Plus jeune en effet. Un an plus jeune, c’était quoi ? Rien. Ou tout. J’étais d’un coup un peu plus sur la défensive, l’âge n’était surement qu’un prétexte pour me défiler. Parce que je sentais l’imminence du moment confidence qui approchait, et ça me faisait surement paniquer intérieurement. J’en devenais moins agréable, bien plus méfiant. « Ca fait que je suis pas sûr que tu sois la bonne interlocutrice en fait. » répliquai-je, comme si parler à un vieux m’assurerait d’être mieux écouté. N’importe quoi. Des excuses, je flippais voilà tout. Je faisais volte face, me dirigeant vers la sortie. La fuite. Je prenais clairement la fuite. Sauf que la blondinette sentit le changement de ton et se vexa à son tour, me barrant le chemin, bien décidé à me faire changer d’avis. Montant également dans les tours, sentant dans mes mots, les accusations selon lesquelles elle ne savait pas de quoi elle parlait, elle se défendait. « Qu’est-ce qui se passe ? T’as une note en fonction du nombre d’inscrits que tu convaincs de rester ? Si je pars l’asso risque de te renvoyer ? Ou bien Je sais pas, t’as peut être lu un bouquin, le deuil en dix leçons, et t’as envie de le mettre en pratique ici avec moi. » raillai-je sur un ton mauvais, sans avoir idée de la maladresse de mes propos, n’envisageant pas un instant que l’on pouvait avoir plus en commun que ce que j’avais imaginé. Pourtant aux paroles suivante de la demoiselle j’aurais du me radoucir mais ce ne fut pas le cas, persistant dans ma tentative de fuite : « T’as perdu ton chat, c’est ça ?  Excuse moi mais je vois pas en quoi tu vas pouvoir m’aider… »

  Je me fermais, elle répliquait sur le même ton… Si j’étais sur la réserve avant, là j’étais passé en mode fuite, en oubliant un peu de prendre en considération les émotions de mon interlocutrice. Trop concentré sur ma trouille, j’en oubliais de voir, d’envisager que potentiellement elle pouvait elle aussi avoir endurer ce genre d’épreuve. J’en devenais bête, agressif, méchant… Je n’étais plus le Denys habituel, je devenais détestable, histoire de lui donner envie que je m’en aille, puisqu’elle se tenait devant la porte. Sauf qu’en lisant la lueur particulière que prit son regard à cet instant, je compris… Et regrettai sur le champ mes mots.  J’avais gagné parce qu’elle se poussa de l’encadrure de la porte. Plantant ensuite ses prunelles dans les miennes, elle confirma ce que l’éclat particuliers qu’avaient pris ses yeux m’avaient fait comprendre : elle aussi, elle avait perdu quelqu’un. « Je… » Mais la blondinette avait été blessée, le mal était fait et c’était sur la défensive, piquante, qu’elle me congédiait désormais. « Je voulais pas dire ça.. Je m’excuse je… » bégayai-je prenant soudain conscience de ce que la douleur et la peine m’avait poussé à dire. Je ne pouvais plus me planquer, pour que mes excuses soient recevables, il fallait que je lâche quelques informations : « C’est l’anniversaire de sa mort aujourd’hui… Ca fait trois ans. » soufflai-je alors avant d’enchainer : « Ca m’excuse pas je sais, je n’aurais pas du te dire ça… Pardonne moi. » tâchai-je de me rattraper, un peu penaud.  

  « J’ai cru que… » J’avais cru quoi ? Qu’elle était incapable de comprendre, qu’elle parlait sans savoir, alors que, désormais, à la lueur blessée dans ses yeux, je savais. J’avais appuyé exactement là où ça faisait mal. Le deuil, elle l’avait éprouvé, elle aussi, et j’avais été tellement borné sur ma propre douleur que je ne l’avais pas perçu plus tôt. « Je m’excuse…» Ca changeait rien, le mal était fait, les paroles étaient dites. Peut être que c’est pour ça que je me dévoilais un peu, que je lui expliquais que la date du jour avait une signification toute particulière pour moi. C’était pas une excuse, pas une justification, juste une information. Ca pouvait peser dans la balance quand à mon pétage de plomb. Elle ouvrit la porte, reprenant amèrement mes propres mots, qui dans sa bouche me firent encore plus prendre conscience de leur portée. Tranchant, blessant, égoïste. C’était tellement pas moi… J’aurais voulu me terrer dans un trou. Les yeux baissés, je repris : « Te fatigue pas… Je vais y aller. Je crois tout simplement que je ne suis pas prêt. » Trois ans après, j’étais pas prêt. Je ne le serais jamais. Le deuil, c’est pas un processus en fait on nous ment. C’est un état. On en guérit jamais, on est endeuillé à vie. « Je suis désolé, encore… Merci d’avoir essayé. » soufflai-je avant de m’échapper, de filer vers la sortie, comme un voleur pris en flag’, comme un gentil pris en flagrant délit de méchanceté gratuite, honteux des mots que j’avais eu, honteux de la blessure que je venais de lui infliger, juste parce qu’elle avait voulu m’aider…