Ce summer camp commençait à me fatiguer, entre les sorties et mon équipe, je ne savais plus où donner de la tête. Autant dire que je ne m'attendais pas à ça pour des vacances, bien que je trouvais le Laos très sympathique et dépaysant. Je décidais donc de m'accorder un peu de repos à l'hôtel afin de profiter de la grande piscine qu'il possédait. J'enfilais mon maillot de bain ainsi qu'une paire de lunettes avant de m'y rendre. Ma chambre n'était pas à côté, je devais donc traverser l'ensemble de l'hôtel et je m'arrêtais commander un cocktail sur le chemin. J'aimais ces moments de solitude, cela me permettait de me retrouver et de faire le point sur ma « nouvelle vie » loin de la Russie. Cela ne faisait pas longtemps que j'étais partie, j'aurais pu décider de revenir là-bas pendant les vacances mais j'étais lâche, je ne voulais pas confronter mes parents. Je les aimais et ils ne comprenaient pas ma décision, eux qui détestaient au plus haut point les Etats-Unis, je n'étais pas la fille patriote qu'ils espéraient. J'étais le sujet à ne pas aborder lors des repas de famille, le sujet délicat qui faisait honte. Je soupçonnais même ces derniers d'avoir enlevé mes photos des albums de famille. Qu'importe, le soleil commençait à rougir ma peau, je prenais une gorgée de mon breuvage avant de me décider à me baigner. Ni une, ni deux je transperçais l'eau calme de la piscine dans un plongeon élégant. Puis, je me relevais avec délicatesse, épongeant mes yeux du revers de la main. Puis, j'observais une forme masculine, le soleil m'éblouissait mais une sensation étrange m'envahissait, un déjà-vu. Instinctivement je posais ma main sur l'épaule du jeune homme qui était dos à moi. « Milo ? » dis-je dans un murmure.

C'était comme un choc, tout me revenait en tête, notre histoire, son départ. Lorsque son regard rencontrait le mien, je revivais cet instant, lorsque je l'avais vu prendre cet avion pour Harvard. La dernière fois que je l'avais embrassé, que j'avais humé son odeur. Mais aussi la dernière fois qu'on avait parlé, car malgré ma promesse de dernière minute, j'avais coupé les ponts avec Milo. C'était plus facile comme ça, dire la vérité était trop douloureux mais mentir aussi. Alors, j'avais choisi le silence, pour me préserver encore et toujours. J'étais une personne égoïste, je le savais, mais j'essayais de changer maintenant que ma vie était différente. Il était toujours aussi beau, j'avais envie de lui arracher un petit sourire, mais comment pouvais-je en demander autant ? Sa voix me donnait des frissons lorsqu'il prononçait mon prénom. Il était également sous le choc, je le voyais bien, lorsqu'il comprenait qui j'étais réellement, sa première réaction était de reculer. Une distance s'installait directement entre nous et je n'essayais pas d'y remédier, ce n'était pas le moment ni l'endroit. Évidemment que j'y avais pensé lorsque j'étais venue à Harvard, je n'étais pas dupe, mais j'avais préféré me voiler la face. Au fond, je ne pouvais pas deviner qu'il y était encore même si une petite voix intérieure s'en doutait fortement. Même si le choc était réel, la surprise n'avait pas toute sa saveur car j'avais imaginé cette rencontre sans forcément prendre conscience que cela pouvait vraiment arriver. Je ne pouvais m'empêcher de rire nerveusement et de le sourire timidement. « Surprise ! » dis-je en écartant les bras, de toute évidence gênée. « Tu… tu vas bien? » C'était nul, clairement je ne savais pas quoi lui dire. Il devait m'en vouloir, mais c'était il y a si longtemps maintenant. « Ça me fait vraiment plaisir de te voir ». J'étais obligée de lui dire mais je me sentais coupable car j'étais sacrément culottée de lui sortir ça, j'en avais conscience. Je ponctuais donc ma révélation avec autre chose. « Je suis étudiante à Harvard, enfin je suis arrivée il y a un mois à peine. C'est pour ça que je suis là ».

Je ne savais pas si je devais m’excuser, parler de notre séparation non officielle ou passer mon chemin, tout simplement. Ça serait sûrement plus facile comme ça. En fait je ne savais pas du tout comment réagir face à Milo, il était comme un mélange d’inconnu et de nostalgie. Sûrement qu’il attendait des explications, à sa place je serais bien moins pacifiste, mais cela prouvait qu’il avait tourné la page, heureusement. Que pouvais-je attendre de sa part si ce n’est de l’ignorance ? Rien. Sa réponse ne m’étonnait donc pas. Il allait bien. J’étais contente de le savoir. Quoique, cela ne me donnait pas vraiment de matière à engager une conversation et je me sentais bien bête. Je remuais doucement l’eau avec mes mains histoire de ne pas être immobile dans la position gênante dans laquelle j’étais. La piscine était assez grande et personne ne se trouvait à côté de nous. Une sensation étrange m’envahissait de plus en plus et je n’osais plus le regarder dans les yeux. « Moi aussi je vais bien » dis-je simplement, sans en rajouter, parce que je ne pouvais pas non plus me mettre à lui raconter toute ma vie. J’avais décidé de ne pas le faire il y a plusieurs années, ce n’était pas pour m’y risquer aujourd’hui, le mal était fait. J’avais perdu Milo, je n’avais pas aimé beaucoup d’hommes mais lui, oui. Qu’importe la durée de notre relation et notre mauvaise note finale, il représentait un fort moment de ma courte vie. Évidemment qu’il ne savait pas que j’étais à Harvard, moi, je m’en doutais mais je ne me voyais pas vraiment décrocher le téléphone pour le prévenir de mon arrivée. J’espérais ne pas le croiser mais en même temps je le voulais, mes sentiments à son égard étaient mitigés. Surtout parce que j’avais eu peur de sa réaction, je ne voulais pas me confronter à lui, fuir, c’était mon meilleur atout. Or, ici je ne pouvais plus rester dans le silence sans donner une nouvelle, impossible de me défiler. C’était le moment de vérité. Alors que j’avais décidé d’arrêter de fuir son regard, lui en revanche ne pouvait me regarder dans les yeux, je le voyais bien. Il me fuyait, je cherchais en vain d’établir un contact mais seuls ses yeux qui se reflétaient dans le liquide bleu de la piscine m’étaient perceptibles. Puis venait la question, celle qui me faisait sourire mais en même temps palpiter le coeur. Je me mordais la lèvre un instant, avant de reprendre mes esprits, de chercher une bonne réponse. Mais il n’y avait pas de bonne réponse : seulement la vérité, pure et simple, en évitant les détails sur ma famille. Je devais dévoiler ma faiblesse, là, maintenant mais je n’étais pas prête. Je lui devais bien ça pourtant lui qui avait eu une place si grande dans mon coeur. « Non, pas dans une cave… séquestrée par mes mensonges, oui. Milo, je ne pensais jamais te revoir, tu dois le comprendre ça. Tu ne sais rien de moi, enfin tu me connais moi Nolita, la jeune fille russe, mais tu ne connais pas celle qui vivait en Amérique, qui a perdu sa nationalité pour être renvoyée dans le pays de ses parents ». Comme avec les autres je ne savais pas par où commencer, mais je me lançais péniblement. « Lorsque j’ai promis de te rejoindre, j’ai menti. Je ne pouvais pas le faire, j’étais en quelque sorte « bannie » du pays, mais j’ai décidé de te mentir pour garder notre histoire belle, sans larmes, sans peine. J’ai tout gâché, je sais. J’avais peur de tout te dire… j’étais lâche, stupide et égoïste. Je t’aimais tellement qu’affronter la vérité, c’était trop dur. Alors j’ai préféré me taire, aujourd’hui la situation est différente… je ne te demande pas de me pardonner Milo, mais j’espère qu’un jour tu pourras comprendre ».