A fond les ballons sur ta mobylette, tu carbures jusqu'à la pizzeria pour récupérer ta dernière livraison de la soirée. T'en a ras le bol, tu veux juste rentrer chez toi et te poser dans le canapé, glandouiller devant netflix jusqu'à tomber de fatigue. T'as couru toute la soirée, livrant des pizzas aux quatre coins de la ville. T'en as marre, t'en peux plus, la fatigue t'a gagné. Tu coupes le contact de ton bolide super peu puissant avant de descendre de l'engin. Tu cales ton casque sous ton bras et d'un geste élégant, tu replaces tes cheveux en pagaille. - Yaël, tiens, prends la pizza et l'adresse, ce n'est pas trop loin de chez toi, ce n'est pas la peine de repasser ici, on ferme. T'avais nullement l'intention de repasser par le magasin dans tous les cas. Tu affiches ton plus sourire et t'approches de la propriétaire des lieux. Madame Cunningham. Une dame d'un certain age ou d'un age certain. - Mettez la moi de côté, je me change et j'y vais. Allez-y, je vais tout fermer, vous avez l'air exténuée, que tu proposes en bon garçon que tu es. Cela fait sept ans que tu travailles pour eux, tu les considères comme ta deuxième famille. Papi et mami Cunningham que tu les surnommes même. Elle s'approche de toi et t'embrasse la joue pour te saluer. - Merci mon garçon. Bonne soirée et à samedi. Tu fais semblant d'être gêné et tu rigoles bêtement pour la taquiner. T'adores t'amuser à jouer l'amoureux transis pour embêter son mari, c'est plus drôle qu'autre chose. - A samedi.

Tu entres dans le petit vestibule pour ôter ce costume immonde qui t'es imposé et tu souffles en retrouvant un semblant de dignité avec de vrais habits. Tu reprends ton identité, tu te sens de nouveau Yaël Marshall et plus ce livreur de pizza miteux. Tu te regardes vite fait dans le miroir pour ajuster tes cheveux. Putain, c'est devenu une véritable obsession capillaire que tu nous fais là. Quand t'as enfin tout checké, tu récupères la pizza dans le truc pour la garder chaude, tu fermes la boutique et tu prends la direction de l'adresse indiquée sur le bout de papier. Dix minutes te suffisent à arriver sur les lieux. Tu sonnes et attends bien sagement qu'on t'ouvre la porte. - Bonsoir, Pizza Ningham, j'ai une double jambon fromage. Tu prends racine sur place en regardant la rouquine qui te fixe. - Aucun souci, je viens de terminer mon service, vous êtes ma dernière livraison et en plus, vous êtes sur ma route, si ce n'est pas merveilleux ça. Elle continue de te fixer bizarrement. Tu fronces les sourcils à ton tour, t'as quelque chose sur la gueule ou quoi ? Une pustule qui a poussé sur le trajet ? Tu as presque envie de toucher ton nez pour t'assurer que tout est en ordre. A ta plus grande surprise, elle te demande si vous vous connaissez. Non. Non ? Peut-être en fait. Tu ne peux pas nier qu'il y a quelque chose de chelou derrière son regard mais quoi ? - Je suis le seul livreur de la pizzeria, c'est possible que vous m'ayez déjà vu plusieurs fois. C'est la seule solution probable que tu as trouvé. Tu sors discrètement le bout de papier où est inscris son prénom et son adresse. Tu lèves les yeux vers elle et tu tiltes, tout s'imbrique dans ta tête, tu la resitues. - Ca y est j'y suis. L'argentine, les vacances, le baiser volé, c'est toi ou j'hallucine complètement ? Si ce n'est pas elle, tu as l'air d'un con, d'un gros con même.

La probabilité pour que ton premier baiser soit devant tes yeux est tellement minime qu'elle en est presque probable. Tu es assez taré dans ta tête pour croire que tout ceci n'est pas dû aux coïncidences. Le destin t'as remit sur le chemin de cette fille, il te l'a promis, il te le doit même. Tu regardes la rouquine avec des yeux qui ne trahissent aucune émotion pourtant, tu es choqué. Putain. - C'était toi ... que tu répètes faiblement sans la quitter des yeux. La nouvelle t'assomme plus que de raison bordel, tu as tellement grandit et changé depuis cette époque. Tu repenses à tout ce qu'il s'est passé puis et tu en as presque un vertige. Ce sont tout d'abord des retrouvailles qui s'effectuent par les yeux. Tu l'analyses. Elle te dévisages. Vous n'avez plus dix ans les gars, vous avez bien changés tous les deux pourtant la connexion est évidente. C'est bien elle. Tu souris bêtement, tu es encore sous le choc de ce que tu viens de découvrir. Megara t'invite à entrer. Qu'est ce que tu fais ? Tu ignores sa proposition et tu rentres dans ton appartement miteux, la queue entre les jambes ? Certainement pas, tu es assez détraqué pour accepter son invitation, tu ne risques rien puisque depuis le temps, tu t'es blindé de ce baiser volé.- Seulement si partages cette pizza avec moi. Tu as des conditions en plus, ça te fait marrer. Tu fais une entrée magistrale dans sa porte et tu la regardes même fermer la porte derrière toi, refermant le piège. - Si on m'avait dit que je te verrais après tout ce temps, je ne l'aurais pas cru. Il y avait une chance pour combien qu'on se recroise, surtout à Boston ? Le monde est petit, n'est ce pas Megara ? Tu enlèves ta veste et t'installe sur le canapé, tu es un mec sans gêne toi. Tu prends tes aises partout, t'es comme ça, un peu trop confiant. Et même si cette situation te sors légèrement de ta zone de confort, tu ne montres rien.

Tu ne peux pas vraiment réagir car cette situation te semble tellement surréaliste. Tu ne réalise pas que tu te trouves dans l'appartement de ton premier amour. La dernière fois que tu l'as vu, c'était en argentine et vous n'étiez que des gamins, des pré-adolescents découvrant les sensations d'un premier flirt. Tu la regardes silencieusement, elle apporte deux bières et les pose sur la table basse, juste à côté de la pizza qui ne demande qu'à être dégustée. Ta mâchoire se serre, tu attends sa réponse, qu'elle parle parce que, visiblement, elle a des choses à te dire. - C'est vrai, moi non plus. Le hasard fait bien les choses il faut croire. Tu prends ta canette de bière car toute cette agitation t'a donné soif. Tu la décapsules et attends bien sagement que Megara fasse de même pour trinquer avec elle. Mais au lieu de ça, elle se tourna vers toi pour te poser une petite série de questions. Tu n'es pas préparé à ce genre de chose. Tu t'es blindé depuis ton retour d'Argentine et c'est difficile pour toi d'admettre une telle chose. Tu passes de nouveau ta main dans tes cheveux. - Oui j'en avais envie, évidemment que j'en avais envie. Tu sais qu'avant toi, j'avais jamais vu de rousse. Tu rigoles doucement et reprends. - J'ai été très déçu que tu sois parti sans rien dire, je me souviens, j'en ai pas dormi de la nuit. Tu te sens fébrile, tu n'aimes pas ça. Cette histoire te touches, tu n'as pas envie de trop te dévoiler et pourtant, c'est pile ce que tu es en train de faire.

Megara s'excuse de ne pas t'avoir offert le baiser que tu voulais. Tu ne la lâches pas des yeux, tu es silencieux, perplexe, pour une fois tu réfléchis un peu et laisses ton esprit cogiter tout seul. Tu fixes ses yeux et prends le temps d'analyser ce qu'elle vient de dire. Elle s'excuse, elle s'en veut. Tu te demandes si elle ruine cette histoire depuis ses quatorze ans ou si c'est juste le fait de voir ta gueule qui lui fait y repenser. - Que je méritais ? Non Megara, on le méritait tous les deux, on était à deux, j'étais pas tout seul. Ta main se pose sur sa cuisse comme pour la rassurer un peu. Tu ne veux pas qu'elle se mette mal pour si peu. C'était certes votre premier baiser à tous les deux mais cela ne vaut pas la peine de se morfondre. - Tu n'as pas besoin de t'excuser, je ne t'en veux absolument pas. On était jeunes et stupides. Tu caresses doucement son genou de ton pouce parce que toi t'es du genre tactile, avec tout le monde. Tu es intrusif et ne t'en rend même plus compte. Megara ouvre le carton de pizza et tu prends une part pour la mettre directement dans ta bouche. T'as un vrai problème avec la nourriture, tu ne sais pas lui résister, c'est ton seul et unique amour. - C'est vrai, on s'est rencontré à mon dernier jour de vacances et c'est bien dommage, les choses auraient été différentes si t'avais fugué plus tôt. Peut-être qu'on ne se serait jamais rencontrés ou peut-être que t'aurais dormi dans mon lit en cachette. Ça aurait été cool ça. Comme un petit gamin, tu la regardes en haussant les sourcils. Beaucoup de regrets s'émanent de cette histoire, c'est bien dommage. - Tu sais quoi, moi j'en garde un très bon souvenir, je ne veux pas rester sur une note négative de mon premier baiser. Attends, tu rigoles ou quoi, mon premier baiser : une jolie rouquine qui me vole furtivement un baiser avant de disparaître à jamais et de s'évaporer dans la nature. Ça a de la gueule moi je trouve. Tu ris de bon coeur, tu ne lui en veux pas et c'est tout ce qui compte au final.