La pluie claque sur mon volet et donne des vibrations sur mon corps, alors que je me retourne sans cesse dans mon lit. Je n’arrive pas à dormir, demain je dois de nouveau passer des tests et ça m’angoisse. Mes parents sont confiants et disent qu’un jour je pourrais entendre, mais ils ont tendance à oublier que je suis sourde depuis la naissance et que toutes les machines qu’ils passent et repassent près de mes oreilles n’y changeront rien. En fait j’ai mal au cœur pour eux. J’ai l’impression d’être un poids pour ma famille. Même si je porte des appareils, que je vais dans une école « normale » que j’ai des amis « normaux », que je pratique un sport qui me plait, j’ai la sensation que tous les efforts qu’ils font pour m’aider les poussent à la fatigue plus qu’autre chose et ça me fend le cœur. Pour tout dire, j'ai été appareillée à l'âge de mes deux ans. Les tests de naissance n'ont rien révélé d'anormal, mais il faut croire que depuis que je suis née je n'entends pas. J'ai complété ce manque de l'un de mes cinq sens par la lecture labiale, et c'est pour cela que j'ai su retenir quelques mots malgré mon handicap. Cependant j'ai tout de suite eu un retard, je faisais de petits bruits mais pas de mots à proprement parlé, c'est le cas de le dire. Mes parents m'ont emmené dans un centre de surdité, et le jour où j'ai eu mes appareils a été le plus beau de ma vie. J'entendais. Je ne rêvais pas. Je sais donc lire sur les lèvres, et j'ai complété mon petit retard en travaillant encore plus. Je me lève de mon lit en mezzanine, et à pas de souris me dirige vers la chambre de mon frère jumeau qui doit dormir à cette heure tardive de la nuit. « Jer, je n’arrive pas à dormir » dis-je alors en me faufilant sous les couvertures. Il ne râle pas, comme à son habitude. Même s’il me trouve chiante. Je n’ai pas mes appareils, donc il sait que s’il me parle je ne vais pas entendre sauf s’il s’approche de mon oreille. « J’ai peur. » Il glisse son bras autour de mes épaules et me sert contre son torse chaud. J’ai toujours eu une relation fusionnelle avec mon frère, depuis que nous sommes nés il a toujours été présent pour moi, mon double en quelques sortes. Dans les moments difficiles il devenait mes oreilles, et je ne le remercierais jamais assez pour cela. Cela fait seize ans que nous sommes collés l’un à l’autre et cela ne changera pas de sitôt. Ses lèvres viennent se coller contre mon oreille, pour dire les mots qu'il me faut « Je t’aime Jali », un frisson me parcoure l’échine je dépose mes lèvres sur sa joue et lui dis d’un murmure « Je t’aime aussi ». Je me blottis un peu plus contre lui, alors que sa main caresse mon dos m’aidant à trouver le sommeil.


C’est ma grand-mère qui m’a transmis l’amour pour les cheveux, et cette passion ne m’a jamais quitté. Aussi loin que je m’en souvienne j’ai toujours été en contact avec ces magnifiques équidés. Mon premier poney était un Shetland, venant d’une famille Disney je l’ai appelé Cinderella, je ne fais pas dans l’original me dites-vous mais sa robe pie tovero m’a toujours fascinée. Je l’ai eu dès mon plus jeune âge, alors quand il est parti j’ai beaucoup souffert, mais j’ai conservé ses crins dans un journal où j’ai toujours raconté mes aventures équestres. Avec lui, mais aussi avec mon second poney, qui vit maintenant une retraite paisible avec d’autres cheveux dans les terres françaises. Il s’appelait Caramel, tout simplement de part sa robe d’Haflinger. Avec lui j’ai commencé le horseball. Il a appris à me donner encore plus confiance en moi, et à conforter mes choix face au monde équestre. Mais là je voue tout mon amour à Mozart, j’ai aimé ce pur sang dès le moment où je l’ai vu. Sa magnifique robe baie m’a fait chavirer. Mes parents me l’ont offert pour mes dix-huit ans et c’est avec lui que mes cheveux volant en harmonie avec ses crins font des merveilles. Jeremiah est toujours avec moi lors des évènements sportifs c’est un peu mon groom. Lorsque je suis à cheval j'ai le sentiment de liberté, comme si je pouvais tout attraper, frôler les ailes des oiseaux en volant à leur côté. Pour rien au monde je ne pourrais m'en passer.


Comment ça on ne peut pas être sourde et jouer d’un instrument ? C’est totalement faux, au contraire je dirais que mon handicap m’aide à ressentir plus de choses. Lorsque je joue, quelque chose de fort se forme en moi, j’attrape l’archer et fait voguer les accords au gré de mes sensations, mes émotions et mon lâcher-prise. Je sais lire une partition, mais je sais aussi faire ressentir aux autres quelque chose de presque irréel quand je joue. J’ai vu plusieurs fois mes parents pleurer en entendant mes notes, et cela me met du baume au cœur. « Maman, Papa je veux faire du violoncelle » avais-je dit à mes parents après avoir vu cet instrument dans l’ancienne chambre de Papi lors de nos vacances d’été. À la rentrée de septembre et du haut de mes cinq ans, j’ai commencé à apprendre les bases de solfège et une fois bien ancrées en moi, l’instrument et moi ne formions plus qu’un. Mon handicap ? je l’oublie quand je joue et puis il ne se voit pas en plus. Le fait d'y arriver me laisse penser que finalement je suis peut-être pas si anormale que ça. Il ne faut pas croire, j’ai connu beaucoup de difficulté en apprenant les notes surtout que certaines se ressemblent et avec des appareils auditifs ce n’est pas toujours évident de faire la distinction entre deux octaves. Mais avec persévérance et un amour pour la musique et plus particulièrement cet instrument je suis arrivée au bout des choses et je n’ai jamais baissé les bras. J’ai encore des choses à apprendre et je le sais, mais j’ai l’envie et la soif d’apprendre alors rien ne peut m’arrêter, sauf la mort et elle ne me fait pas peur, je la mets au défi de m’atteindre !


« Viens Olly, et ramène la balle » dis-je à mon Golden retriever. Enfin ce n’est pas le miens à proprement parlé mais disons que je me suis attachée à cette boule de poils. Ce petite bébé appartient à l’association dont je fais partie, il a cinq ans et des personnes sont intéressées pour le prendre, ça me rend triste. Je m’étais attachée à lui, et lui à moi. Si je n’avais pas Fluffy et Snow avec moi, je l’aurais sûrement adopté. Mes parents n’ont jamais compris mon amour pour les animaux. Ils ont compris celui pour les chevaux, car c’est mamie qui m’a donné le virus mais pour les animaux en général non. Ils n’ont pas pour autant été surpris lorsque je leur ai annoncé que je voulais devenir vétérinaire en exerçant dans un zoo. La raison de mon attachement pour eux est simple : ils ne se posent pas de questions. Ils sont des êtres vivants, mais ne sont pas des êtres humains. La cruauté de l’homme m’a toujours répugné, et je me suis toujours mieux sentie entourée de bêtes que d’homme. Cela ne veut pas pour autant dire que je suis anti-sociale avec les êtres humains, j’ai juste des réticences face à eux. Alors que les animaux sont des êtres innocents qui ne demandent qu’à être aimé. Alors moi je les aime, je défends leur cause et suis prête à tout pour leur venir en aide. Je revois ma mère me dire un soir, après que je sois rentrée de cours « Tu sais ma chérie, parfois tu devras emmener les animaux au paradis », je lui ai souris, toujours ce besoin de vouloir me protéger face au monde. « Mais je le sais maman. Et si je les emmène là-bas c’est pour qu’ils soient heureux. Un animal ne doit pas souffrir. Un animal doit être heureux, et si c’est au paradis que son bonheur se trouve, je l’aiderais à traverser la lumière blanche. »