Je préfère travailler seul, un réflexe que j’ai conservé après mes deux premières années de médecine où la compétition et ta capacité à survivre à l’hostilité des autres étudiants compte pour au moins cinquante pourcent de ta formation. Ce n’est un secret pour personne, les places sont extrêmement restreintes pour un nombre de candidats toujours plus grand. A partir de ce moment-là, tous les coups sont permis, les cours n’occupent finalement qu’un espace restreint puisque l’on sait tous qu’avoir une bonne culture générale et médicale n’est pas ce qui fera réellement la différence. Briller, il faut parvenir à briller et à envoyer valser les autres dans l’ombre. En ce qui me concerne, et contrairement à d’autres, j’ai toujours su garder une certaine éthique. Sans être le mec ultra généreux, pas concerné le moins du monde par la compétition, j’ai juste appris à jouer mes cartes avec transparence, dans les règles sans avoir à faire du sale. On m’a rabâché des dizaines et des dizaines de fois que je finirais par m’en mordre les doigts sauf que… Non, mon parcours prouve clairement qu’il est possible de s’en sortir quand on a du talent, de l’envie et des idées à exprimer différemment. J’ai su briller quand il le fallait, consolider mon dossier année après année, obtenir le statut de major de promo trois années de suite… Discret mais toujours dans les bons coups. Alors forcément, même si je ne suis pas spécialement ravi de devoir travailler avec quelqu’un sur un projet transversal, encore moins avec Tian, une partie réaliste de ma personne reconnait quand même qu’il est rassurant de se retrouver face à quelqu’un qui a la gagne et qui ne fera pas les choses à moitié. Nous devrions nous entendre là-dessus, faire notre maximum pour obtenir une note digne de ce nom, loin d’un résultat acceptable. Exploser les compteurs ou ne rien faire. « J’entends par-là que d'explorer un milieu qui t’es inconnu, ça te permettra d’obtenir une vision globale, humaine et pas seulement architecturale et théorique. Cette pointe de réalité, c’est ce qui donnera vie à tes plans et qui nous permettra d'avoir une excellente note ! » Pour une fois que je ne pense pas à mal, je pense juste que cette « infiltration » lui permettra d’obtenir cette petite touche en plus, la cerise sur un gâteau déjà consistant et resplendissant. Si j’ai pour habitude de prétendre tout prendre par-dessus la jambe en favorisant la joie de vivre plutôt que l’aigreur, j’ai du mal à me contenir et à ne pas lui rentrer dans le lard. J’ai beaucoup de mal à supporter cet air de ne pas y toucher, celui qui ne correspond pas du tout à ce que son regard laisse imaginer. Ses yeux, ils sont bien plus explicites que l’ensemble des mots qu’il décidera d’utiliser pour se justifier. Il n’est pas franc, je me demande même s’il l’a déjà été un jour… Peut-être qu’il n’est même pas honnête avec lui-même. Il se lance et j’explose de rire, un rictus calme, long et dénué d’émotion. J’imagine qu’il espérait atteindre une corde sensible, me rabaisser pour que j’explose et me donne en spectacle ? Je ne le quitte pas des yeux, un calme Olympien ne trahissant pas une seule seconde l’agacement qui me dévore pourtant l’estomac. « Et c’est moi qui juge, c’est ça ? » Je marque une pause, un sourire sarcastique étirant lentement mes lèvres. « Je me suis permis d’émettre une hypothèse sur ton comportement vis-à-vis de ma personne… Le tout, en partant d’un trait de caractère plus général. A aucun moment je n’ai utilisé ton physique, ton milieu social, les stéréotypes qui t’entourent pour effectuer une analysée erronée de ta situation ! » C’est à ce gros détail que l’on reconnait les gens avec une véritable capacité de réflexion et ceux qui passent leurs journées à se penser au-dessus des autres alors qu’ils sont uniquement capables de brasser du vent. « Mais ne me vexe pas, par pitié… Mon apparence est loin d’être creuse, contrairement à ma personnalité. Tu sais, monsieur muscles, tout dans le caleçon et rien dans le cerveau, tout ça… Ne va pas contre les stéréotypes que tu adores véhiculer en parlant de moi… En fantasmant sur ces deux… non, trois, courtes minutes que je pourrais utiliser à bon escient pour t’arracher un orgasme, chose que tu n’as pas dû expérimenter depuis des années à en juger par ton aigreur et ce besoin inquiétant de tout ramener au sexe ! » Les mots dansent paisiblement les uns à la suite des autres, ils s’enchainent pour former une douce mélodie sarcastique que mes yeux accompagnent en dévalant ses courbes de haut en bas. « Sois beau et tais-toi, Tian. Tu éviteras de te délester de la seule chose qui te rends appréciable de loin : ton charme. »