Joan, en grande chef, avait des plans pour contrer la planète qui se mettait entre eux. Néanmoins, Bleeker ne croyait pas une seule seconde que les choses seraient aussi faciles. Dans la tête du poney, oui, sûrement, peut-être. Mais naturellement pessimiste, il ne put s'empêcher de répliquer, désabusé ; « C'est pas parce que Pluton est une planète-naine qu'on l'oublie. Tu vois, quand on me dit Pluton, je pense toujours qu'elle est dans le système solaire malgré que des monsieur-je-sais-tout ont décrété que non. » Pour la première fois depuis le début de la conversation, Joan parla d'eux. On. Certains le prenaient pour un pronom fourre-tout, le je autant que le tu autant que le nous ou que le lui et pourtant, pour Cody, sa signification était incommensurable. Donc ils parlaient bien de la même chose ; eux. Il fit genre de ne pas y prêter attention même si, au fond de lui, ça brûlait. Une douce sensation parcourut son corps jusqu'au fond de ses entrailles, comme s'il entrait dans un bain jacuzzi. Le jacuzzi de l'amour. Très bon titre pour un soap à deux balles, by the way. Elle voulait la même chose. Qu'ils arrêtent de se rater. Plus facile à dire qu'à faire mais ils venaient d'enfiler les bottes de sept lieues et de faire un grand pas en avant. Cependant, il fallait qu'ils veillent à ne pas omettre un certain détail. Il soupira. « Tout est une question de timing. » Au Spring Break, Cody en pinçait pour Jezobel et maintenant qu'elle était plus ou moins sur le carreau – disons qu'il n'a pas vu l'utilité de la rappeler depuis leur nuit passée ensemble – Joan s'était trouvée un gars. Tant mieux dans un sens, elle méritait d'être heureuse, elle méritait un gars sûrement bien plus loquace que Bleeker, bien plus généreux, bien plus musclé, bien moins grognon que lui. Elle méritait une planète. Une planète qui ferait d'elle son univers, sa galaxie, sa voie lactée, son unique satellite, sa croûte terrestre et son noyau. Et même si Joan était la seule femme à qui Cody pensait pouvoir offrir ce qui ressemblait le plus à tout ça, il restait persuadé qu'un autre s'en sortirait mieux. Donc il laisserait couler.

D'accord, d'accord. Récapépettulons depuis le début. Le copain de Joan était un Mister Freeze. Certes, il était long et dur, mais froid, terriblement froid, pas le genre à réchauffer la jeune femme. Alors que Cody, de son côté, il était chaud bouillant et imposant. Aux yeux de Bleeker, Joan faisait sûrement référence à sa couche de graisse qui le rendait aussi rond qu'un bonhomme Michelin, il n'y avait pas trop de doutes là-dessus. Même si Pluton fondait au soleil, il faudrait des millions d'année pour que de cette planète il n'en reste plus que de faibles particules. Puis c'est comme ça, il s'était fait une raison. Il n'avait pas confiance en lui, il pensait que Joan pouvait être heureuse avec n'importe qui, sauf lui. Or, quand elle était seule, désespérée, qu'elle n'avait que lui à embrasser, il était prêt à se jeter à la mer sans bouée de sauvetage, à être avec elle tout entier. Mais elle avait quelqu'un. Et Cody se disait qu'il ferait mieux de gâcher la vie de quelqu'un à qui il était moins attaché. Néanmoins, pour elle, il laissa son pessimisme de côté, juste pour lui faire croire quelques secondes de plus qu'il buvait son discours ; « Pluton peut devenir Saturne, ça ne changera rien. Jupiter sera toujours plus proche du soleil que Pluton ne le sera jamais. » Il pouffa de rire, tentant de détendre l'atmosphère avant de prendre un air plus solennel. Ses satellites … Tout est une question de point de vue. Bleeker ne pensait pas en avoir. Mais, vous savez, il était de ces mecs qui ne se demandaient pas si par hasard ils étaient amoureux de la fille uniquement quand la fille s'intéressait à eux. Le premier pas, lui pas connaître. Il comprenait la crainte de Joan, il respectait. La sienne, celle de Cody, était différent. Il était effrayé à l'idée de ne pas être à la hauteur, de ne jamais l'être, qu'elle parte de nouveau, qu'il finisse seul, déprimé et seul. Fixant non sans une certaine tendresse leurs mains ainsi jointes, il demeura immobile, paralysé par ses émotions en rafale qui agissaient sur lui comme la méduse. Joan était sa méduse. « Tu … Je sais pas où ça en est avec Pluton, mais tu devrais essayer. Ecouter les vieux disques c'est bien, c'est bon, mais on s'accroche à la nostalgie et un jour, elle finira par ne plus faire effet. S'il t'aime, si tu l'aimes, tu ne devrais pas le laisser filer, tu pourrais regretter de t'être enfermée dans une pièce avec tes vieux Pink Floyd alors que t'aurais pu avoir le dernier album de Kyo. » Le mec, il n'était pas net, il disait clairement à la fille qu'il aimait de saisir l'occasion d'être heureuse avec un autre. Narmol. T'façon, l'amour ne devrait pas être égoïste. Quand tu aimes quelqu'un, tu veux que ce quelqu'un soit heureux, de toutes les façons, qu'importe si ce n'est pas avec toi.

Bimbadabim bimbadabadaboum. Le cœur de Cody tonnait comme les canons de Napoléon à Waterloo. Ah, Waterloo, I was defeated, you won the war, Waterloo, promise to love you ever more. 'Cody, je ...' Cody n'aimait pas trop ça, enfin, si. Les mots, si. Pas l'interruption soudaine des programmes, pourquoi la page de pub intervenait maintenant alors qu'il était pendu à ses lèvres, attendant la suite. Peut-être que s'il l'entendait, s'il entendait qu'elle l'aimait, s'ils se mettaient dans une situation de concurrence pure et parfaite dans laquelle la transparence est de prime, peut-être qu'il l'attraperait, la piquerait des bras de Joshua dans lesquels il venait tout juste de la lancer. 'Cody, je ...' Et elle ne se pressait pas. Il finirait par regretter sa décision, peut-être qu'elle n'attendait que ça, peut-être que … Elle parla, mais comme à son habitude – bien qu'on notait qu'elle avait abandonné les comparaisons toutes droites sorties de ses bouquins d'astrophysique – elle ne fit pas comme l'OM ; elle n'alla pas droit au but. Il fallait qu'il lise, qu'il décrypte et le problème, c'est qu'à chaque fois qu'elle faisait ça, Cody se demandait si elle était sincère. Pourquoi elle ne le serait pas, vous me direz ? Ben c'est Bleeker. Son manque de confiance en lui le poussait à croire n'importe quoi, à repousser les gens qui prétendent l'aimer par peur d'être lâché. Elle l'avait lâché une fois, il craignait qu'elle le fasse une seconde fois, d'autant plus s'il y a déjà un round baller dans son sillage. Il n'avait jamais douté qu'elle l'avait aimé, au moins au début, avant qu'il n'impose la contrainte Maggie et la contrainte Jess. Maintenant il était difficile de s'en persuadé. Et maintenant elle s'était éloignée. Maintenant elle lui filait entre les doigts. Maintenant elle allait partir. Maintenant son cœur se serrait. Maintenant il allait pleurer. Enfin non, pas pleurer. Boire, beaucoup. Sûrement. C'est le seul moyen qu'il avait trouvé pour oublier qu'il n'était qu'un con. Ses dernières phalanges, plus expressives, refusaient cordialement cette séparation, si bien qu'elles cherchèrent à toucher la main de Joan, sûrement contre sa volonté. « C'est quoi le mot ? » quémanda-t-il, les pupilles suppliantes, comme si sa vie en dépendait, comme si LA vie en dépendait, comme si sa réponse conduirait vers la paix dans le monde, inhiberait la faim dans le monde, annihilerait le conflit israélo-palestinien. Te rate pas Lindley, beaucoup de gens comptent sur toi.


Ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii :woohoo:  :woohoo:  elle commence à se faire vieille celle-là

Bip bip bip. Cristina Yang est appelée à la barre, Ô déesse de la cardio. Cody suffoquait, c'était l'arythmie dans le myocarde, ou alors il était pris d'une soudaine anémie. Son cerveau n'était plus oxygéné, il suffoquait, il allait crever. Ou pas d'ailleurs. Au contraire, il était bien, juste bien. Pendu aux lèvres de Lindley mais ça va, pour une fois, il n'avait pas cherché à les dévorer comme il avait tendance à le faire. En même temps, sa bouche était tellement grande qu'on aurait dit un panneau publicitaire surplombé de clignotait qui lui pétait au visage, du genre 'embrasse-la idiot, c'est bien plus que des mots'. Mais inculte jusqu'au bout, il fit genre de ne pas comprendre ce qu'elle cherchait à dire. Quoiqu'il ne le comprenait pas. Il avait besoin qu'on lui dise, qu'on lui dise qu'on l'aime, qu'on tient à lui. Le pouvoir des mots était incommensurablement plus fort que tout pour Cody. Atteint d'un déficit en confiance, il avait besoin qu'elle le dise. Et elle le dit. Ses doigts se figèrent, tous contre l'auriculaire de Joan, se battant en duel l'un contre l'autre pour avoir un peu de place. On n'aurait dit des chatons dans un panier trop petit, on aurait dit des pigeons sur un fil électrique à haute tension, on aurait dit des étudiants dans un bus plein à exploser à 8h du mat. Comme si avoir une place sur le petit doigt de Joan signifiait un ticket tout droit vers son cœur. Elle l'aimait. C'était dit. Il l'embrassa. Ça c'était fait. Mais pas genre le vieux baiser langoureux, plein de salives, style 'je te veux là maintenant tout de suite, faisons l'amour entre la Bétadine et le Mercurochrome'. Nan. Il effleura ses lèvres, flirta à la commissure, abandonna ses mains dans ses cheveux, avant de se séparer, lentement, doucement, dans un déchirement. Lui, en revanche, avec les mots, il n'était pas très fort. Il faisait comme il peut avec son corps alors. Cette fois-ci, ce fut lui qui se décala. « Et pour … Pluton ? » Bien sûr, il avait un prénom. Bien sûr, Cody pouvait le demander à Joan, bien sûr qu'elle répondrait. Ce n'était pas tabou. Mais à partir du moment où Bleeker saurait son prénom, ça deviendrait tout de suite plus réel et, pour le moment, il se plaisait à se fondre dans un monde bercé d'illusions aux côtés de Lindley.

Je crois que tu avais oublié, merci de rattraper ton retard :sifle:

« Il va vraiment falloir qu'on sorte ? J'aime pas penser aux gens. J'aime pas penser qu'on n'est plus seuls. J'aime pas. J'aimerais penser qu'à toi. Voir que toi. Et toi voir que moi. » souffla-t-il à demi-mot, le petit garçon égoïste qui se réfugiait en lui décidait enfin d'émerger. Tout était tellement facile tant qu'ils restaient dans cette infirmerie, seuls, coupés du monde. Cody en oubliait carrément qu'il avait frappé en pleine mâchoire Joan tant au fond de lui il se sentait si serein. S'il aimait Joan ? Putain oui. Faut pas rêver, entre eux, ça ne s'était jamais terminé. D'où le problème. Vous voyez, Harry Potter et les reliques de la mort, le livre, Cody n'a jamais été foutu de le finir. Il est encore là, sur une étagère, traînant, un marque-page à vingt pages de la fin. Une fine couche de poussière avait eu le temps de se poser sur la couverture, de s'y installer, d'organiser des bamboulas d'enfer tous les samedis du mois de juin. Pourtant, le film, il l'a vu, des dizaines de fois peut-être. Il ne l'avait pas fini, pas parce que soudainement, il fut pris d'une crise d'illettrisme qui l'empêchait de mettre un terme à sa lecture. Il ne l'avait pas fini par crainte, par crainte de mettre fin à cette histoire, cette saga qui avait bercé son adolescence, profondément bouleversé sa vie. Sisi, sa vie en était toute chamboulée. Et puis imaginez que la fin ne vaille pas l'histoire rocambolesque et passionnante qu'il venait de lire ? Il voulait rester sur un bon souvenir de Harry Potter. Et peut-être qu'au fond, instinctivement, il craignait voir la fin de son histoire avec Joan. Il espérait sincèrement qu'arrivée à la fin du chapitre, J-K. Rowling sorte soudainement une suite de son chapeau. Mais ce n'était sûrement pas le cas et il ne voulait pas prendre le risque de s'en sortir déçu. Joady, des émotions à chaque page sans la certitude du Happy Ending. Ils s'aimaient. OK. Et comme tout couple normalement constitué, Joan et Cody devraient se mettre ensemble, n'est-ce pas ? Pourtant, les paroles de la jeune femme ne semblèrent pas si insensées mais tellement inconcevable pour le commun des mortels. À croire qu'ils étaient des sur-hommes, des X-Men, des Avengers. « Donc chacun sa route, chacun son chemin et inchalla on se reverra ? » Ouaip, Cody parlait régulièrement rebeu. Ou alors il parlait trop à une certaine Jessica qui plaçait inchalla à toutes les phrases. Ou alors c'est la joueuse qui parle trop à Jessica la juive rebeu. Ouais ça doit être ça.