De retour sur le sol américain. Le temps anglais avait presque fini par faner le hâle de la belle, du moins, c'est ce qu'elle pestait devant sa glace. La bruine, ou ces visages défaits. Le deuil n'est pas quelque-chose qu'elle porte bien au teint, surtout quand ce n'est pas le sien. La glace reflétait vaguement son reflet, alors qu'elle se penchait doucement par-dessus la rambarde de cette patinoire installée dans l'un des parcs municipaux de Boston. Il n'y avait qu'un couple qui y dansait, beaucoup trop harmonieux pour me faire croire réellement que le bonheur était aussi présent hors de la glace. Quand je relève mes prunelles, j't'aperçois. Je t'ai aperçu de nombreuses fois, trop de fois, et ce n'était jamais toi. Je t'ai cherché, dans les bras masculins, dans leurs râles, dans leur légèreté. J'ai récupéré chez d'autres ce que tu m'avais enlevé. Puis, il y eu l'évidence. Ca fait longtemps, que je ne t'ai plus imaginé, que je n'ai plus trouvé de ressemblance frappante chez un autre. Je pensais que ça m'étais passé. Mais, le sombre de mes billes reste captive de l'image d'en face, de ce mec qui te ressemble, à l'autre bout de la patinoire de fortune. Il y eu un jour, où tu m'as appris à avancer sur des patins.  

S'il y a bien une différence flagrante entre São Paulo et Boston, c'est la température. Et même après des années à avoir vécu sur le sol américain, je suis toujours pas habitué aux degrés négatifs. Pourtant, je suis dehors. Parce que ça me fait du bien, je respire l'air frais, j'suis pas enfermé dans le complexe sportif avec les odeurs de transpiration. Ce complexe, que j'ai élu comme deuxième domicile. Qui avait imaginé, quelques mois ou années en arrière, que Ricardo Rafael passerait de l'autre côté ? Qu'il terminerait professeur dans une école prestigieuse où il n'avait même pas pu terminer ses études ? Personne, soyons sérieux. Et ceux qui l'ont apprit ont dû bien rire, au début. Après quelques semaines pourtant, j'avais réussi à gagner le respect des collègues, enfin, la majorité en tout cas. Mes yeux sur la glace devant moi, je songeais à tout ça. Cette nouvelle vie, puis celle que j'avais laissé derrière moi, et à nouveau, ce retour dans cet endroit qui comptait tant pour moi. Mes yeux se décrochait de la glace et du couple qui virevoltait sur ses patins. Mon regard croisa le sien. Elle ici.. c'était comme un mirage. Je ferme les yeux un bref instant avant de les réouvrir. Le mirage a l'air bien trop réel. Je réajuste mon bonnet sur ma tête puis quitte la rambarde sur laquelle je m'étais accoudé. Je fais quelques pas, m'approche dangereusement d'elle. Je ferai mieux de tourner les talons et partir, mais mon corps refuse d'obéir. Très rapidement, je me retrouve à son niveau. Il y a un silence de quelques secondes, pendant lequel je la détaille du regard. J'ouvre la bouche, puis finalement, y'a quelque chose qui en sort. "Salut, Max.."

Tu t'approches, et je suppose que l'espace d'un instant, j'ai envie de fuir. La meilleure solution, la plus simple. Celle qui coûte le moins au battant. C'est la curiosité qui maintient ses pieds plantés dans le sol, la surprise qui la scotche sur place, aussi. Une profonde inspiration, avant que tu sois trop proche pour tenter une quelconque fuite. Condamnée à l'impact. J'ai pas besoin de te regarder pour avoir l'assurance de ton identité. "Salut, Max.." Esquisse un sourire, les yeux toujours loin de lui, perdus sur le décor devant elle. La tête dodeline de gauche à droite, doucement. T'aurai pu attendre six mois, que je ne sois plus là. T'aurai pu nous éviter ça. Faut toujours que tu foutes tout en l'air, tu peux pas t'en empêcher. « Tu t'es perdu, Ric ? » Qu'elle lâche, bien protégée dans son regard altier. Elle ne le sort quasiment plus, celui-la. Elle est devenue bien plus douce, elle endort son sang bleu. « Ca fait un sacré détour, pour aller à la boulangerie de ta rue. » Ses lèvres sont animées d'un léger sourire, forcé par les circonstances. J'regarde si tu vas bien, je scrute tes traits, je te passe en revue, et ceci avec des paroles contradictoires. Je veux pas savoir ce que tu fais là, j'veux savoir combien de temps tu restes. Si j'vais encore te croiser dans les couloirs de la fac, si j'vais te voir aux fêtes des mathers, si j'vais entendre ton nom sur la bouche des filles. J'suis pas sûre de savoir le gérer. En fait, je suis plutôt sûre de ne pas savoir le faire, ou mal.

Je ne saurai dire si je suis heureux ou non de la voir. Je crois que deux parties de moi se battent pour le décider. Pourtant, mes pas m'ont guidé jusqu'à elle. J'ai pas vu son visage, pas entendu sa voix, depuis une vingtaine de mois.. Au départ, elle décide d'éviter mes yeux, puis rapidement, de les défier. Un regard que je ne connais que trop bien. "Tu t'es perdu, Ric ? Ca fait un sacré détour, pour aller à la boulangerie de ta rue." Un léger sourire se dessine sur mes lèvres. Je n'savais pas trop à quelle réaction m'attendre avec elle. Après tout, je l'avais abandonné. C'est pas comme si j'avais eu le choix, mais je l'avais quand même abandonné. Connaissant le caractère de Maxym, elle n'allait évidemment pas me tomber dans les bras. Elle avait déjà mis assez de temps pour craquer une première fois. "Disons que.. j'ai dû changer de boulangerie." Je regarde autour de nous. Le parc n'avait pas changé depuis tout ce temps. Mais ma relation avec Maxym, elle, était passée par bien des chemins. Je prenais des nouvelles d'elle, bien sûr, mais pas directement à la source. J'avais toujours des yeux à Harvard, évidemment. Elle était belle, j'avais envie de lui dire. Pire que ça, j'avais envie de caresser sa joue, de la prendre dans mes bras. L'ex Eliot est la seule femme que j'ai aimé dans ma vie, forcément, ça ne s'oublie pas comme ça. Je suis même persuadé qu'une part de moi l'aimera toujours. "Tu veux aller sur la piste ?" demandais-je en désignant d'un coup de tête la patinoire à côté de nous. Comme au premier jour. J'avais pas envie de lui demander comment ça allait avec Antwan, de lui dire pourquoi j'étais revenu. Pas tout de suite, en tout cas.

J'ai pas souhaité ce retour en arrière, j'aime pas les regards vers le passé, ça ne m'a jamais réussi. Moi tu sais, j'avance, tu ne m'as pas laissé le choix. Je fais mon chemin, et j'éjecte ceux qui m'esquintent. Il ne reste plus grand monde. Ils sont partis, l'un après l'autre, ils font partis de mes week-ends, de mes vacances, mais ne sont plus un quotidien. Toi, t'as pas claqué la porte, tu m'as laissé le faire. Tu m'as aimé moins, pas comme il faut, tu m'as délaissé et t'es parti. Tu m'as planté là. Moi qui t'avais confié ce qui tiens chaque humain vivant. J'te l'avais laissé, j'avais parié sur la durée, j'avais parié sur toi Ric. Alors, vas-y, approche. "Disons que.. j'ai dû changer de boulangerie." Esquisse un sourire, de ceux manquant de sincérité, de ceux acides. Glisse un : « On s'lasse toujours aussi vite. », qui se prononce à voix basse. C'est con, j'ai toujours pensé que j'te suffisais. J'ai finis par te croire, par gober chacun de tes mots, par me faire renverser par tes sourires, par cette manière que t'avais de poser tes prunelles sur moi.  "Tu veux aller sur la piste ?" L'envie s'est absentée, mais la curiosité prime. Je devrais jouer le détachement, être heureuse de te voir, surement. J'y arrive pas, tu le vois ? Est-ce que seulement tu le vois, combien j'ai pas réussi à une parfaite rémission ? Hausse un sourcil, le jauge de son sombre. « Ouais, voyons si t'es toujours aussi mauvais. » Ironie. C'est toi, qui me tenait debout, fut un temps. La décision est prise bien trop vite pour être bonne. Dans la précipitation. J'aurai accepté n'importe quoi, pour briser cette bulle qui se tissait autour de nous. Passe à côté de l'homme, va emprunter des patins qu'elle enfile rapidement. La belle se pare de glace, des traits, au sol sous ses patins. Je ne suis pas meilleure qu'avant dans cet art, certaines choses ne changent pas. Je titube un peu, à peine le pied sur la glace.

J'ai pas oublié un seul jour passé aux côtés de l'américaine. Elle avait réussit à me faire confiance, à se laisser guider par mes paroles et mes actes. Ces derniers, lui montrant que pendant longtemps, elle avait été la seule personne qui avait de l'importance à mes yeux. Oui, on avait réussit à faire taire les critiques, ensemble. Les viles paroles de ceux qui n'auraient pas parier un centime sur nous. Ils sont trop différents, elle est riche et il est pauvre, c'est une Eliot et lui un Mather, Ric est un coureur de jupons qui ne sera jamais fidèle. "On s'lasse toujours aussi vite". Je fronce légèrement les sourcils à ses mots. Ce qu'elle avait pris pour un manque d'amour, ce n'était que de la lâcheté. La lâcheté, de savoir que cette histoire ne durerait pas car je savais très bien que j'allais devoir retourner au Brésil. Alors, je m'étais éloigné de plus en plus, j'étais différent. Je sais pas, je m'étais peut-être dit que la séparation sera plus facile pour elle. Ce qui est sûr, c'est que ça ne l'a pas été pour moi. "Je n'me suis jamais lassé de toi..." disais-je dans un souffle, probablement pas assez fort pour qu'elle perçoive tous les mots. Non, je ne me suis pas lassé. J'ai fais pire. Je suis retourné à mes vieux démons, ceux qu'elle avait réussit à calmer pendant tout ce temps : les femmes, l'alcool, la drogue. Et aujourd'hui, me voilà face à elle, à lui proposer d'aller patiner, comme lors de notre premier rendez-vous. "Ouais, voyons si t'es toujours aussi mauvais." Je la regarde enfiler les patins puis filer sur la piste. Je l'imite, sans la quitter du regard. Je me retrouve près d'elle, les bras prêts à la secourir si jamais elle se met à tomber. C'est ironique, moi qui n'avait pas su être là au moment où elle en avait vraiment besoin. "T'as pas énormément pratiqué durant l'année.." lançais-je avec un petit sourire moqueur. Un an qui s'est écoulé, un an durant lesquelles ses yeux ne s'étaient pas posés sur moi. Doucement, mes doigts venaient chercher les siens. Je voulais la guider, être sûr qu'elle fasse les choses correctement. Mais connaissant le caractère impulsif de la belle brune, je m'attends plutôt à finir cul contre glace en premier.

 "Je n'me suis jamais lassé de toi..." Elle ne l'entends pas, elle ne veut pas l'entendre. Elle perçoit les mots, mais ils ne parviennent pas à se frayer un chemin jusqu'au cœur. Les lettres sont semblables à des mensonges, avec comme seul but la rédemption. Pour une raison que j'ignore, nous voilà à nouveau les pieds sur la glace. Un bref retour en arrière, et rien ne semble avoir changé. Ce jour là, j'n'avais pas confiance en toi. J'm'étais faite avoir par tes yeux trop sincères, par ton sourire trop rieur pour me laisser indifférente. J'avais cru en la bonté d'un cœur, bien plus pur que le mien. J'avais cru en ta façon de me regarder, moi, et juste moi, qu'importe le décor derrière. J'avais cru qu'Ils s'étaient tous plantés, que je détenais la réalité de ton âme, là, aux creux de mes mains. Les contes de fées ne sont que des conneries. A la fin, le prince se barre, et laisse la princesse sur le carreau. Il la laisse avec les « j'te l'avais dis », avec des questions sans même un morceau de réponse. L'ego se brise, le cœur n'est plus que des fragments. Alors, quand les doigts masculins viennent parasiter ceux féminins, la douceur devient brusque. Elle tord le poignet, confronte le dos de Ric contre le rebord de la patinoire. Maxym, bien trop proche, en partie déséquilibrée. « Touche-moi encore une fois Ric, et ton charmant visage finit contre la glace. » Qu'elle siffle entre ses dents serrées, les prunelles orageuses. Sa respiration est un bordel infini, le corps n'est pas aussi serein qu'il devrait l'être. Que ceux qui n'ont jamais aimé éperdument, la juge. « Si je vacille, laisse-moi tomber. » Elle s'est éloignée, à peine, suffisamment pour apaiser le malaise de l'être. Les deux colériques se sont muées en deux tumultueuses, quelques vagues animées par une ancienne tristesse. « Tu sais faire. » La rancoeur déborde de ses lèvres, peu importe combien de fois elle a répété que le bouquin était fermé, noyé, les pages arrachées.