« Il est absolument hors de question que je ne participe pas ! » Me voilà à gueuler sur ce pauvre guide dans un anglais parfait. Enceinte oui... et alors ? Je ne suis pas handicapée ou malade, et je veux absolument faire cette activité. Mon ventre paraît plus gros que la normal pour le début de mon cinquième mois de grossesse, mais les jumeaux sont de taille normale. C'est juste qu'ils sont deux. Et je refuse de devoir regarder les autres grimper alors qu'on me laisserait en bas de cette cascade à m'emmerder. Je ne suis pas faite pour patauger dans l'eau ou me faire dorer au soleil aujourd'hui. Je veux, j'exige, et j'aurais de toute façon gain de cause ! Et le fait que les autres participants m'observent hurler sur le guide ne me gêne en rien. Après plusieurs minutes de négociation, je signe enfin son fichu papier qui lui évitera d'avoir des soucis si je me blesse. J'enfile un harnais un peu plus grand, que je peux bien caler au dessus de mon ventre et me voici enfin en route vers le sommet de la cascade. Le lieu est magnifique, et je me retourne régulièrement pour observer le paysage et l'eau en bas de la cascade qui éclabousse les enfants du pays. Rapidement, je me sens essoufflée de l'effort que je dois faire pour monter. En plus, les jumeaux sont dans leur phase d'éveil et je les sens parfois bouger un peu. J'agrippe un morceau de roche et me hisse rapidement mais je sens que mon pied glisse et je n'ai pas le temps de me sécuriser que ma hanche droite et ma joue frappent la roche. « Merde ! » Sorti en français pur. Je crois même que j'ai mis un coup de pied à mon voisin d'escalade. Pas le temps de m'excuser. Je touche ma joue du bout des doigts et remarque que je saigne un peu. Mes deux mains m'accrochent à la corde alors que le guide gueule d'en bas. Je lui fais un doigt d'honneur et m'accroche de nouveau à la paroi pour parcourir les derniers mètres en vitesse. Arrivée en haut, je m'assois sur un rocher pour regarder mon ventre. Mes doigts sur ma peau, je sens que les deux bougent. Le vêtement m'a protégé et il n'y a que quelques éraflures. Je suis soulagée, et passe le dos de ma main pour essuyer le sang sur ma joue. Ce n'est qu'à ce moment là que je ressens une vive douleur au niveau de ma cheville droite. Je l'attrape vivement et la serre entre mes mains pour l'immobiliser en ronchonnant.

@Milow Schäfer

Vraiment, ce n'est pas possible ! Je pars demain en avion pour rejoindre les Eliots sur le yacht, et me voilà défigurée. Ce côté un peu casse cou, je le cache le plus souvent. Je vois déjà Théo se moquer de moi et de mon visage griffé, et sûrement ses remontrances pour ne pas avoir pensé à la dangerosité de l'activité pour les jumeaux. Mais je m'en moque ! J'ai besoin de me sentir vivre, j'ai besoin de prendre ses petits risques pour oublier que Gautier a disparu de ma vie en un claquement de doigt. Il me manque, mais je ferais tout pour ne pas penser à lui... comme me mettre un peu en danger. C'est comme s'il allait débarquer de nul part pour m'engueuler et me ramener avec lui à l'hôtel en me portant sur son dos. Mais non, jamais, il n'apparaît pas devant moi, et aujourd'hui non plus. Une voix masculine m'interpelle et me fait sortir de mes rêveries de mon amant parfait. Je ne me tourne même pas vers lui et repose mon regard sur ma cheville douloureuse. Qu'est ce qu'il me veut celui là ? Ce n'est que quand il me tend son mouchoir humide que je lève enfin mes yeux clairs sur lui, haussant les sourcils. Mes mains poussiéreuses ? Par la roche un peu, je dois l'avouer. Je jette un coup d’œil à mes ongles manucurés de la veille et finis par attraper son mouchoir pour le poser sur ma joue. Le froid me fait du bien, mais je ne vais pas lui avouer. « Merci. » Un seul mot alors qu'il brise le silence autour de nous une nouvelle fois. Je n'aime pas qu'on me fasse la leçon, mais quand je le regarde dans les yeux, je le sens mal à l'aise. Il me fuit et commence à bégayer à la fin de sa phrase. Je souris, un peu moqueuse. J'aime faire ce genre d'effet aux hommes, j'aime les mettre mal à l'aise. Et là, c'est étrange parce que je n'ai rien fait et rien dit. Il se met mal à l'aise tout seul, rien que par ma présence, et j'en suis ravie. Malgré tout, il est le seul qui se préoccupe de moi. « Si t'es médecin, au vu de tes conseils avisés, tu pourras gérer mon accouchement précoce non ? » Ma main libre se pose sur la joue du jeune homme accroupi face à moi que je caresse du bout des doigts. « Une femme enceinte t'impressionne au point d'avoir du mal à aligner trois mots ? » Je souris, moqueuse sans que je ne puisse me retenir. Je quitte le contact entre nous et essaye de me lever en posant ma cheville blessée. Le contact avec le sol me donne l'impression d'une longue décharge électrique dans tout le corps. « Putain ! » En français, c'est étrange de sortir toutes mes insultes dans ma langue natale. J'espère toujours que personne ne me comprend. Je veux m'appuyer sur son épaule pour ne pas tomber mais il ne devait pas être totalement en appui sur ses pieds et nous tombons tous les deux à la renverse, moi sur lui. Je râle un peu mais me mets à rire malgré moi de la situation et du visage du jeune homme sous moi. « Tu devrais voir ta tête ! Je te jure, ça vaut le détour ! » D'un coup de doigt, je relève mes cheveux blonds qui cachent mon visage, observant ses yeux pour voir si j'ai toujours le même effet sur lui.

Il est vraiment marrant. J'aime tellement jouer avec ce genre de garçon dont le rouge monte si rapidement aux joues. Il me fait rire, avec cet air sérieux quand il parle et cette timidité apparente sur son visage. Il prend mon pic plutôt à la blague et m'explique qu'avec frère et sœur, il ne connaît que la bobologie. Après tout, il vaut parfois mieux prendre mes réflexions acerbes pour de l'humour. Et d'ailleurs, il n'hésite pas à me renvoyer mon sale caractère au visage. J'écarquille les yeux, surprises qu'il se permette ce genre de phrase sans broncher. Son clin d’œil et ce petit sourire qui naît au coin de ses lèvres me montrent ce côté taquin du garçon qui pique ma curiosité. Il n'a pas peur de me froisser, n'hésite pas à me faire remarquer mes écarts de comportement : je suis intéressée. Ce jeune homme, qui paraît pourtant si timide par les réactions de son corps, m'expose un caractère peut-être plus fort que je ne le pense. Il m'intrigue, éveille ma curiosité. Ce n'est clairement pas le genre d'homme sur lequel je me retourne dans la rue, et il me prouve que j'ai peut-être sûrement tord. Cet air mystérieux m'intrigue au point de continuer la conversation. Mais alors que je me relève, le sol m'attire sans attendre. Ses doigts prennent place sur mes hanches pour éviter à mon ventre arrondi de frapper le sien. Il a peur de quoi ? Qu'il explose d'un seul coup comme la bombe atomique ? Je suis une bombe, je peux exploser à tout moment, mais vraiment pas de cette façon là. Je l'écoute parler, et ce qu'il me dit ne me paraît pas être une surprise. Il me paraît trop sur la réserve pour avoir un harem de femme autour de lui. Mais comme d'habitude, je me base sur les apparences des gens et sur mes préjugés. Et alors que je pense à tout ça et que mes yeux se plongent dans les siens, je sens qu'il veut me fuir. Rapidement, je me retrouve sur le dos sans avoir eu le temps de rétorquer quoique ce soit. Je ne pensais pas me retrouver dans ce genre de position aujourd'hui, ni aucune fois dans mon été avec la disparition de Gautier. Je souris, pensant au fait que c'est sûrement ce qu'il aurait fait pour prendre le dessus sur moi, au propre comme au figuré. Parce qu'il est comme ça Gautier, il aime dominer, et j'aime quand il prend les devants pour être le maître de la situation. Malgré toutes leurs différences apparentes, ce garçon me fait penser à mon amant. Je sens sa chaleur sans qu'il ne touche mon corps. Ma tête se tourne à droite et à gauche pour observer ses bras autour de mon visage. Je me sens prisonnière, mais je n'ai pas le temps de réfléchir à ce nouveau point qu'il m'interpelle encore. Bien sur que je vais marcher, et toute seule en plus. Je n'ai pas le temps de répondre qu'il pose son doigt sur mes lèvres. Étonnée de son geste, je ne fais qu'ouvrir la bouche sans qu'aucun son n'en sorte. Je le trouve bien entreprenant d'un seul coup. Et voilà qu'il me donne presque des ordres. Le début d'un « Mais » se fait entendre mais je sens qu'il va reposer son index sur ma bouche. Il a l'air encore plus têtu que moi, et ce trait de personnalité me tire un sourire. Il est vraiment étrange avec ses joues rouges et ses ordres, timide mais directif. Une fois debout, et sans ronchonner, j'attrape sa main pour me redresser mais rester assise sur la roche. « Ce guide est un con qui croit qu'une femme enceinte est handicapée... » Ce n'est pas vraiment une réponse pour le jeune homme, mais plutôt quelques mots prononcés pour moi-même. Je ne supporte pas les gens qui prennent la grossesse pour une maladie. Je tourne la tête vers lui, l'observant alors qu'il découvre le paysage que j'ai déjà regardé plusieurs fois depuis la paroi rocheuse. Son plan me convient, même si je ne sais absolument pas comment nous allons descendre en bas de la cascade. Je finis par tourner la tête pour observer le paysage, posant mon menton au creux de ma main pour soutenir ma tête. Un seul mot, prononcé avec cet accent fort que je connais de mes études passées. « Allemand ? » Sans tourner la tête vers lui, pensive. C'est étrange, je ne le voyais pas allemand. Peut-être un pays plus au nord, où les gens sont calmes de nature, où le froid travaille leur peau, où le soleil fait tout son possible pour les rendre plus bronzés sans succès. Non, vraiment, je ne pensais pas à l'Allemagne. J'attrape mon sac à dos à côté de nous et fouille dedans pour en sortir mon portable et lui tendre sans le regarder. « Tiens, prends des photos avec le mien. Et quand on retourne en ville, j'irais t'en acheter un nouveau... Après tout, c'est de ma faute s'il est cassé non ? » Je penche légèrement ma tête vers lui. « Et je t'enverrai les photos aussi. » Sourire furtif avant de plonger de nouveau ma main dans le sac. J'ai faim, comme d'habitude, et sors deux barres de céréales, dont une que je lui tends. « T'as pas faim ? Parce que je ne sais pas comment on va faire pour descendre, ni combien de temps ça va nous prendre. Et vu ta carrure, je crois que tu as besoin de prendre des forces un peu. » J'accuse encore son physique, heureusement qu'il n'est pas du genre susceptible. « Surtout si tu dois me porter. » Je me tourne enfin vers lui et tends le bras pour toucher son biceps. Une simple pression des doigts et une légère moue sur le visage pour lui faire comprendre que jamais il ne pourrait me porter facilement. Je me mets à rire avant de retourner dans mes pensées, observant ce magnifique paysage en face de nous. D'un mouvement de tête, j'approche ma joue presque imperceptiblement de son épaule mais me redresse rapidement. Trop de contact Pénélope ! Si les français ont tendance à être très tactiles, il ne faut pas oublier que ce n'est pas le cas de tout le monde. Alors je fais comme si de rien n'était, enfouissant mes besoins de tendresse dans un coin de ma tête pour ne regarder que la montagne et la forêt face à nous.

Sa petite blague sur le fait qu'il soit l'idéal allemand me fait sourire. Je ne suis pas du genre à ressasser le passé, même si je suis une grande fan d'histoire. La jeunesse d'aujourd'hui n'est en aucun cas responsable de ce qu'une poignée de gens à pu faire pendant cette guerre là. Ou pendant n'importe quel écart du passé et du présent. Je me rappelle encore du père de ma correspondante allemande, qui avait cru obligatoire de s'excuser du comportement de son grand père pendant la guerre. Il m'avait étonnée, réellement, et j'avais du batailler pour lui faire comprendre que jamais je ne pourrais lui en vouloir. Je tends mon portable au jeune allemand qui refuse ma proposition de lui en acheter un nouveau. Il a sûrement les moyens de s'en prendre un autre, tant pis pour lui, parce que je pense que malgré tout, je dois être un peu coupable de la fin de vie de son téléphone. Il bouscule mon épaule rapidement et me renvoie bouler gentiment. Mon unijambisme ? Je tente de faire mon visage de boudeuse mais je ne peux m'empêcher de sourire à sa façon entreprenante de me répondre. Jamais on ne me parle comme ça, de peur de me froisser, et que je joue encore plus la peste. Mais là, il se permet tout, comme si on se connaissait depuis si longtemps qu'il sait qu'il ne sera pas choqué par mes réponses piquantes. J'allais lui répondre qu'il n'a vraiment pas intérêt de me laisser seule ici, mais il se met à parler de nouveau. « En fait... c'est une et deux demis... donc techniquement, on peut dire 2. » Je me touche le ventre rapidement et le regarde se lever pour prendre quelques photos. Je ne fais plus vraiment attention à lui, pensant à la façon dont je vais m'y prendre maintenant avec les jumeaux. Parce que oui, je sens que je ne maîtrise plus rien sans Gautier. Et je déteste ça. Si je le revois, je sais déjà que ma première réaction sera de lui mettre une gifle pour m'avoir autant faite stresser. Je n'arrive pas à imaginer comment je vais pouvoir m'occuper des jumeaux toute seule, vraiment pas. Mais le jeune allemand me tire des pensées qui me chagrinent pour prendre la pose, ce que je fais rapidement. Je regarde la photo panoramique qui est vraiment jolie. Malgré tout, je n'arrive toujours pas à me faire à la vision de mon corps avec ce ventre de femme enceinte. Je détourne les yeux avant qu'il ne tourne le portable pour prendre un selfie. Je fais mon plus beau sourire, collant cette fois ci ma joue contre son épaule pour la photo. Il n'a pas l'air d'être droitier, et galère vraiment pour prendre la photo. Je reste donc dans cette pose que j'apprécie presque malgré moi. Il sent bon, et vraiment, c'est agréable. Je ne sais pas depuis combien de temps je n'ai pas senti un homme, et encore moins aussi proche de moi. Après que la photo soit prise, je m'écarte presque à contre cœur de lui. Je récupère le téléphone qu'il me tend avant de le ranger dans mon sac. « Tu peux m'appeler Princesse, cela me convient parfaitement. » J'appuie sur chaque syllabe du dernier mot. Il se présente comme le troubadour, et franchement, je me suis mise à rire instinctivement. Je lui tends ma main pour qu'il l'embrasse avant d'enfin me présenter. « Pénélope enchantée. Quels sont tes talents de troubadour ? Je veux une démonstration avant que tu ne me portes pour redescendre au bas de la cascade. » Je touche mon ventre avant de laisser apparaître un visage faussement choqué. « Ah, mais j'ai oublié de te présenter les deux minis moi ! » J'attrape sa main et la pose d'abord à droite, puis à gauche de mon ventre. J'évite intentionnellement l'endroit de la griffure qui me brûle encore un peu. Ce geste est peut-être un peu bizarre pour un étranger mais tant pis. Je les sens bouger sous la main du jeune homme, qui lui, ne doit sûrement rien ressentir. Un sourire étire mes lèvres. C'est marrant, parfois même quand c'est moi qui touche mon ventre, il ne bouge pas forcément contre mes doigts, et là, ce fut directement le cas. C'est sûrement une coïncidence, mais elle me fait sourire. Je sors un stylo de mon sac et attrape la main du garçon une nouvelle fois. Je frôle sa peau quelques secondes avant de tourner sa main, paume vers le haut. Je caresse l'intérieur avant de me dire qu'il va sûrement l'effacer si ses mains deviennent moites. Alors une fois de plus, je la retourne entre mes doigts, et finis enfin par écrire mon numéro de portable sur le dos de sa main. « Vu que tu n'as pas de portable, je te donne mon numéro. Dès que tu en achètes un, envoie moi un sms et je t'enverrai les photos. » Mon geste est quand même un peu intéressé. Je crois que ces quelques minutes passées avec lui me donnent envie de le revoir, et qu'à part son prénom, sa nationalité et le fait qu'il soit à Harvard, je ne sais pas assez de choses pour pouvoir le retrouver. Ça fait un peu espionne non ? Je secoue la tête pour faire partir cette idée. Après tout, nous ne faisons rien de mal.