T'as pas la moindre idée de ce que tu fous là. T'avais pourtant dit que tu la laisserais tranquille, que tu ne lui parlerais plus. T'étais même parvenu à t'en convaincre en toute sincérité. Pourtant t'es bien là, à l'attendre tout seul comme un con devant le café où elle travaille. Tu sais qu'elle va finir son service d'une minute à l'autre parce que tu te rappelles encore de ses horaires, depuis cette époque désormais bien lointaine où tu te faisais passer pour ce que tu n'es pas. Ce que tu ne seras jamais. Et c'est bien là tout le problème. Tes réflexions sont interrompues par la porte de l'établissement qui s'ouvre dans un carillon mélodieux. Tu te redresses nerveusement, ton coeur se met à battre plus vite, le stress se fait aussitôt ressentir et... ce n'est pas elle. Seulement une cliente qui s'éloigne doucement et dont tu fixes la silhouette pendant que tu te reperds dans tes pensées. T'es tellement absorbé par les mille et une questions que tu te poses que c'est à peine si tu entends la clochette sonner une nouvelle fois. Le regard dans le vide au loin, tu ne sais toujours pas comment tu comptes l'aborder. Pourtant tu vas devoir vite trouver puisqu'elle te fait face juste au moment où tu tournes la tête vers le café. T'es peut-être celui qui est venu la voir à l'improviste mais de vous deux t'es sans aucun doute celui qui panique le plus maintenant. « Salut. » Le mot sort tout seul de ta bouche comme un malheureux réflexe qui perdure. Et c'est tout. Tu ne trouves rien d'autre à ajouter. T'as connu de meilleures entrées en matière.

Autant, ça ne me dérangeait pas d'aller en cours et de travailler au Luna Caffe ensuite... Autant, travailler toute la journée au Luna, ça me rendait dingue. J'étais faite pour mon domaine d'étude, mais clairement pas pour mon job étudiant. Entre ma timidité et la masse de personnes à qui je devais me confronter à longueur de temps... c'était parfois très compliqué. Le meilleur moment pour moi, ça restait quand le café se vidait totalement de sa clientèle, devenant beaucoup plus calme. J'avais juste à fermer la boutique et à retrouver ma petite chambre étudiante ensuite. Ce soir encore, je soufflais un bon coup en raccrochant mon tablier et en enfilant mon manteau. Sentir la fraicheur de l’extérieur sur mes joues à la sortie, ça n'avait pas de prix. Seulement, cette fois-ci, je restais figée sur le pas de la porte. Philip. Comme un automatisme, mon cœur s'emballa et mes joues se mirent à rougir. Il était là, à attendre et il regardait en direction de la rue pour faire... je ne sais quoi. Je fronçais doucement les sourcils, ne sachant pas trop quoi faire, jusqu'à ce qu'il tourne la tête dans ma direction. « Salut. » Mes sourcils se lèvent, de surprise. « Le Luna vient de fermer... » Parce qu'il devait attendre quelqu'un pour boire un café peut-être ? En même temps, je n'imaginais pas Phil venir ici. « Tu es perdu ? » que je demande d'une petite voix avant de hausser les épaules et cacher le bas de mon visage dans le col de mon manteau.

Tu te sens profondément stupide d’être pris au dépourvu comme ça alors que c’est toi qui as pris la décision débile de venir la voir sur un coup de tête. T’as tellement de choses à lui dire et en même temps aucune idée de ce que tu voudrais vraiment qu’elle sache que tu te retrouves à bloquer sans savoir quoi rajouter. Malgré le rouge qui colore les joues de Marla, t’es clairement le plus embarrassé de vous deux. « Le Luna vient de fermer... » Tu agites la main en signe de négation, parce que t’es pas certain de beaucoup de choses dans cette histoire mais t’es au moins sûr de ne pas être venu pour prendre un café. « Ah non… je sais… hum… » balbuties-tu maladroitement avant de fixer le sol. T’es pathétique là, faut que tu te reprennes. « Tu es perdu ? » finit-elle par te demander devant ton hésitation. Ouais t’es perdu. Et pas qu’un peu. « Non… je voulais te parler en fait. » Tu soupires et poses à nouveau ton regard sur elle. « Je peux te raccompagner à la Dunster ? Ou peu importe l’endroit où tu dois aller. S’il te plaît ? » Peut-être qu’elle ne veut même pas te parler en fait. En tout cas à sa place, tu te serais envoyé bouler direct.  

La situation était étrange. Je ne m'attendais pas, en sortant du travail, à me retrouver en face de Philip. Je m'appliquais à ne pas penser à lui et le voir, c'était vraiment pas un bon plan pour le coup. Je sentais mon estomac se tordre, mes joues se couvrir de rouge juste en croisant son regard. Qu'est-ce qu'il pouvait bien faire là ? Je lui indiquais stupidement que le café était fermé, mais à sa réaction, il n'était pas là pour ça. « Ah non… je sais… hum… » C'était la première fois que je voyais Philip aussi peu sûr de lui. On dirait moi presque. J'avais l'impression de me voir quand je m'adressais à lui et bizarrement, ça me faisait du bien de le voir comme ça. Continuant dans mes réflexions idiotes, je lui demande s'il est perdu, ne comprenant toujours pas ses réelles motivations. « Non… je voulais te parler en fait. » La surprise couvre instantanément mon visage et je n'arrive pas à parler tant que j'assimile ce qu'il me dit. « Je peux te raccompagner à la Dunster ? Ou peu importe l’endroit où tu dois aller. S’il te plaît ? » Mon cœur se met à battre à une vitesse folle et ma peau ne retrouve pas sa couleur d'origine. Faire la route avec moi ? Pourquoi ? Pour parler ? Je fronçais les sourcils doucement. « Si c'est pour redire ce que tu as déjà dit par sms ou tinder... non merci » J'étais pas prête à entendre de vive voix ce qu'il m'avait déjà écrit.

Après votre dernier échange désastreux, tu ne serais pas surpris qu’elle refuse toute conversation avec toi maintenant. Après tout t’es celui qui a insisté cette fois-là pour couper définitivement les ponts avec elle. Tu te prépares même à une éventuelle pique de sa part, puisqu’elle t’a déjà démontré que ce n’est pas parce qu’elle est timide d’apparence qu’elle ne peut pas être incisive lorsqu’on la cherche. Plus qu’incertain de sa réponse, tu vois d’abord la surprise sur son visage à laquelle succède une expression plus dubitative, voire sceptique. « Si c'est pour redire ce que tu as déjà dit par sms ou tinder... non merci » Evidemment. Malgré son malaise que trahissent ses joues, elle ne se démonte pas. Mais c’est justement pour lui dire l’inverse de tes dernières paroles que tu es là. Ou du moins essayer de lui dire. Tu passes une main dans tes cheveux, ne trouvant pas les bons mots pour formuler ton message. « Je suis fatigué Marla. Fatigué de ne pas te parler. Fatigué de me prendre la tête pour tout ça. J’ai pas envie de continuer comme ça. » soupires-tu en fixant les arbres au loin. Il n’y a pas grand-chose qui va dans ta vie en ce moment. T’as plus la force de te battre contre tes désirs, aussi égoïstes soient-ils.

J'avais du mal à comprendre ce qui était en train de m'arriver. Un peu comme quand Sullivan m'avait qu'il allait être papa et ensuite, qu'il allait se marier. Un gros bug technique dans mon cerveau. Premièrement, voir Philip, c'était déjà très étrange. Le savoir là, pour moi, ça l'était tout autant, même plus. Alors pour parler ? Je ne savais pas tellement quoi en penser. Les dernière fois que nous avions parlés, ça avait été un échec et je n'avais pas été la plus agréable dans mon dernier sms. D'ailleurs, il était peut-être là pour ça ? Pour parler de l'incident avec sa Romie ? Si c'était ça, je n'avais pas envie non plus, il aurait dû venir avant. Sa nervosité est palpable et ça me fait toujours autant de bien de le voir patauger de la sorte. « Je suis fatigué Marla. Fatigué de ne pas te parler. Fatigué de me prendre la tête pour tout ça. J’ai pas envie de continuer comme ça. » Okaaaay. Comment on en est arrivé là ? Parce que ça faisait une semaine qu'on avait complètement coupé les ponts et je pensais ne jamais le revoir de cette manière. Et en fait, en écoutant ses propos, je percutais enfin ce qu'elle avait pu me dire Cruella. Se prendre la tête ? Il était en train de me dire que ça faisait plus d'une semaine que nous étions dans le même état ? Toujours en face de lui, je venais fourrer mes mains dans les poches de mon manteau. « Et tu veux continuer comment ? » Parce que si c'était pour être amis, ça allait être compliqué.

T'es vidé de toute énergie. Physiquement parlant parce que tu ne dors plus beaucoup depuis ton retour du Spring Break et que tes cours te pompent jusqu'à la moelle. Mais surtout psychologiquement parce que t'as le cerveau en ébullition H24 et que ce n'est généralement pas pour penser à des choses hyper agréables. Quand ce n'est pas Marla qui te préoccupe, c'est Meghan et quand ce n'est Meghan c'est Romie. Autant de soucis qui te parasitent continuellement l'esprit sans que tu n'avances nulle part. Ça t'épuise de vivre dans cette atmosphère pesante et t'as besoin de faire quelque chose pour ne pas sombrer complètement. Sauf que la jeune femme ne compte pas te faciliter la tâche. « Et tu veux continuer comment ? » C'est là tout l'enjeu et t'en as aucune idée. Depuis le temps que tu réfléchis à cette question, t'as pas progressé d'un pouce. « Je ne sais pas... Je sais juste que je ne me veux plus avoir à me forcer pour ne pas te parler, ne pas te voir... » réponds-tu le regard toujours au loin. Ne pas te forcer à ne pas penser à elle tous les jours, même quand tu fais tout pour te la sortir de la tête. Même quand t'es censé être entièrement concentré sur autre chose. Même quand t'as une autre fille dans ton lit. « J'ai envie de passer du temps avec toi, comme avant. » Quand tout était si simple entre vous, quand tu n'étais qu'un mec qui courrait après une fille pour la mettre dans son lit. Tes actes n'étaient peut-être pas les plus honnêtes mais tes pensées l'étaient. Marla, elle te plaît vraiment.

Ce qui était en train d'arriver, c'était... Je n'avais pas de mot en fait. J'avais du mal à y croire. Est-ce que j'allais me réveiller ? Est-ce que c'était un gag ? Un poisson d'avril en retard ? En tout cas, j'avais quelques interrogations qui désormais semblaient faire sens dans ma tête. Cependant, je n'osais pas en parler. Après tout, c'est lui qui était là et qui avait des choses à me dire. Je retenais ce que Margot m'avait dit, qu'elle avait fait courir Eliot... Et si je m'en sentais incapable de faire ça, je pouvais néanmoins, de par mon caractère, lui rendre les choses plus difficile. J'allais simplement agir comme bon me semblait. Alors, je montrais une certaine distance, essayant de camoufler certains sentiments. Je ne voulais pas qu'il sache à quel point je pouvais toujours être déstabilisée par sa présence. Même si je lui avais dit que je ne ressentais plus rien, c'était faux. Et c'est pour cette raison que je n'allais pas vers lui et aussi, que je n'étais pas spécialement d'accord pour que l'on soit de vulgaires amis. « Je ne sais pas... Je sais juste que je ne me veux plus avoir à me forcer pour ne pas te parler, ne pas te voir... » Mon cœur s’emballait comme jamais auparavant il n'avait pu le faire. « J'ai envie de passer du temps avec toi, comme avant. » Ça aurait pu être parfait s'il n'y avait pas eu les deux derniers mots. J'étais en train d'avoir un ascenseur émotif sous ses yeux. « Tu veux juste me remettre dans ton lit donc ? » Comme avant, c'est quand il en avait rien à faire non ? D'ailleurs, tout s'effondrait dans ma tête en quelques secondes. Il en a eu quelque chose à faire au moins ?

T'avais pas vu la cassure arriver. Ce moment où tout a basculé, où ta vie est passée d'un petit fleuve tranquille à cette tempête dans laquelle tu te noies depuis quelques semaines. T'avais pas compris à l'époque qu'un jour tu regretterais amèrement tout le temps que tu avais pu passer avec Marla sans te soucier du reste. Quand il suffisait qu'elle croise ton regard pour sourire. Cette époque bénie où tu pouvais flirter ouvertement avec elle, apprendre à la connaître un maximum et plaisanter en toute légèreté comme si de rien n'était. Désormais toutes vos interactions ne sont qu'un enchaînement de disputes et d'incompréhensions mutuelles. « Tu veux juste me remettre dans ton lit donc ? » qu'elle te demande, illustration parfaite de ces multiples malentendus entre vous. Et si jusqu'à présent elle affichait une expression plutôt neutre face à tes propos, tu la vois maintenant se décomposer sous tes yeux. Tu t'empresses de clarifier ton propos, mais encore une fois les mots justes te manquent pour t'exprimer. « Non... c'est plus que ça. » Reste à définir ce « plus ». Tu décides de jouer carte sur table, t'as plus grand chose à perdre de toute façon. « Je ne sais pas ce que je veux mais je sais que je veux plus avec toi. » Tes yeux continuent de fuir délibérément les siens alors que tu te confesses, moins assuré que jamais. Tu détestes ça, te montrer aussi vulnérable va à l'encontre de tout ce que tu es.

Le moment était intense, fort en émotion. Après ma journée de travail, ce n'était pas humain de me faire ça, il était en train de me mettre K.O. et punaise, j'allais juste vouloir m'endormir dès que j'allais entrer dans ma petite chambre étudiante, mais là, avec ce qu'il était en train de me dire, je n'allais jamais y arriver à mettre mon cerveau en off. Il était en train de me faire faire un tour dans les montagnes russes et je crois que j'avais préféré le faire dans un manège à sensation plutôt que dans celui des sentiments. Mais en même temps... Le voir là, pour moi, aussi peu sûr de lui, j'en perdais pas une miette malgré qu'il me fasse un ascenseur émotif juste parce qu'il arrivait pas à s'exprimer. Sérieusement, j'avais envie de le secouer, pour qu'il crache le morceau une bonne fois pour toute. Mon visage se décomposait et il s'empressait de reprendre pour en dire davantage. « Non... c'est plus que ça. » Et voilà que mon cœur se mettait de nouveau à tambouriner. Plus. Il a dit plus. J'étais totalement immobile à ne plus réussir à décrocher mon regard de lui alors qu'il faisait tout pour regarder ailleurs. Il était donc là, le vrai Philip ? C'était ça la différence entre celui qui ment et celui qui ne joue plus ? « Je ne sais pas ce que je veux mais je sais que je veux plus avec toi. » J'allais mourir ou tomber dans les pommes d'ici peu, mais j'essayais quand même d'avoir l'air d'une fille qui garde le contrôle. C'était la deuxième fois en une minute qu'il disait vouloir plus. « Et c'est quoi "plus" ? » Parce qu'en réalité, je crois bien que je comprenais où il voulait en venir, mais je voulais que ça sorte de sa bouche. Je voulais qu'il pose des mots.