(UN) Un jour de 1994, la fille aînée d’un couple d’homosexuels, un de tes pères et anglais, l’autre américains. Tu as grandi dans un monde masculin, ces grosses mains d’hommes à la peau rugueuse contre la tienne de bébé, le passage délicat des périodes féminines, des soutiens-gorges avec ou sans baleine à acheter. Tous ces moments gênants que t’as vécu avec ces figures masculines à la tête de ton éducation, ces moments à la con qu’ils ressortiront le jour de ton mariage en PowerPoint si un jour t’arrives à trouver quelqu’un pour te passer la bague au doigt. (DEUX) Une mère porteuse française qui t’a donné vie sur le sol espagnol, à Valence, ville où t’as vécu pendant une grande partie de ton enfance, où t’a famille a grandi dans son petit cocon écarté de toutes les accusations. Tu as des origines françaises dont tu ignores absolument tout, tu veux rien savoir, être dans le déni. Elle n’est rien pour toi, juste une mule pour un embryon, t’étais que la cargaison. (TROIS) Une petite tête de bébé qui ne ressemblait à rien s’est rajoutée sur le tableau un an après que tu sois née. Ta sœur, celle de cœur, celle de sang finalement, parce que tu n’en as rien à foutre de ce qui peut être dit à ce sujet. Zora est ta petite sœur, petite merde qui t’a toujours fait chier et qui est toujours passée avant toi, ouais. Mais c’est elle, ton pilier, tu ne ferais rien, sans elle, c’est ton remède à tout, contre tout, malgré tout. (QUATRE) La mort de pépé, du vieux lard que t’as jamais vu, rarement vu, t’en sais rien, à la limite tu t’en foutais. C’est ce que tu disais, t’as pas pleuré, pourquoi, c’est la vie, c’est comme ça, il est mort. Vous avez quitté votre pays, Valence derrière vous, tu avais douze ans, en 2006. Direction le sol américain pour Boston, l’inconnu, l’involu. Tu étais bien en Espagne, chez toi, dans tes habitudes. Bousculée, il ne fallait pas, tu voulais pas. Tu zigzaguais entre Boston et New York, vos deux pieds à terre. (CINQ) Tout a merdé, à ce moment de ta vie, tout s’est embarqué, un tourbillon a tout dévasté dans ta tête, dans ce que tu es. Tu ne voulais pas de tout ça, tu ne savais pas ce que tu voulais, tu ne sais toujours pas. Tu as changé. En mal, peut-être, t’as juste vrillée. Tu voulais de la nouveauté, voyager. Tu voyais ton avenir différemment, de celui de tes parents. Pas grand-chose ne pouvait t’intéresser, si ce n’est cette adrénaline, celle d’être libre, de te teindre les cheveux de toutes les couleurs et dessiner des faux tatouages au feutre indélébile le long de tout ton corps. Cette crise d’ado, la fameuse, dévastatrice sur plus d’un point dans ton cas. Les engueulades s’enchainent avec ta famille, avec tout le monde. Papillon de la nuit, solitaire. (SIX) Tu retournes en Europe, souvent, c‘est là-bas chez toi, le peu d’amis que tu peux te faire, accepter à entrer dans ton monde, ils sont dans ces Terres d’où on t’a arrachée pour une vieille peau crevée. Tu passes la moitié de ton temps à l’autre bout de l’océan, ta vie a continué là-bas, ce jusqu’à tes 21 ans, en 2015 environ. Tu restais en Europe pour ce pourquoi t’as trouvé une certaine passion. Tu t’es frayé un chemin dans un monde en grande partie masculin, comme par simplicité d’être entourée de gent virile. Tu l’es quasiment tout autant qu’eux après tout. Garçon manquée, assumée. T’es mains sont quasiment tout le temps en contact de ton véhicule de puissance. Depuis l’obtention de ton permis de conduire, tu as cette voiture, celle avec laquelle tu as remporté une petite collection de prix. Ouais, rien ne te prédestinait à jouer dans la cour des rallyes, pourtant, ce qui te fait vibrer pendant de longues années. (SEPT) Tes parents ont jamais vraiment compris, cette passion automobile, personne n’en fait, personne n’aime ça particulièrement dans tout entourage, le loup à part. Comme toujours. Une perte de temps selon eux, selon tout le monde, peut-être, rien à foutre de ton côté. Tu es passionnée par les films de Fast and Furious vivant pour Paul Walker t’es aussi quasiment morte quand il a perdu la vie, « See you again » en sonnerie de ton téléphone, le cliché à mort que t’es seule à comprendre, faut croire. T’as quand même arrêté tout ça, étrangement rentrée dans les bonnes lignes droites. Tu retournes officiellement à New York en 2015 pour monter ton dossier pour Harvard, rejoindre ta sœur, te calmer, bizarrement. Instable, tout le temps, après tout. Tu t’y plais, là-bas, sur les bancs de l’université, ta voiture est venue avec toi, ouais, c’est sûr. Garée à côté d’une table de sérigraphie dans le garage où tu vis quasiment. Parc que depuis tout ce temps, ce que tu cachais grossièrement à tout le monde c’était cette part d’art en toi. Tu dessinais, depuis toute gamine, toi et Zora. Votre art, elle s’est lancée dedans entièrement quand toi tu reculais vers d’autres horizons. T’as continué, dans ton coin, éloignée. Affiner ton style, provocant et trash, ce que tu veux c’est délivrer un message, simple et court, d’où la sérigraphie, rapide et pas cher. Tu placardes tes estampes partout dans les rues, ton opinion. Celui que tu gueules dans des manifestations qui te tiennent à cœur ou juste pour en parler. Pas très bavarde en général hein, sauf quand c’est pour tes convictions, anti conformiste. L’art est une partie de ta vie, gravé sur ton corps de tatouages, aussi. Tu en fais des études arts visuels, devenir graphiste officiellement, devenir une indépendante aux services de ceux qui veulent rendre service.