Été 2014
Il fait chaud, tellement chaud. Au moins 40°C dans ce désert. Ça hurle, ça court, ça se bouscule, ça s’active partout sur le campement attaqué. Une épaisse couche de poussière fait tousser et cracher en plus de réduire le champ de vision. Parmi cette foule paniquée, une âme calme et réfléchie. Elisee, couverte de poussière, guide la plupart des patients de l’hôpital militaire vers les camions d’évacuation. Autour d’elle, ça recommence à tirer en rafale. Son seul objectif : mettre hors de danger un maximum de gens. Des frères d’arme tombent sous les tirs, des patients succombent sous les armes tranchantes des ennemis et Elisee frappe et tire autant qu’elle le peut. Un temps infini s’est écoulé et tout le monde est évacué. Sauf ceux tombés au combat. C’est au tour de la Rangers de se jeter dans le dernier camion blindé quand une douleur aiguë la cloue sur place. Une balle perdue. Dans sa poitrine. Elle s’écroule sous le cri de l’un de ses coéquipiers. Puis la nuit. Noire et effrayante.

Été 2015
Il ne fait pas 40°C, à Boston. Il fait limite froid pour cette Rangers mise à la retraite bien trop tôt à son goût. Comme à son habitude depuis plusieurs mois déjà, elle se rend au Massachusetts General Hospital où une garde de 24h l’attend. Elle embrasse son mari qui, pour sa part, est ravi que son épouse ne mette plus sa vie en danger. Sa vie et celle de leur enfant à naître. Rassuré, il quitte à son tour le domicile familial pour se rendre au travail.

Quelques heures plus tard, Elisee s’apprête à prendre sa pause-déjeuner quand elle remarque la tête d’enterrement que son chef de service fait. Au moment où il s’approche d’elle pour la convoquer, elle tend son bras et recule pour le stopper, le retenir un peu. Elle secoue la tête et lui demande de se taire, de ne rien dire. Tous les regards se sont braqués sur eux alors que son supérieur parvient à franchir la distance de sécurité qu’elle lui a imposée. Il la prend dans ses bras alors qu’il lui annonce le décès de son mari. L’instinct de l’ex-Rangers ne lui a pas fait défaut : ses supérieurs tiraient toujours une tronche de trois kilomètres de long quand ils avaient une mauvaise nouvelle à leur annoncer. En larmes, elle se laisse guider dans le bureau du chef de service qui lui explique les circonstances du décès de son mari.

Un satané chauffard ivre. Lui aussi aux urgences mais bien vivant, attendant simplement de décuver et se faire recoudre. Qu’est-ce qui retient Elisee ? Pourquoi ne se jette-elle pas sur lui pour l’étrangler sur place ? Elle en a pourtant les capacités. Elle en a le droit légitime. A la place, elle se rend à la morgue où elle peut identifier le corps de l’homme qu’elle aime. Qu’elle aimait. Sa main se pose instinctivement sur son ventre arrondi de sept mois. Son bébé a bougé, comme s’il souhaite soutenir sa mère. Au début, la jeune femme croit qu’il s’agit de simples mouvements mais petit à petit, elle ressent la douleur caractéristique des contractions. Puis un liquide chaud s’écoule entre ses jambes. Horrifiée, elle baisse le regard et voit du sang.

En ce funeste 25 juillet 2015, Elisee Hawke perdit son mari et sa fille. Autant dire que tout son monde s’écroula autour d’elle.

Automne 2018
Son regard perdu fixait le paysage diluvien qui s’offrait à elle. La pluie tombait dru, inondant son jardin et les quelques passants courant pour rentrer au plus vite chez eux. D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, Elisee a toujours aimé l’automne. Il lui rappelait son enfance et son adolescence, quand elle révisait ou faisait ses devoirs face à cette vue. Certes, rares étaient les fois où il pleuvait à Los Angeles mais à chaque fois que ça arrivait, elle était aussi excitée que ceux qui avaient attendu un rayon de soleil réchauffant après un hiver ardu. Mais à présent, quand il faisait mauvais temps, elle songeait à son défunt mari et à son enfant mort-né. Et la tristesse l’envahissait. Son poste de professeure à Harvard doublé de ses gardes au MGH de Boston lui permettaient de souffler et de tout oublier le temps de quelques heures. Secret bien gardé, personne, ni même ses plus proches amis ne savaient que son cœur saignait. Sur ces pensées, la jeune professeure empoigna son sac et son parapluie avant de quitter son domicile. Un amphithéâtre rempli d’étudiants l’attendait.