire. Puis tout à coup, des images de l'attentat me reviennent en tête. C'est un stress post-traumatique, ça ne peut pas partir du jour au lendemain. Un rien peut me provoquer ça, un mot, un son, une image, et je revis la scène comme si j'y étais. J'arrive peu à peu à retrouver mon souffle et mon calme. La dunster, inquiète, me demande ce qu'il vient de m'arriver. « je... je revis la scène, des images... je crois que je suis fort touché psychologiquement. » mais garde ça pour toi, je veux pas qu'on m'enferme chez les fous, dans un hôpital psychiatrique. ça va aller, regarde, tu as bien vu que j'arrivais à retrouver mes esprits.

Évidemment que je suis prête à aller lui chercher ses pancakes, ne serait-ce que parce que moi j'ai la possibilité de bouger alors que lui non. Je peux au moins faire ça pour lui, c'est pas comme si je pouvais faire quelque chose d'autre pour l'aider à aller mieux. "Je vais te chercher ça du coup." Je suis prête à me lever pour aller lui chercher sa nourriture quand je le regarde paniquer, impuissante. Je ne comprends pas ce qu'il se passe, je sais juste qu'il ne va pas bien. J'envisage d'appeler les médecins, seule solution qui me semble intelligente pour le moment mais il me dit qu'il n'y a pas besoin. Je ne peux pas m'empêcher de lui demander ce qu'il lui ai arrivé, pour savoir s'il y a moyen de faire quelque chose. "Ohhh" Qu'est-ce que je peux répondre moi ? Qu'il n'a qu'à ce dire qu'il a tout imaginé, que c'est trop gros pour être vraiment arrivé ? "Un psy n'est pas venu te voir ? Ou on ne t'as pas donné les coordonnés de quelqu'un ? Ça pourrait peut-être t'aider."