Depuis que t’es venu t’installer à l’appartement, c’est à peine si on s’est échangé deux phrases complètes. J’ai toujours pas trouvé le courage de lire cette lettre que tu m’as écrite en désintox et ta présence n’aura donc servit qu’à ce que Suzy et moi installions des verrous sur nos portes de chambre. Malgré tout, je sais quand tu es là, je surveille malgré moi tes aller et venus et ne peux m’empêcher de me demander si, réellement, tu comptes me repayer un jour. Mieux encore, si on arrivera à recoller les pots cassés un jour. Parce qu’il y a bien longtemps, on était inséparable toi et moi Keazy. T’étais mon grand frère adoré, mon idole et mon modèle. Puis tout est devenu de la merde, t’as changé –et moi aussi j’imagine. Désormais, tu me manques plus que je ne veux l’admettre.

Je sors de ma chambre pour aller me prendre un truc à boire et remarque que tu es affalé sur le canapé. Je prends un verre, le remplis d’eau et en bois une gorgée en t’observant. Finalement, je prends mon courage à deux mains et viens m’assoir à côté de toi, poussant tes pieds comme je le faisais toujours quand on était enfant. « Tu regardes quoi? »

La nuit a été pénible. Et chiante. Et longue. Tu n'as pas réussi à fermer l'oeil plus d'deux minutes d'affilé à t'retourner dans ton pieu sans arrêt, t'rappelant tes premiers jours en désintox. Pourtant, t'es sobre depuis plus d'six mois maintenant et t'as même fêté ça avec Féline pour la peine. Le médecin t'avait pourtant prévenu que t'aurais quelques flashbacks indésirables et qu'tu devrais y faire face, mais, ouais. Plus simple que ça en a l'air, mh. Tu t'es affalé devant la télé aux premiers rayons du soleil, abandonnant l'combat contre ton insomnie et, depuis, tu n'as pas bougé d'un poil. T'as une sale gueule et t'es persuadé qu'la frangine la remarqué aussitôt qu'elle a poussé tes pieds pour s'installer à tes côtés. Tu regardes quoi? Tu souris discrètement suite à sa question. En fait, tu n'en as pas la moindre idée. T'es perdu dans tes pensées depuis tout à l'heure, la télévision t'sert uniquement de fond sonore pour passer inaperçu. Il faut croire que s'est raté. « Rien d'intéressant. » Tu souffles en empoignant la télécommande qu'tu tends aussitôt vers Lily. « Choisi, toi. » Bien différent que lorsque vous étiez gosses. À l'époque, tu lui aurais arraché les cheveux si elle avait osé prendre l'contrôle du poste et, là, c'est toi qui lui ordonne d'le faire. Ouais, les gens changent.

T’as une sale mine, c’est le moins qu’on puisse dire. C’est la drogue qui fait ça ou plutôt le manque? C’est dur à dire pour moi, j’ai jamais vraiment côtoyé de gens qui se droguaient régulièrement ou bien qui sortaient de désintox. T’es le premier et j’espère vachement que tu sois le dernier. Secrètement, j’espère que tu vas bien même si je ne veux pas l’admettre à voix haute. Alors je fais comme si je n’avais rien remarqué. « Rien d'intéressant. » Je tente de reconnaitre l’émission, en vain. C’est vrai que ça l’air pourri ton truc. « Choisi, toi. » Je te fixe, fixe la télécommande, ouvre la bouche pour parler et la referme. Pardon? Tu veux que JE choisisse? T’es tombé sur la tête? Tu fais de la fière. « J’ai bien compris? » Je ris malgré moi, je ne m’y attendais clairement pas. Quand on était gosse, tu me tapais pratiquement sur la tête avec ladite télécommande pour m’empêcher d’y toucher. Je la prends malgré tout et te surveille du coin de l’œil comme pour être certaine que tu ne me fais pas un sale coup, que tu ne vas pas me la reprendre mesquinement. Tu n’en fais toutefois rien et je change de chaîne jusqu’à tomber sur un film que j’ai déjà vu, mais qui est sympa. Je pose ensuite la télécommande entre nous sur le canapé et te regarde, te fixant sans m’en rendre compte.