Naissance mystère. Enfant mystère. Trop jeune pour se rappeler des traits maternelle, trop fraîche pour ce monde pour les comprendre. Une innocence abandonnée près d’un foyer, par une mère aux yeux rougis, aux cheveux ternes et à la démarche cassée. Brisée par la vie, par l’alcool et la drogue. Partisante de la misère du monde, de l’être humain vaste et avare, l’enfant entre les mains pour un premier adieu. Un dernier adieu. Une image trop lointaine pour qu’il en reste des fragments, rêveuse de milles visages en imaginant le sien de milles façons différentes. Quelque chose, n’importe quoi pour se rappeler qu’elle existe, qu’elle a existé à un moment.


Elle ne les aimes pas. Elle n’aime pas l’endroit, pas les meubles, pas ce lit, pas la vie. L’ange assombri sombre dans l’oubli, dans l’indifférence, la méfiance des autres et ceux qui l’entoure. L’ange épargné s’isole pour mieux se connaître, pour ne pas les aborder, tout ceux qui la dévisagent pour percer le mystère qu’elle porte en fardeau. Elle même ne peut pas l’élucider, comment pourraient-ils ? Alors elle est là, au fond de sa médiocre chambre qu’ils ont décorés à leur manière, la manière la plus chaleureuse pour lui faire oublier qu’elle fait partie des abandonnées. De ceux qu’on n’a pas voulus garder, qu’on a pas apprit à connaître ni à aimer. Elle s’isole, silencieuse, sa voix qui disparaît des esprits trop vite, trop peu entendu. La gamine éperdue de ses livres, dès son plus jeune âge, elle trouve son refuge dans des bouquins abimés, froissés aux histoires enfantines pour apaiser la tristesse qui l’empoisonne. L’enfant du ciel, l’enfant de la rue se nourrit de mots et d’espoir d’un avenir qu’elle embellit dans sa tête. Qu’elle imagine de toutes les façons, que des belles, que des meilleures parce qu’elle a déjà goûté au pire. Elle ne parle à personne, l’enfant muette qui découvre l’humain à travers ses yeux océan, qui le comprend pas toujours mais qu’elle veut apprivoiser sans trop s’approcher. Toujours sur la défensive, sur ses gardes pour ne pas les laisser creuser un peu plus les plaies d’une mère absente. Lâche.


JOLY. Quelques années de plus, le visage plus formé, le corps qui prend de l’ampleur mais qui reste toujours aussi frêle, fragile. L’innocence qui a attiré l’œil, la pureté qui a marqué l’esprit au point de vouloir la préserver. Sept ans. La sonne cloche, il est midi et les minces valises d’un long voyage entre les mains de l’inconnu protecteur au sourire confiant. La main dans celle qui s’était portée volontaire pour accomplir le travail de celle qui l’a mise au monde. Elle a le droit à une deuxième chance, le droit de tout recommencer, tout refaire pour l’améliorer et son avenir meilleur trop longtemps rêvé se dessine à l’arrière de la voiture familial dans laquelle on l’installe. Elle le cœur qui bat, elle a les papillons dans le ventre et l’envie de sourire qu’elle retient de peur de les faire fuir. Et dans ce moment là, elle pense à ceux qui la regarde s’en aller de loin, de par les fenêtres de l’orphelinat. Elle a un pincement au cœur, aimerait les emporter tous avec elle et c’est ce qu’elle fera, les emmènera tous dans un coin de sa tête pour ne jamais oublier qu’eux aussi, c’est sa famille. Ses frères et sœurs d’armes, de la même lignée peu importe les âges et les origines, ils ont eu la même histoire. La sienne. Le bruit du moteur grogne, un léger au revoir secret à travers la vitre tintée envers sa patrie, une promesse soufflée dans le silence et un nouveau départ qui commence.


Elle est à demie femme, elle n’a que dix sept ans et comblée par la famille qu’elle n’aurait jamais crue avoir. L’ange s’embellie, son corps se transforme, se déforme et s’habille de formes alléchantes. Mais l’ange s’arme toujours autant de pureté, d’exigences, de principes encore plus prononcés par l’éducation. Famille chrétienne, pratiquante, croyante à en crever, Neven a été endoctrinée pour ne pas succomber. Délaissant les plaisirs bestiaux, ceux qui salissent l’esprit, qui le pervertisse. Les plaisirs interdits que le démon murmure à l’oreille des ignorants, des pauvres du cœur et de la foi. Mais, Neven n’oublie jamais, son palpitant est marquée de la croix du Christ. Le rejeté rouge s’est quand même acharné sur elle, lui a offert la tentation parfaite. Il a même utilisé le bon argument, le meilleur.. L’écriture. La poésie. Une lettre égarée, une lettre de rupture entre les mains de la mauvaise personne. L’ange ne pouvait plus oublier les mots, l’odeur du papier, celui d’un mâle au cœur disséqué. Elle a essayé, de toutes ses forces de ne pas céder, de la jeter, de la froisser pour ne plus la regarder, la lire, ou juste succomber. Mais la curiosité, l’envie, l’amour qui naissait jour après jour après la réception d’une lettre envoyé par les mains d’un inconnu. Elle était tombée amoureuse de sa plume, de l’alphabet trop bien tracé et de sa détresse sentimentale. Alors elle a répondue, elle n’a pas pu résister. Elle a répondue et c’était le début de la fin. Lettres sur lettres, rêveuses, belles, passionnelles. Ils ont appris à se connaître via des mots, des citations, excitante expérience que d’en garder le secret. Neven gardait tout dans un tiroir fermé à clé, devenait mordue d’impatience de la prochaine réponse, de lui. Ils ne s’étaient jamais vus, ont appris à se découvrir que les morceaux de papiers envoyés chaque jours. Ils se sont imaginés, encore et encore, devenus accroc toujours plus. Mais l’histoire s’arrête, comme dans les livres, l’histoire ne dure pas éternellement. Pas d’au revoir pleureurs, pas d’adieu, non. Juste un lourd silence, plus de réponse, plus de mystérieux amour aux histoires colorés de sentiments.


Le cœur en miette, poussière. Elle ne vit plus, plus vraiment depuis qu’il n’est plus là. Alors l’ange se consacre qu’à sa passion, la danse. caressant les étoiles du ciel sur la pointe de tes pieds amochés. Dansant, dansant encore comme si c'était la première fois, comme si c'était la dernière fois. Sa passion, son moyen de survivre dans un monde qu’elle savait n'était pas pour elle, dans un monde où elle se sentait étouffer. Crever à petit feu, mourir d'asphyxie, et quand la musique retentit, quand ses pas gracieux s'enchaînent, foulent le parquet lissé, alors plus rien n'avait d'importance. Plus rien ne pouvait compter, la blesser, la toucher. Elle se sentait invincible, impossible à attraper dans les tréfonds d'un enfer trop vaste. Mais elle ouvre désormais les yeux, là sous cette voiture enfumée. Elle ouvre les yeux juste un instant, un court moment, assez pour comprendre que c’était la fin. Pour savoir, qu’elle venait de perdre une autre raison d’exister. Son regard tombe sur sa jambe détruite, sur son rêve écorché par les os brisés, les muscles arrachés et sa dernière danse ne naîtra jamais. Alors elle a continué de lire, encore et encore même dans cette chambre d’hôpital, même quand elle pensait à tout abandonner, tout lâcher en se disant que cette vie, elle n’était pas pour elle. Elle s’est finalement accrochée, Harvard, ce nouveau but dans sa vie, une nouvelle raison de continuer à avancer.