La guitare crie ses notes, les enfants courent dans les rues, les parents rient autour d'une table. Une journée normale, totalement anodine en ce jour de Septembre, si ce n'était qu'elle accueillait en ce monde un petit être. Hurlant à pleins poumons, le bébé était porté vers la bassine pour le laver, sous le regard épuisé mais heureux des parents. Main dans la main, ils regardaient l'enfant porté par la sage-femme avant de ne les voir dispararaître dans la pièce voisine. Le couple se regarda, échangea un sourire. Asher était né.


« Soyez prudents les enfants ! »

Des mains agitées saluèrent les parents qui regardaient le bus s'éloigner, emportant au loin leur progéniture pour un camp de vacances. Assis dans le bus avec son sac à dos à ses pieds, Asher se détourna de la fenêtre pour se tourner vers sa voisine, la jeune @Megara Maxwell .

« Tu as apporté les cartes ?
─ Oui, mais je crois qu'il en manque une.
─ C'est pas grave, on peut jouer sans ! J'ai mon cahier qui peut servir de table, attends. »

Brouhaha incessant et rires joyeux, le bus respirait l'insoucience des enfants. Depuis quelques années, Asher s'était fait une amie durant les camps de vacances. Leurs parents les envoyaient aux mêmes, c'était donc tout naturellement qu'ils avaient commencé à se côtoyer et s'amuser ensemble en dépit du fait qu'ils habitaient un bout à l'autre de la capitale. Aujourd'hui, il se rappellerait d'elle comme d'une très jolie gamine avec qui il adorait passer du temps et qu'il considérait à l'époque comme sa meilleure amie. Il se souviendrait qu'il était très proche d'elle, et probablement qu'elle était aussi son premier bisou. Des souvenirs d'enfance doux et tendres, rappels à l'ordre pour un jeune homme qui a eu une adolescence terrible.
Pourtant, son amitié avec Megara s'était brutalement arrêtée. Alors qu'il l'attendait pour aller jouer avec leur petit groupe, elle n'était jamais venue. Il l'avait attendue même après que les autres enfants soient partis, jusqu'à ce qu'un moniteur vienne le chercher et lui annoncer la nouvelle ; Megara était partie parce que quelque chose de grave s'était produit dans sa famille. Et sans qu'il ne sache pourquoi, Asher ne l'eut plus revue après cette journée. Peut-être avait-il un peu pleuré que sa copine l'ait abandonné, à l'époque, sans savoir que lui aussi disparaîtrait dans la même année pour venir s'installer aux États-Unis.


« Allez viens Ash !
─ Mais on a pas le droit... !
─ Roh la la la la ! T'es une mauviette !
─ Mais je veux pas me faire gronder ! »

Il trébucha et tomba aux pieds de sa cousine, l'intrépide et bruyante @Kara I. Edwards. Il se releva en grimaçant, affichant une mine boudeuse devant celle qui croisait les bras d'un air dépité.
Âgée de seulement une année de plus que lui, elle avait pourtant cette force de caractère qui faisait qu'Ash était entraîné dans toutes ses embrouilles. Les deux cousins étaient rapidement devenus inséparables alors que les parents d'Asher venaient enfin d'emménager dans le comté voisin.
Le gamin soupira et se remit à suivre sa cousine qui tapait sur le grillage avec son bâton alors qu'elle avançait.

« On va se fait gronder et tu le sais, j'ai pas envie d'être puni de gâteau moi.
─ Bah on ira en prendre dans le frigo quand ils seront dans la piscine. »

Nouveau soupir. C'était toujours ainsi avec elle. Elle menait, il suivait. Il ne comptait plus le nombre de punitions, de froncements de sourcils, de doigts levés, de regards vers le ciel. Ses parents n'étaient pas si stricts avec lui, mais ils ne s'empêchaient pas de dire que Kara profitait de son caractère calme pour l'entraîner dans ses histoires. Mais, dans le fond, personne ne s'en plaignait vraiment. Car lorsqu'ils ne partaient pas en vadrouille à faire des bêtises, ils riaient beaucoup. Ils partageaient les jeux et l'un comme l'autre acceptait de partager leur petit monde ; petits poneys, barbie, dinosaures, camions pompier, cartes pokémon et autres folies de leur jeunesse. Tout était partagé.


Le téléphone à la main, Asher riait.

« Ouais c'est ça, je t'enverrai du chien à manger si tu continues à me bassiner avec cette fille. A plus Kara, je te rappelle demain. »

Il glissa le smartphone dans sa poche et s'avança vers ses parents qui venaient de récupérer les valises. Il attrapa le sac de sa grand-mère et lui offrit son bras pour qu'il l'aide à marcher.

« Par là. On va voir qui déjà maman ?
─ On va voir la meilleure amie de ta grand-mère. Il ne lui reste plus très longtemps à vivre donc elle voulait lui rendre une dernière visite. »

Le visage souriant du jeune garçon de 14ans devint sérieux alors que ses yeux d'amande se posaient sur celle qu'il aidait à marcher. Plus petite que lui, dos courbé sous le poids du temps et du vécu, elle était à moitié sourde en plus de ça. Quand il y pensait, il était épaté qu'elle ait été autorisée à prendre l'avion. C'était une battante, sa grand-mère, elle avait une force de caractère inouie et il le savait parfaitement bien. Son oncle lui avait déjà raconté tout un tas d'histoires où elle lui avait botté les fesses salement parce qu'il se rebellait. Un sourire affectueux étira ses lèvres et ils passèrent tous ensemble la porte de l'aéroport pour retrouver leur taxi.


Tout s'était passé très vite. Il se souvient qu'ils allaient dans le garage souterrain pour aller chercher la voiture de location. Il se rappelle aussi qu'il y avait deux autres familles qui étaient présentes. L'une revenait de la ville, l'autre s'apprêtait à partir également. Il se souvient d'un bébé d'à peine quelques mois, et d'une petite fille aux cheveux très longs. Dans ses souvenirs, c'était elle qu'il regardait quand il a sentit la première secousse.
Il avait levé les yeux vers le plafond, incertain, inquiet. Puis ses parents, juste à côté de lui. Sa grand-mère lui tenait toujours la main et elle aussi avait sentit le danger. Puis, en l'espace d'une seconde, tout s'était effondré. Les souvenirs sont flous, mais il se souvient d'un bruit immense, de hurlements couverts par le bruit fracassant des débris ; et lorsqu'il avait rouvert les yeux, il n'y voyait presque rien. Il n'y avait presque pas de bruit. Tout était si calme. Puis il avait eu du mal à respirer, alors il avait toussé ; beaucoup toussé. En se redressant sur les coudes, il s'était aperçu qu'il avait toujours dans sa main celle de sa grand-mère.

« ... m..r... » avait-il essayé d'appeler, la gorge beaucoup trop sèche pour émettre le moindre son.

Son téléphone dans la poche, il l'avait attrapé, relâchant ainsi la main. Quelques mouvements de doigts, et il pu enclencher la lumière ; ce qu'il vit l'instant où il éclaira la zone le marquera à jamais.
Un bras. Juste un bras. Rien d'autres. Sa grand-mère n'était plus là ; enfin si, probablement sous les débris qui avaient eu raison de son faible corps.

« ... ma... pa... ! »

Asher se souvient encore de la terreur qu'il a éprouvé à ce moment là. Il s'en souvient comme si c'était hier ; les battements bruyants de son coeur qui couvraient le son de sa voix, la douleur de sa gorge, la vision floue, le corps qui hurlait sa douleur. Et lorsqu'il avait cherché ses parents, il ne trouvait pas sa mère. La respiration saccadée, paniquée, il avait voulu se déplacer, appeler à l'aide ; puis un bruit avait attiré son attention. Une quinte de toux.
Tournant vivement le téléphone vers l'origine du bruit, il y retrouva la petite fille qu'il avait précédemment regardée. Elle toussa encore et il s'en rapprocha, découvrant par la même occasion à quel point ses côtes et sa jambe lui faisaient mal. Mais quid de la douleur, il fallait qu'il aille l'aider. Il voyait sur elle un énorme débris, mais aussi un petit espace où il pouvait distinguer le reste de son corps. Il voulu lui dire qu'il allait l'aider, qu'il arrivait, mais il n'avait pas encore pu dégager toute la poussière de ses poumons.
Ce qui lui sembla durer quelques courtes minutes d'effort furent en réalité presque une demie-heure. Se déplacer, reprendre son souffle, tousse, faire une pause, reprendre l'effort, déglutir, s'essayer à parler. Quand enfin il pu la rejoindre, il avait retrouvé partiellement sa voix, et la gamine était à portée de main. Se trainant à côté d'elle, il posa son téléphone à côté.

« H-hey... je vais t'aider... je vais te sortir de sous le rocher... ok ?... »

Elle ne le comprenait sûrement pas, la petite chinoise. Asher l'eut longuement regardée ; elle saignait de la tête et ses cheveux normalement noirs étaient blancs, couverts de poussière. S'asseyant derrière elle, il lui souleva la tête pour la poser sur  sa jambe. Il regarda les débris, ne sachant pas s'il allait prendre la bonne décision. Il voulu pousser les débris, mais il lui sembla que ses derniers tremblèrent à son toucher et qu'il risquait de s'enterrer vivant... plus qu'il ne l'était déjà. Le regard paniqué, il continua d'observer, jusqu'à finalement décider qu'il n'avait qu'à la tirer hors de là.
Et quelle erreur ce fut lorsqu'il vit la dalle tomber et écraser le bassin de la gamine qu'il tenait par les aisselles.


Une heure, six heures, vingt heures. Il ne saurait le dire exactement. Ce dont Asher se souvient, c'est que dans ce silence mortuaire il lui semblait entendre au loin des gens qui appelaient à l'aide. Des plaintes, des râles. Était-ce son imagination ? Ou bien y avait-il vraiment d'autres survivants ? Mais était-il seulement encore en vie lui-même ?
Quand un faisseau de lumière fint éclairer son visage, il tenait toujours la gamine dans ses bras. La partie basse de son corps avait été arrachée, mais Asher avait refusée de la laisser. Il la tenait contre lui après s'en être retourné vers le bras de sa grand-mère, se disant que ses parents devaient aussi être là, tout prêt. Quelque part dans les ruines, peut-être à plusieurs endroits à la fois. Peut-être étaient-ils tout autour de lui. Et même lorsqu'on lui demanda de s'approcher pour sortir de là, il ne bougea pas. Lorsqu'on voulu lui retirer la petite des bras, il s'y refusa. Bloqué dans un mutisme et un regard vague, la terreur ayant eu raison de sa conscience. Il était juste venu avec sa famille pour honorer la vie d'une personne, pas pour les enterrer. Ils étaient tous venus pour prendre des vacances également, par pour mourir.
Ash était un miraculé. Assoiffé, affamé, blessé, choqué, mais vivant.
En quelque sorte.


Les hurlements étaient terribles à entendre. Des cris puissants à plein poumons, une détresse stridante et terrifiante.
Ash était dans un coin de sa chambre et hurlait à nul ne savait quel fantôme de s'en aller et le laisser tranquille. Il avait réveillé Kara et Ryan, ses cousins, mais surtout son oncle et sa tante, qui tentaient de le faire revenir à la raison. C'était comme si Asher ne les voyait pas. Il sanglottait, tremblait comme une feuille, et au moindre pas qu'ils faisaient vers lui, il leur hurlait de s'en aller, qu'il ne voulait pas les voir. Dévasté, anéanti. Psychologiquement réduit en cendre, l'ancien Asher était mort ensevelis dans ce séisme. Placé chez son oncle et sa tante, famille Edwards, il n'arrivait toujours pas à faire ses nuits normalement. Shooté aux médicaments, aux calmants et anti-axiolytiques, Ash n'était plus que l'ombre de lui-même. S'il ne s'en rappelle pas bien aujourd'hui, il se doute qu'il a une dette immense envers Kara et sa famille pour l'avoir ainsi accueilli chez eux en dépit des difficultés.
Les crises comme celle-ci étaient régulières au début. Puis avec le temps, elles avaient commencé à se faire moins nombreuses. Kara avait été un soutien immense pour lui. Il avait toujours senti qu'elle se méfiait, qu'elle le craignait. Il l'avait blessée, aussi, durant l'une de ses crises. Il ne savait pas comment mais il lui avait infligé une cicatrice au bras. C'était probablement à cause de cet incident qu'il compris que Nicole Edwards, la mère, était presque au bout du rouleau le concernant.

La fatigue psychologique qu'il avait infligé à cette famille le força à se réveiller, en quelques sortes. Il ne voulait pas les blesser, ni les décevoir. Rongé par la culpabilité, il a commencé à lutté contre ses démons. Parfois, il leur faisait face et leur parlait. Bien trop souvent encore, il s'enfuyait. Mais de mieux en mieux, il apprenait. Il vivait avec. Comprenait les causes et les évitait.


« Ca ira, Ash ? »

Le sac sur l'épaule, à l'entrée de la maison Edwards, le jeune homme souriait.

« Ca ira, merci tante Nicole. Je vous envoie un message quand j'arrive de toute manière.
─ Très bien, fais attention à toi ! »

Un dernier câlin, et Ash s'en alla vers la voiture sortie du garage où son oncle Christopher l'attendait déjà. Il s'installa sur le siège avant, mis sa ceinture et après un regard entendu, le duo mis les voiles en direction de Harvard. Nouvelle rentrée, nouvelle vie, pas si loin de chez lui, mais assez pour enfin prendre son indépendance. L'obtention de la nationalité américaine était également à portée de main.
La voiture garée devant la résidence universitaire, Christopher et Ash firent à nouveau le point.

« Tu as pris tes papiers d'identité ?
─ Oui...
─ Et tes bulletins ? Ta carte santé ?
─ Tout est là, dans le sac.
─ Et tes médicaments ? »

Un soupir bruyant et les yeux exaspérés d'Asher en dirent suffisamment long pour que son oncle arrête de le questionner. Sacs sur le dos et valise en main, le jeune métis saluait une dernière fois son oncle avant de s'éclipser vers la résidence pour y retrouver sa chambre et débuter une nouvelle vie.


Les bruits de talons sont secs et Ash sait déjà qu'elle va l'engueuler, qu'elle va lui faire des réflexions. Lui il s'en fout, il est torse nu à son balcon, bouteille à la main. Il s'est bien amusé ce soir et beaucoup semblent le savoir, alors ça ne l'étonnait pas que @Lottie Windsor débarque chez lui. Elle connaissait le lieu comme sa poche après plus de huit mois de relation, après-tout.

Ses souvenirs sont vagues. Il ne se rappelle plus des mots exacts qu'elle a dit, juste qu'elle venait d'apprendre qu'il l'avait trompé au moins trois fois en l'espace de deux semaines. Et lui, il avait rit. Il avait rit au nez de la fille qu'il aimait, parce que c'était tellement stupide. Il s'en foutait des autres filles, ce qu'il avait fait c'était pour l'épargner elle du ses monstrueuses tendances après-tout, non ?
Il avait voulu s'éclipser, prétextant devoir pisser. Elle avait bloqué sa route, avait posé un doigt agressif sur son torse. Il n'avait pas aimé.

Alors il l'avait attrapée par le poignet et l'avait jetée sur le lit derrière, sans retenue. Il avait jeté la bouteille qui avait éclaté contre le mur, et lui avait gueulé dessus.

« Ouais, j'ai baisé avec elles ! Je les ai prises là, sur ce lit même où tu te tiens, et je leur ai mis une misère ma pauvre tu veux pas savoir. Mais tu sais pourquoi ? Parce que t'es chiante comme fille ! Tu fais la belle, la princesse, mais tu vaux que dalle ! Je me fais royalement chier, mais tellement chier avec toi au lit bordel, t'es d'une nullitude immonde ! »

Asher avait rit de plus belle, elle avait voulu répondre. Ses mots, encore, ne lui avaient pas plu. Alors il s'était précipité vers le lit pour l'enjamber et après lui avoir mis une claque, il avait coincé ses poignets au dessus de sa tête et avait vociféré combien elle était nulle. Il l'avait rabaissée, s'était moqué d'elle, et pour couronner le tout, l'avait invitée à vérifier si elle avait de quoi trouver "inacceptable" qu'il la trompe après qu'elle se soit donnée à lui comme les autres l'avaient fait.
Il avait pris un coup, elle s'était enfuie. Lottie n'était plus jamais revenue vers lui.

Et lui, plus jamais vers elle.



Jason Lee ( http://avax.news/sad/Remembering_The_2008_Sichuan_Earthquake.html )