Cher journal,
Papa vient de m'offrir ce joli carnet, emballé dans un ruban de soie. Il m'a dit d'écrire dedans chaque fois que j'en ai besoin, ou simplement envie, et surtout de m'appliquer lorsque j'écris chaque lettre. Je sais pourquoi il me dit ça. Bientôt, on va partir de la Corée pour la Suisse, dans quelques mois probablement. Une mutation, papa a dit. Le besoin de changer de pays, et il a dit que c'était l'occasion pour moi d'apprendre d'autres langues. Je crois qu'il a surtout envie de quitter Seoul parce que trop de choses lui rappellent maman ici. Ca fait quatre ans pourtant que maman s'est mariée avec mon beau père et est partie vivre avec lui et Andy, en France. Je pensais qu'un jour, j'aurais une belle maman, mais je suppose que ce n'est pas pour maintenant. Peut-être qu'il trouvera l'amour ailleurs, à Genève ?

En attendant, je ne sais pas si j'ai peur ou hâte de partir. Je vais devoir apprendre une autre langue, et j'ai peur d'oublier le coréen. Alors je vais m'efforcer de continuer à écrire dans ce journal en coréen, pour ne pas oublier d'où je viens.

Cher journal,
Aujourd'hui, ça fait un an qu'on habite à Genève.
Papa m'a demandé si la vie à Seoul me manquait, et j'ai dit que non. Au fond, ça me manque parfois, mais je ne voulais pas que papa aie des regrets, et surtout, ça ne me manque pas souvent. J'aime la vie ici. La Suisse est un beau pays, et on y a moins de pollution qu'à Seoul, où il fallait parfois que je porte un masque quand je sortais à cause de la pollution venue de Chine. Puis je me suis fait des copines ici. Surtout Maxine, qui m'apprend à ne plus faire de fautes quand je parle français, et m'aide aussi avec mon anglais. C'est pratique d'avoir une copine qui parle trois langues. Bon, par contre, l'allemand c'est trop compliqué, j'abandonne au bout de dix secondes quand elle essaie. Mais ça me fait du bien d'avoir quelques amies. Au début c'était compliqué d'échanger alors que je n'avais que quelques bases d'anglais et de français (grâce à maman et son nouveau mari), mais je crois qu'après quelques années passées ici, je pourrais parler anglais et français sans soucis.

Cher journal,
J'ai encore du mal à réaliser ce qui s'est passé hier soir. En fait, il m'a fallu plusieurs heures pour que la confusion se disperse, et que je me rappelle des évènements de la veille. Pluton broyait du noir, comme souvent. Ca fait deux ans maintenant qu'on est voisins tous les deux, et je crois que jamais je ne l'ai vu si malheureux. Et ça me brisait le cœur. Jusque maintenant, je ne disais rien, je me contentais d'offrir un soutien silencieux à ma façon, de lui offrir ma présence quand il en avait besoin, et de lui laisser son espace quand c'était nécessaire. Mais ce soir là, quand il est venu chez moi... J'avais ce besoin de le pousser dans l'autre direction, de l'encourager à panser ses blessures, et aller de l'avant même si je sais que c'est plus facile à dire qu'à faire, surtout quand on perd la personne qu'on aime, qu'on a aimé pendant trois ans. Alors je lui ai dit. J'ai pris mon courage à deux mains, et je lui ai dit qu'il fallait qu'il cesse de regarder dans le passé, et qu'il regarde devant lui. Je ne lui ai pas dit de l'oublier, je sais que c'est impossible, et surtout que c'est pas la solution. Mais... Mais justement, il devrait garder un beau souvenir d'elle, et commencer à retrouver le goût pour la vie en son nom.

En revanche, je ne m'attendais pas à ce qu'il m'embrasse suite à ça.

Rien qu'à l'écrire, j'ai encore du mal à y croire. J'ai encore l'impression de sentir le goût de ses lèvres contre les miennes. Et le pire dans tout ça, c'est que j'ai répondu. Enfin, je sais pas si je peux dire que c'est "le pire"... parce que j'avais pas envie de le repousser. Je crois qu'une part de moi y a toujours pensé. Et... je regrette pas d'avoir décidé de passer ma première nuit avec lui. Je suis heureuse, parce que je sais que je n'aurais jamais de regrets à lui avoir donné ma première fois. Pluton, il a toujours été doux avec moi, et je crois que je garderai son expression gravée en mémoire pendant des années. Pas de douleur dans le regard, et si j'ai pas pansé ses blessures, si je suis pas la personne qui arrivera à le guérir... je lui aurait au moins permis de franchir une étape de plus vers sa reconstruction. Et je n'aurais pas pu rêver mieux.

Cher journal,
La dernière fois que j'ai écrit en me trouvant dans cette ville, j'écrivais encore uniquement en coréen et n'avais que quelques bases d'anglais. Maintenant, je ne sais plus dans quelle langue écrire. Je suppose que maintenant que je suis de retour, je devrais me remettre au hangul, non ?

Seoul. Tout me semble plus petit qu'il y a sept ans, mais je suppose que c'est parce que je n'y suis pas retournée depuis l'âge de onze ans. Tout ce que j'ai vu jusque maintenant, ce sont les lumières de la ville, depuis la voiture qui m'a conduit de l'aéroport d'Incheon jusque mon nouveau chez moi. Quand j'ai vu qu'ils faisaient des auditions pour ce label musical, à Londres, j'ai demandé à mon père si je pouvais y participer sans trop réfléchir. J'aime danser, chanter, jouer la comédie, alors pourquoi pas ? Quand on m'a dit que j'allais devoir revenir vivre en Corée en tant que trainee dans leur label, j'avoue ne pas trop y avoir cru. Mais c'était bien vrai, tout à fait sérieux, et après avoir longuement pesé le pour et le contre - et téléphoné pendant une heure à Andy pour savoir ce qu'elle en pensait - j'ai fini par accepter. Bon, bien sûr, il a fallu apprendre la nouvelle à mon père, et surtout... surtout avoir son approbation pour partir vivre loin de lui dans notre pays d'origine. Mais on a fait un pacte : il m'autorise à rester là bas, à la condition que par la suite, je songe sérieusement à faire des études. Eh bien, qu'il en soit ainsi, car Seoul, me voilà !

Demain, je rencontre les autres recrues de l'agence, et on commence la formation. Est-ce que c'est normal d'être un peu angoissée à l'idée de commencer une vraie vie indépendante, avec une formation d'idole coréenne après des années passées loin du pays ? Probablement. Mais j'ai confiance en moi, et je suppose que ça me suffira pour réussir, comme ça a toujours marché.

Cher journal,
HARVARD. That's it. I said it.
Je vais tenir ma promesse, en allant dans la plus grande université au monde. Ah tu t'y attendais pas papa, hein ? Quand je réécrirai dans ce journal, je serai diplômée. Le deal est lancé.