Elle l’icône de cette beauté trop éphémère, cette même dont on ravivait les traits, poudre carmin et lèvres trop roses. Elle, dont le chant de sirène l’avait envoûté, silhouette trop belle, l’éclat de ses yeux rimait avec la mer, nymphe incomprise, jamais éprise. Estelle, la trop belle pour ses yeux bleus, suissesse aux origines lointaines américaines, femme au pouvoir d'une affaire importante, entreprise aux mains contrôlant une grande partie du commerce de cosmétique dans ce petit pays. Et lui, Armando, lui il s'était épris d'elle, trop amoureux, trop ambitieux, lui qui ne rêvait que de richesses et qu'en un seul soir avait fini par laisser de côté les rêves professionnels dans la médecine et l’esthétique pour se consacrer à elle. Tel était pris qui se croyait prendre. Il ne l'avait jamais regretté.

Deux ans plus tard, leur premier enfant vint au monde, un garçon, prometteur, qu'ils espéraient être brillant, eux qui ne rêvait que d'une famille prospère, au limite d'un rêve qui ne pourrait qu'être éphémère.
Puis il y avait eux elles. Levanah & Nevada, sa sœur, deux jumelles, les deux princesses.

Levanah, celle qui devrait représenter la douceur trop belle, petite fille d'une famille trop aisée pour son propre bien, peut-être un tant soit peu trop exigeante, elle avait été élevée ainsi, à mi chemin entre la compréhension d'une mère trop aimante et les trop grandes ambitions d'un père trop amère. Ils l'aimaient, oh ils l'aimaient tellement, tous les enfants, tous, chacun à leur manière. Toutefois, chacun avait sa petite particularité, entre ce frère aîné trop gâté, ayant le monde et l'avenir de l'entreprise sur ses épaules trop frêles, trop petit encore, trop fragile et pourtant déjà si utilisé. Puis il y avait sa belle, sa sœur, sa moitié, premier amour innocent d'une âme morcelée en deux, elle qui était tout ce qu'il y avait de plus parfaite, plus douce, l'image de l'excellence qu'ils cherchaient à obtenir. Lorsqu'elle saisissait sa main, il paraissait à Levanah que tout se stabilisait, que tout reprenait sa place et que lorsqu'elles jouaient à se cacher dans cet environnement trop grand pour ne pas être déstabilisant, le monde prenait des allures poétiques, elle qui avait toujours été trop renfermée pour s'entendre avec d'autres enfants. La bête de foire. Mouton noir. Bien qu'ils ne le soient tous, tous les trois.

Toutefois, elle n'était pas ce qu'il désirait.
Elle, elle ne s'émerveillait pas comme toutes ses autres poupées aisées, elle, elle vivait que lorsqu'on la surprenait à cogner un enfant trop agaçant, crachant des flammes, peu soucieuse de son apparence. Indescriptible enfant que l'on en parvenait pas à comprendre, tantôt de cette douceur innocente, se perdant dans les livres qu'elle lisait par dizaines, curieuse, amoureuse de littérature et de connaissances. Puis parfois, si souvent elle prenait la tempête dans ses veines, instable, détestable, irritable au possible. Peu parvenaient à la calmer, elle l'enfant un peu renié, ne respectant aucune norme, rattachée à cette croyance que son attitude était plus celle d'un homme que d'une femme. Stupidités.

Mais elle les aimait Levanah, d'une manière si pure, elle tentait de faire de son mieux, brillante mais excessive, bancale, trop curieuse. Et puis, dans le fond, celle qu'elle aimait le plus entre ses deux parents, c'était Estelle, sa mère, sa reine, son modèle. Elle qui la prenait si tendrement entre ses bras, qui malgré ce monde superficiel parvenait toujours à trouver un certain charme dans ses vêtements abîmés et dans ses cheveux ébouriffés. Son pouce venait panser ses plaies tandis qu'elle embrassait son front, qu'elle lui comptait des histoires, plus belles, celles qui faisaient rêver, mais que Levanah n'y croyait jamais. Déjà trop terre à terre, elle lui faisait plaisir elle s'inventant une vision qu'elle n'avait pas.  Et peut-être bien que celle qui en avait plus besoin, de ses rêves et légendes factices, ce n'était pas celle que l'on croyait.


Estelle était partie, enfermée dans un asile, la folie et la démence l'emportant trop loin, l’empêchant d'être avec les siens. Schizophrénie diagnostiquée, véritable enfer pour une femme encore capable des plus belles merveilles. Et Levanah, oh, elle l'avait regardé les quitter impuissante, les larmes trahissant son affection pour cette femme d'exception, seul être parvenant à l'aimer un tant soit peu. Elle n'avait plus rien, sa jumelle la détestait, son frère ne pouvait pas lui tendre la main, trop pris dans la vicieuse toile de leur paternel. Elle s'étant enfermée dans l'hyperactivité, enfant de dix ans abandonné, esseulé dans un monde trop vaste pour être exploré. Elle avait ainsi les meilleurs cours, les meilleurs professeurs, elle qui parvenait à tout retenir si facilement, mais qui s'égarait dans un monde interne où sa figure maternelle était éternelle. Enfant instable, enfance violente, elle ne cessait de s'emporter, volcanique depuis la naissance, explosive, indomptable créature. Son père avait déjà abandonné l'idée de lui offrir un avenir comme il le souhaitait, alors, il la gorgeait de cadeaux et d'autres objets matériels, pour combler un manque, deux manques, d'elle, Estelle et de lui, l'homme trop ravagé, trop détruit.

Elle avança dans ses études, silencieuse, secrète, vivant une vie qu'elle aurait préféré ne pas vivre. Elle aimait apprendre, oh elle se délectait de découvrir un nouveau mot, une nouvelle manière de voir le monde, de l’appréhender. Elle aimait les notes magiques venant d'un piano vernis, l'archet sur les cordes virtuoses d'un quelconque violon mais elle, elle aimait avant tout découvrir, lire, écrire, se distanciant de ce monde, encore trop blessée, presque endeuillée. Les amantes de son père défilaient, toujours une différente, toujours la peau gorgée de soleil. Elle contempla sa maison devenir presque un bordel, l'alcool et les femmes remplissant la vie de cet homme trop âpre pour aimer autre que lui. Autre que cette femme qu'il jurait avoir perdu et qui pourtant était encore en vie. Il les envoya tous en internat, pour mieux les préparer à l'avenir qu'il disait, pour surtout se débarrasser d'eux, ils l'entendaient. Cinq ans, les liens se défaisant petit à petit.

Jusqu'au jour où elle perdit sa sœur jumelle, un suicide, elle qui pourtant avait cru lire en sa jumelle tout l'amour et la volonté du monde. La perdre, ce fût se perdre. Ce fût perdre espoir en l'humanité, se retrouver à nouveau abandonnée, délaissée. Elle avait posé ses fleurs sur sa tombe, des roses du plus joli rose, s'accroupissant pour voir celle qui aurait encore un jour, brillé bien plus qu'elle. Unique amour encore restant, ainsi arraché. Après cela, elle pu rentrer chez elle, dans cette villa trop grande et trop silencieuse qui lui rappelait toujours sa sœur, son soutient, sa mère, tout ce qu'elle avait perdu. Ils avaient déménagé en Amérique à cet instant-là, pour se reconstruire, survivre au chagrin d'un deuil prématuré.

Finalement, une nouvelle femme vint rejoindre la maison, belle mère, crainte qu'elle n'avait pas pu étouffer. Elle n'aimait pas s'attacher Levanah, elle préférait s'enfermer dans ses bouquins ou bien partir en extérieur et feindre une quelconque amitié pour ne pas s'ennuyer. Mais elle rentrait pratiquement toujours usée, se battant toujours, agressive, sans-limites. Natalia. Encore une hispanique, bien plus jeune que sa mère, cela dit. Et c'était étrange de la voir les traiter avec tout autant de respect, comme s'ils étaient les siens, ses enfants, des étoiles trop brillantes constellant un monde trop aigri. Natalia, elle l'avait aimé dès le premier regard, toujours un peu plus chaque jour, ravie de la voir revenir, ne pas craindre ses crises d'adolescence hystériques. Elle lui avait donné une toute idée du monde, plus douce, elle était cette mère qui ne remplacerait jamais la sienne, mais qui était un El Dorado, échappatoire.  


Jeune femme trop fière, orgueilleuse, presque froide dans les apparences, complètement différente. Levanah Aguilera, vingtaine, les projets plein la tête. Une fois par mois, elle se permettait encore d'aller voir celle qui avait pris soin d'elle dans ses plus jeunes années, elle saisissait sa main avec un sourire, l'aimant toujours comme au premier jour. Loyale à la plus belle des roses, c'était elle qui lui avait donné une voie à suivre, s'investir dans la psychologie, se perdre dans les méandres d'un esprit trop complexe pour être parfaitement compris. Elle désirait s'aventurer dans les cas plus compliqués, s'intéressant de manière presque lugubre aux individus les plus obscurs existant sur Terre. Alors, elle avait terminé ses études dans son école privée avec brio, s'inscrivant à Harvard, n'acceptant rien de plus que l'excellence de cette école. Rien de moins, uniquement Harvard, pour apprendre avec les meilleurs. Elle s'était bien rattrapée, cet enfant perdu ne sachant pas où aller, désormais rempli d'objectifs qu'elle attendrait coûte que coûte. Et elle s'était mise toutes les chances de son côté, remplissant un dossier plus que conséquent pour démontrer sa motivation. Lionne libre, battante, ambitieuse, capable de tout pour rendre ce monde meilleur, se divertir, s'instruire. Elle était enfin arrivée à Harvard et personne ne l'empêchera d'atteindre son but, exceller oui, mais également vivre, vivre cette vie qui avait été arrachée à son double, sa moitié.