Elle aurait pu s’appeler Irina ou encore Anja mais son prénom à l’accent enchanteur sonnait plutôt mexicain, issue d’un pays où la misère est égale à celle serbe et venue étudier on ne sait quel paysage afin de l’immortaliser de son appareil. Beatriz avait fui la misère de son pays au cours d’un voyage organisé par quelques unes de ses amies, avec leurs économies d’une vie. La Serbie avait été un choix judicieux, surtout dans cette contrée reculée où les loyers ne valent pas grand-chose. Leurs regards s’accrochèrent tandis que leurs pensées dérivaient vers des royaumes plus luxurieux que la place de ce village hanté par des fantômes, à défaut d’habitants généreux. Elle immortalisa le visage de cet homme à travers son appareil et ne revint jamais sur ses pas, préférant la chaleur de ses bras. Ils s’aimèrent de ce sentiment sincère auquel beaucoup aspirent toute leur vie sans jamais y accéder et, de leur union, naquit cette petite tête brune que l’on prénomma Maja. De cette douloureuse grossesse reste le soleil qu’est Maja mais les deux Horvath déplorent depuis vingt-huit ans la perte de leur mère et amante, Beatriz qui a succombé des suites de son accouchement prématuré. L’histoire n’est pas des plus belles mais leur quotidien tend à être radieux. Sven, le père de Maja, a toujours eu le mot qu’il faut pour rendre les choses simples. Maraicher de son état, il n’a pourtant jamais refait sa vie et a insufflé tout son amour à sa fille, qu’il éleva de la plus délicate des façons sans qu’elle oppose de signes de rébellion. C’était elle et lui contre le monde.

Nourrissant une passion démesurée pour le passé et ses mystères, il fut indéniable qu’elle se tourna vers un master en archéologie à l’obtention de ses diplômes. Détentrice d’une bourse d’études, ils purent s’installer dans un petit studio en plein centre-ville de Belgrade, avec celui qui combla le manque de son père durant ses études universitaires et qui partage sa vie depuis deux ans déjà. Ils se rencontrèrent au lycée et malgré le dédain de Maja envers la cause sentimentale, peu désireuse de s’engager dans quoi que ce soir, il parvint à la faire succomber lorsqu’il passa trois mois à apprendre à la guitare ce morceau de musique qu’elle affectionne particulièrement. Leur relation n’avait rien d’ordinaire, il suffisait d’un regard pour qu’ils se comprennent et c’est tout naturellement qu’ils se marièrent à l’aube de ses vingt-et-un ans alors que leurs économies, issues de petits jobs respectifs, le permirent. Doué avec les chiffres, Ivan fut rapidement repéré par une entreprise de transport international et y a officié de nombreuses années en tant que comptable.

Il y a un peu plus de deux ans, il s’est rendu compte que son employeur était en fait une couverture et déguisait son commerce d’organes contre du transport de marchandises lambda. Aussitôt sûr de ses preuves, il en référa à la justice en échange d’une protection pour sa famille. Les choses semblèrent se tasser mais, un an après, il fut victime d’un accident de voiture qui lui coûta la vie, le chauffard adverse s’en tirant avec quasiment rien. Néanmoins, les autorités pensent qu’il s’agit d’un attentat déguisé et, suite à ce soir où la voiture de Maja prit feu et où on l’agressa physiquement, son agresseur prenant la fuite grâce à quelques passants courageux, elle a intégré le programme de protection des témoins et a rejoint Boston afin d’y passer incognito.

Aujourd’hui, depuis environ six mois, Maja enseigne à Harvard et n’occupe son temps qu’avec ses rendez-vous, ceux mis en place par la justice, avec son agent de liaison dont elle se méfie scrupuleusement, ayant vécu trop longtemps dans le danger. Ses cours de jiu-jitsu brésilien rythment trois de ses soirées afin qu’elle puisse se défendre en cas de nouvelle agression et les documentaires de National Geographic en compagnie de son chat viennent combler ses journées et ce manque, trou béant qui parfois la ferait hurler.