Mon deuxième rendez-vous ce matin, c'est une bonne famille, les Velvet-Sheills, qui m'amènent leur fille, victime de harcèlement à l'école primaire. Ça commence tôt, à cet âge-là. Terrible. Elle n'avait pas grand-chose à dire, la petite, c'est plus les parents qui étaient bouleversés. Ils l'ont vu se faire pousser, se cogner la tête sur le macadam de la cour, à la sortie, et elle n'a rien fait. Aucune rancœur, aucune envie de vengeance dans ses yeux, m'ont-ils décrit. C'est vrai qu'elle n'est pas très expressive, leur Greer. J'ai congédié les parents pour lui parler seule à seule. Souvent, ce genre d'attitude et cette tendance à ne pas souhaiter se défendre quand il est attaqué est lié à une forme de maltraitance subie antérieurement par l'enfant. Mais les parents n'emmènent généralement pas leur enfant chez le psy après avoir battu leur progéniture, au risque de se faire démasquer. Non, c'est peut-être extérieur à la famille proche. Ou bien la petite est simplement pacifique, faut pas voir le mal partout. Il y en a des comme ça, des très calmes, très jeunes. Bon, souvent, ce ceux les moins futés, mais la petite au contraire m'a l'air très éveillée, malgré le fait qu'elle parle peu. Je ne sais pas si elle va revenir, mais en tout cas, j'ai pu rassurer ses parents : des gens biens, riches, occupés mais pas du genre à délaisser la puce, non ça je ne pense pas.

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         J'ai rencontré cette fille ce matin. Elle s'appelle Greer, elle a quinze ans et elle va au même lycée que moi, mais c'est drôle, je ne l'ai jamais vue avant. En fait, elle m'a bousculé (sans faire exprès, je crois), et l'écran de son téléphone s'est brisé dans le choc. Je lui ai ramassé, et je me suis coupé avec un bout de verre. Elle m'a pris la main blessée et a serré. J'avoue que j'ai pas trop compris, ça m'a fait un peu mal mais elle a levé les yeux vers moi, retiré un de ses écouteurs avec sa main libre et m'a dit : "c'est pour éviter une coulée trop abondante". A bien y voir, c'est vrai que ça n'était pas une mince entaille, que je m'étais faite. Elle m'a emmené chez l'infirmière et a attendu que mon bandage soit bien placé pour me réclamer son téléphone. Elle avait vraiment l'air de s'en foutre, qu'il soit cassé. Elle a retiré la puce, et l'a glissé dans sa poche. Quand je lui ai demandé son numéro (je devais essayer, j'ai un peu la dalle en ce moment), elle a dit non et elle est partie.

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         Mon amie d'enfance, peu la comprennent, pourtant elle est claire comme de l'eau de roche dans ma tête. Elle est douce, intelligente, elle préfère écouter, examiner qu'être au centre de l'action. Finalement, elle a beau avoir l'air un peu spéciale, c'est une personne très simple. Alors oui, au collège, certains disent qu'elle ne savait pas se défendre, mais je vous assure que quand elle est énervée, pour avoir vu le phénomène se produire une fois, il y a un truc qui se passe. Elle sort de ses gonds dans le calme le plus mortifère, et elle casse tout, tout en restant immobile. C'est peut-être la seule chose qui m'intrigue encore chez elle. Instinctive, mais tellement cérébrale... En tout cas, elle me manque terriblement ici. Je me sens seule à Manchester, sans sa bouille et ses cheveux blonds, ou bruns, parce maintenant elle les teint apparemment, foyer de mille tresses.

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Elle m'a dit qu'elle s'appelait Eva, et puis après trois verres, Eloise. Je l'ai ramené chez moi, puisque ma femme ne rentre que vendredi. Eh, arrêtez de me lancer ce regard : je le sais, qu'elle aussi, elle se tape un stagiaire, ou un quelconque autre guignol de sa boîte. Bref : une nuit comme ça, j'en ai pas eu depuis longtemps. Disons qu'elle avait ramené quelques accessoires qui m'étaient encore inconnus jusque là, du haut de mes 46 ans, et pourtant, j'en ai vu passer. Mais des nénettes comme ça, jamais. Elle s'est métamorphosée à l'instant où je lui ai retiré les premières couches de vêtements (oui, il fait froid l'hiver à Boston). Elle m'a retiré mon alliance (je croyais que ça avait un côté sexy pour les jeunes comme elle, mais bon), et puis elle m'a menotté (si si, je vous jure, moi qui suis de la police !). Le reste, je le raconte pas, eh non : vous n'aurez pas les détails. Ah, tout de même, je dois préciser qu'elle était très silencieuse. Méthodique. Rigoureuse. J'avais l'impression de baiser avec un robot, mais en même temps c'était très agréable. Je sais même pas dire si ça m'a plu véritablement, je suis encore tout retourné. Mais depuis mardi, elle ne répond plus à mes textos. Vraiment étrange, cette fille. Magnétique, j'avoue.

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         1er septembre 2011

Je suis arrivée à Cambridge il y a deux jours. L'été ici est vraiment plus intense qu'à Manchester. Les paysages de l'Angleterre me manquent déjà, mais je dois reconnaître que les bâtiments du campus ont leur charme. J'ai promis d'envoyer des lettres à Jocaste, parce qu'elle est dans un délire vintage en ce moment et que je lui dois bien ça, pour le tout le soutien qu'elle m'a donné avant mon départ. Ma coloc' a l'air cool, j'ai vu quelques albums dans sa valise qui me plaisent. Demain, je vais visiter les labos, et ça, c'est vraiment ce qui m'a maintenu en vie depuis deux jours. Je suis encore en train d'essayer de trouver une cachette pour fourrer ce journal, hors de question que qui que se soit mette la main dessus. Sur ce, je sens pas super bon, avec toute cette sueur de l'été qui perdure et mon petit footing dans le parc ; je vais me doucher.

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         22 février 2018

C'est le début du 4ème journal de bord. Je l'ai acheté samedi, je me sens obligée d'écrire dedans, mais honnêtement, je ne sais pas quoi y mettre. Je vais bien. Mise à part ces putains de migraines qui me prennent en plein cours, parfois même en plein examen, et ça fait chier. J'ai bientôt fini de mettre en page mes recherches pour le projet de neuro, mes amis me martèlent avec des propositions de sorties, mais c'est juste pas le moment. Et puis ils ont de l'expérience avec l'alcool, moi c'est occasionnel, quand ça me prend, et je suis à terre assez rapidement, sauf quand je suis vraiment... déterminée.