Pourquoi je ne l'envoyais pas balader ?  Pourquoi elle occupait toutes mes pensées ?  Pourquoi de savoir que je l'avais blessée et déçue hier ne me laissait pas de marbre ? Pourquoi passer l'après midi à échanger des textos avec elle ? Pourquoi je me retrouvais devant sa porte avec la boule au ventre ?  Pourquoi ?  La réponse était pourtant claire. Je refusais de le voir. Dans le déni le plus total. Je toquai, nerveusement me ressassant cette fraction de seconde où je l'avais croisée à  cette soirée glauque en plein cimetière, dans son costume de petit chaperon rouge, incroyablement craquante... Cette image provoqua une esquisse de sourire sur mes lèvres, malgré mon appréhension du climat glacé dans lequel je risquais de me retrouver derrière cette porte. Je savais qu'elle était contrariée, alors dès que la porte s'ouvrit, c'est une petite moue désolée que j'affichais en commençant d'emblée par les excuses... enfin des excuses indirectes : "T'as déjà écrit le chapitre où Edmund fait le con et où il se pointe chez Charlie en lui racontant combien il tient à elle et qu'il est désolé ?  Non ? Parce qu'on peut l'écrire maintenant si tu veux."

Ma mine désolée enfantine, en grand gosse qui aurait juste casser un vase et qui serait en train de s'excuser ne dura pas. Pas facile de ramasser les pots cassés sans se couper. Et là, ça coupe dur. Son expression peinée, cette lueur blessée dans ses yeux, et savoir que j'en étais la cause... c'était insoutenable. Impossible de fanfaronner plus longtemps. Je déglutis en retrouvant un air plus grave et en l'écoutant me corriger sur le chapitre en cours d'écriture. Pas à la hauteur. C'était ce qu'elle pensait d'elle même. Elle se dévalorisait. Je crois que je la préférais fâchée. Une giffle m'aurait moins secoué, moins touché. "Belle..." soupirai-je en m'apprêtant à la contredire, à me lancer dans le fameux couplet du c'est pas toi le problème, c'est moi. Mais je me stoppai lorsqu'elle baissa les yeux et reprit la parole. Elle me croyait. Mon attachement, mes excuses... Elle n'allait pas remettre en question tout ça, mon honnêteté sur ce point. Ce qu'elle voulait, c'était la garantie que l'épisode d'hier serait unique. Je secouais lentement la tête, un non silencieux d'abord. Je pouvais pas lui assurer cela. Lui chanter de fausses promesses... À d'autres, oui. À Belle non. Je n'y arrivais pas. J'étais honnête. Une honnêteté tranchante. "Non, je ne peux pas te garantir cela Belle. " A mon tour de détourner le regard, gêné.  Je pouvais pas lui parler de mon passé, de l'emprise qu'avaient certaines personnes sur moi. Je ne pouvais pas lui expliquer l'attraction éternelle qu'il y avait entre Lucky et moi, ou la nécessité que j'avais de draguer certaines étudiantes issus de la société mondaine... Je pouvais juste rester là sur son porche avec mon air désolé. " c'est le moment où Charlie dit à Edmund de dégager c'est ça ? "

J’anticipais un verdict tranchant. Parce que je me murais dans mon éternel discours sans explication pour Belle, sans aucune garantie, pas de fausses promesses… Je n’avais aucun mirage à lui servir sur un plateau, aucun conte à lui chanter pour la suite. Alors oui, spoiler alert, Charlie va se débarrasser d’Edmund, c’était ce qui m’attendait non ? Belle reprit la parole, n’usant pas de nos prénoms littéraires cette fois. Elle souhaitait quelque chose de claire, et elle nous inscrivait là clairement dans la réalité, dans le moment présent. Elle voulait savoir ce que j’attendais d’elle, ajoutant qu’elle s’était trompée sur notre relation. Et les questions fusaient ensuite, les pourquoi, peut être les mêmes que les miens… Ouais, bordel, pourquoi j’étais pas capable de m’être un terme à tout cela ? « Parce que… T’es pas une fille parmi les autres Belle. » Je relevai la tête, affrontant son regard alors. « T’es pas une fille parmi les autres. Et c’est pas que je ne veux pas de tout ça, c’est que je peux pas. Je peux pas… C’est… » Compliqué ? Eternelle ritournelle. Je ne lui ferais pas l’affront de le lui répéter cette excuse déjà bien usée. « Belle, je ne veux pas te jeter. Je ne veux pas en finir avec toi. Je veux… Je veux être avec toi, tout le temps. T’avais raison l’autre soir… T’avais raison, je prends goût à tout ça… Ta présence à mes côtés. Dans ma vie… » Je fis un pas vers elle, mes mains vinrent encadrer son visage avec douceur. « Tu sais ce que j’attends de toi, je te l’ai dit. Faut que tu me chasses, faut que tu bloques mon numéro. Il faut que tu m’oublies… »

Y’avait pas d’autres façons… C’était à elle d’agir. Elle de me chasser. De me virer de sa vie. D’oublier mon existence. Y’avait qu’elle qui pouvait le faire. Parce que moi, j’allais revenir sans cesse. Le poison empoisonné. Incapable de me passer d’elle. Incapable de la libérer. Incapable de lui mentir en lui faisant croire qu’elle n’était rien, le moyen qui aurait brisé définitivement notre lien. Non, même ça je n’en étais pas capable. J’étais juste là, devant elle, à lui dire combien je la voulais, combien je tenais à elle, la privant de ce qu’elle, elle attendait d’une relation. Alors oui, qu’elle me lâche, elle. C’était sa seule issue de secours. Sauf que d’après la jeune femme, c’était trop tard… Elle chassa mes doigts qui entouraient son visage, se défaisant de mon emprise pour se tourner, s’échappant à mon regard… Et à voix basse, dans un souffle à peine audible, elle prononça ces trois mots. Je me glissais dans son dos, ma main dégagea doucement sur le côté les cheveux qui tombaient sur son épaule, et mes bras vinrent ensuite l’entourer, comme une réponse muette à sa déclaration, une façon de lui dire que j’étais là, le lui faire sentir. Mon visage s’enfouit un moment au creux de son cou, là où l’on devinait encore les marques de mes suçons, humant son parfum, m’enivrant d’elle. Puis mes lèvres vinrent jusqu’à son oreille, je ne pourrais pas lui murmurer la même chose, mais ça avait tout autant de sens : « Je ne veux pas te faire souffrir Belle… » C’est ma déclaration, ma manière de l’aimer à moi. L’épargner. Mais peut être que ça aussi, c’était impossible, c’était trop tard. Mon étreinte se resserra un peu. « Je ne suis pas un prince. Je ne suis pas la bête. Je suis pire… Je détruis toujours tout. » Tout. Chaos total. Je savais qu’avec elle aussi, le schéma se répéterait. Je le savais depuis le début. Mais pourtant, j’étais toujours là. A revenir. A en redemander. Ma dose de Belle. Ma dose d’elle…

Même cette porte de sortie qu’elle m’offrait en me tournant le dos, je n’arrivais pas à la prendre. M’échapper, m’enfuir quand elle ne me regardait pas, je n’en étais pas capable, surtout quand elle me soufflait ces trois mots. Tout simplement, parce que je ne voulais pas qu’elle ait mal… Pas davantage en tout cas. Je l’avais probablement déjà assez blessée comme ça. Alors mes bras s’enroulèrent autour d’elle, mes lèvres finirent par lui souffler à son oreille mes intentions. Pas de déclaration, pas de réponses à son ‘je t’aime’, et ce qu’elle me réclamait en retour ensuite, c’était une quête d’honnêteté, bannissant le mensonge entre nous. « Tu sais si je te le disais, je ne te mentirais pas… » Et je ne lui murmurais pas pourtant. Ces trois mots. Mais réaliser que je les pensais, que je pourrais les lui destiner sans lui mentir, sans me mentir, c’était une première étape. C’était ça. Ces sentiments. Ce sentiment. C’était ce qui me retenait près d’elle. Ce qui m’empêchait de m’éloigner. Belle se retourna ensuite vers moi pour me faire face, ses mains venant à leur tour encadrer mon visage. Ses yeux cherchèrent le contact des miens, sans ciller alors elle reprit la parole. Sur ce qu’elle savait de moi, ce qu’elle ne savait pas, et pourtant dieu sait que malgré mes silences elle m’avait plutôt bien cerné. Elle m’avait imaginé dans une voiture de luxe plutôt que sur mon vieux scoot, elle avait de ‘mon’ personnage une personne riche et influente dans son roman… « Et moi, j’ai besoin de toi dans la mienne Belle. » J’avais besoin de Belle dans ma vie. Mais de quelle vie parlions nous ?