10 septembre 2017, 15h38, Bureau du FBI à Cincinnati, Ohio - « Monsieur O'Connell, quel honneur pour moi que d'être le 50ème officier à vous auditionner depuis votre arrivée à Cincinnati ! » lança sans grande conviction le représentant des forces de l'ordre qui, plutôt que de lancer un regard mielleux à son interlocuteur comme quiconque aurait pu le supputer après un pareil accueil, préféra éplucher les bribes d'un dossier noyé parmi d'autres sur son vétuste bureau tout de bois construit. « Oh, je vous prie de m'excuser, vos collègues ne m'ont pas mis au fait d'un pareil évènement : aurais-je, pour seul cadeau, une amende pour n'avoir amené ni champagne ni pièce montée ? » répondit, avec une innocence qui frisait la nigauderie, le miteux Monsieur O'Connell, de ses plus beaux haillons vêtus, avant d'asseoir son détestable postérieur dans un inconfortable siège. Le policier souffla en laissant s'écraser les quelques feuilles qu'il avait dans les mains dans le tiroir qui se trouvait derrière lui. « Si vous n'arrêtez pas bien vite de faire de la soit-disant politesse, c'est un « contempt of cop » que vous aurez en plus d'un rapport pour manque de collaboration à l'enquête. » A ces mots, le crasseux baissa ses insalubres prunelles sur ses chaussures trouées, signe on ne peut plus clair qu'il ne serait plus qu'obtempérance et docilité. Déjà exaspéré d'avoir à se coltiner cette étape de l'enquête, le policier lança sur un ton des plus las un « Vous savez pourquoi vous êtes ici ? ». Ce à quoi le simplet qui lui servait d'interlocuteur répondit par un approximatif « J'ai ma petite idée. » Sans réellement avoir écouté la réponse du témoin à laquelle il devait probablement s'attendre, l'agent de police enchaîna « Alors, vous allez me faire le plaisir de m'indiquer l'identité du gars qu'on discerne à peine sur cette photo. » ordonna-t-il avant de poser avec fermeté, sous le nez du dégoûtant personnage, la fameuse pièce à conviction sur laquelle on pouvait distinguer un homme, minutieusement chapoté et emmitoufflé dans un long trench, un beau Bul Ltd. de calibre 9mm Luger en main, en train de tuer l'une des grosses têtes du traffic de coc' de la région. A la vue de l'individu, O'Connell se mit à trembler. C'était comme si l'inconnu était entré dans la pièce et que son aura maléfique consumait tendrement le peu de courage dont le répugnant témoin avait fait preuve jusqu'ici. Les larmes lui montèrent aux yeux, la morve au nez et la chair de poule à la nuque. Tout le monde sauf lui. C'était ce que semblait marmonner celui qui s'était présenté comme un drogué en manque, commençant ainsi à faire peine à voir. « Allons, O'Connell, je vous ai connu plus téméraire. Ressaisissez vous, votre témoignage est d'une importance c-a-p-i-t-a-l-e pour notre enquête. » Le camé était ailleurs, perdu dans ses souvenirs ou dans ses peurs les plus inavouables. Le flic lui pris le bras, comme pour le ramener à lui, à cette douloureuse réalité qu'il avait besoin de connaître pour le bien de son poste. Leurs regards se croisèrent. L'enquêteur en profita pour murmurer sur un ton paternaliste « Il ne vous arrivera plus rien, O'Connell, je vous le promets. Si vous me parlez maintenant, là, tout de suite, je m'y engage personnellement. » L'homme avait des airs de gamins lorsqu'il se recroquevillait sur lui, faute d'avoir une seringue à se planter dans les veines. « Vous me le promettez ? » « Oui, soyez sans crainte. » Le fébrile témoin vint alors parcourir la pièce du regard, comme pour trier les différentes informations qu'il avait au sujet de cet inconnu au trench. « Personne ne connaît vraiment son nom. Tout le monde l'appelle « le Prince » parce qu'il aime dire à qui veut bien l'entendre qu'il est le fils du Roi de la pègre. Moi, je crois tout ce qu'on me dit tant qu'on me donne ma dose du coup, je dis plutôt que c'est le Prince des drogués des Etats-Unis. » Le policier revint à sa place pour récupérer de quoi prendre des notes. « Moi, je ne l'ai vu qu'une fois, de loin. Il a l'air d'être beau. Il est grand et, apparemment, souriant. C'est quelqu'un de très charmant, qui sait parler de tout avec n'importe qui. C'est pour ça qu'on le voit tout le temps avec plein de gens. Il a pas une sale gueule, au contraire, on dirait un homme politique tellement il a l'air propre sur lui. Toujours tiré à quatre épingles. Il aime bien qu'on le trouve joli en plus d'être rusé je crois, c'est pour ça qu'il se fait beau. Il paraît qu'il est très joueur mais, je ne sais pas si c'est vrai. » Le flic souffla encore. « Je me fiche pas mal de vos impressions. Des informations sur son passé ? Son background familial ? » coupa violemment l'enquêteur. Le benêt battit des cils, comme pour retrouver ses esprits, recentrer le débat « Tous ceux qui ont travaillé pour lui savent qu'il tient la majorité de son réseau de par son père mais, qu'il est pire que lui parce qu'il a encore moins d'empathie. » Il arrêta son récit pour fermer les yeux et grimacer au fur et à mesure que sa mémoire s'attelait à faire remonter à la surface des éléments concluants sur ce sombre personnage. « On ... On raconte qu'il a grandi à Thomson, une petite ville du Wisconsin. Il aimait beaucoup une fille ... Gloria Barbour je crois, qu'il a épousé. Puis, plus il grandissait, plus il rentrait dans les histoires de gangs. Et un jour ... je me rappelle ... vous allez comprendre pourquoi il est égoïste. Un jour, les Contigos sont venus pour le descendre lui et sa femme enceinte. C'est là qu'ils lui ont avoué qu'elle avait été violée par ces gars-là 7 mois plus tôt. Dégoûté qu'elle ne le lui ait pas dit, ne voulant pas élever le gamin d'un de ses rivaux, il l'a descendu, elle et les Contigos, sans trembler ni même verser une seule larme. » dit le jeune homme, pétri de terreur devant une telle monstruosité. « Depuis, il a appris à mettre tout le monde dans sa poche tout en n'aimant personne : il ... il a la police, les juges, même des gens au Congrès ! Peut être vous !!! » couina le pseudo-SDF, dépassé par la puissance de l'inconnu au trench. « Du calme, O'Connell, il n'a pas d'emprise sur le FBI, ne vous en faites pas. Est-ce que vous savez ce qu'il a à voir avec Billy B et le Criquet ? » « Il les a recrutés, formés et lâchés dans la nature pour qu'ils commettent de braquages et autres exactions qui feraient du bruit. Ils devaient faire diversion pendant qu'il faisait son business sans craindre d'être dérangé par les flics. » Il s'essuya le bout du nez d'un revers de main. L'envie de se défoncer prendrait bientôt le dessus, le flic le savait. « Quel business ? » « Vous n'êtes pas au courant ? » demanda d'un air surpris le toxico. « C'est moi qui pose les questions ici !!! » grogna l'enquêteur en frappant sur la table qui commençait à perdre son sang-froid. « Quel business ?? » Tout à coup, on fit irruption dans la pièce. Une jeune femme à la gueule d'ange mais, au charisme d'une porte de prison dont on pouvait deviner tout de suite le métier. « Agent Smith, l'interrogatoire est terminé. Tout ce que vous avez pu noter ou entendre devra être détruit en vertu de la loi de l'Etat dans lequel nous nous trouvons car, cela n'a pas été donné au bon enquêteur et, qui plus est, a eu lieu sans la présence d'un avocat. » Elle en profita pour lui montrer sa carte de membre du barreau de l'Ohio. « Qu'est-ce que ... ?! » « Ne me regardez pas comme ça, la décision revient à votre supérieur qui vous a retiré l'enquête il y a une heure pour avoir eu recours, à de multiples reprises, à des méthodes sortant du Code de conduite du FBI. En attendant, mon client et moi-même vous reverrons devant le juge le moment venu. Venez, Tyler. » Elle saisit le bras de son impécunieux client avec une vigueur on ne peut plus masculine pour l'emmener loin de cet enfer qu'il avait pu vivre pendant près d'une demi-heure. Alors qu'il les regardait quitter son bureau avec une impuissance chronique, l'enquêteur lança un « Je n'en ai pas fini avec vous, O'Connell ! ». Puis, il examina ses notes avant de lever le nez de son calepin pour réfléchir. C'est là qu'il remarqua que son ordinateur était de la marque Thomson, qu'un clou était resté enfoncé en plein Etat du Wisconsin sur sa carte du pays, qu'il avait commandé un café chez Gloria Jean's, qu'il avait un manteau de la marque Barbour, que son thermos était un Contigo. « Putin de merde ... » Il courut du plus vite qu'il le put hors du bâtiment. C'est là qu'il trouva, sur la route, en train de brûler, une fausse carte d'identité avec écrit dessus le nom de Tyler O'Connell. Il la ramassa pour éteindre les flammes et lire au dos. Je vous avais bien dit qu'il était joueur. Il poussa un hurlement de rage en comprenant qu'il venait de laisser filer pour de bon l'homme au trench.


« Je ne m'attendais pas à ce que ça soit toi qui vienne me chercher, Braindille. » dit-il en enlevant ses guenilles pour dévoiler un costard des plus fringants avant de se recoiffer à l'aide du rétro. C'était vrai. Tout était vrai. Il était beau. Il était grand. Il était charmant et joueur. « Tu sais très bien que je déteste quand tu m'appelles comme ça, Bruce. » répondit Rain en soufflant. « J'ai mis du temps à faire entendre au supérieur de cet abruti qu'il te devait la tête de Giny. » Le trentenaire pouffa de rire en même temps qu'il vérifiait la présence de sa véritable carte d'identité. « Où est ce que tu m'emmènes maintenant, Braindille ? » demanda-t-il en passant son bras droit hors de la décapotable elle-même hors de prix, son bras gauche derrière le siège de la conductrice, faisant basculer sa tête en arrière, histoire de profiter du vent frais qui lui fouettait la trogne depuis maintenant une bonne vingtaine de minutes. « Harvard. On cherche à perturber le business là-bas. Tu vas reprendre les études. » Le fameux business : drogues, parfois, drogues mais surtout, drogues. Les confréries en réclament beaucoup. L'université est donc l'un des principaux pôles de consommation du pays et donc, l'un des fonds de commerce préférés de Bruce Norris alias, le Prince. Mafieux, dealer, tueur et surtout, excellent manipulateur.
Il alluma une clope et lança une bonne playlist pour les quelques heures de route qui se profilaient.

And that's how they didn't catch me again ...