« Ramène-le moi. » D’un mouvement de tête blasé, la nuque brisée avant de consentir à cet ordre que vient de lui donner celui qui se trouve à la tête de tout, le mastodonte a soufflé son amertume à peine il a passé la porte de son bureau. Chargé de recadrer l’un des jeunes de la bande qui vient de se défiler à l’un des rendez-vous qu’il ne fallait pas louper, il déplace lourdement sa silhouette jusqu’au bar de leur humble QG pour s’y accouder et laisser son aigreur vagabonder jusqu’à la dealeuse et serveuse. « T’es encore plus laid que d’habitude. » Normal, il tire une tronche d’enterrement parce qu’il n’est pas dans ses attributions de jouer au berger, encore moins de ramener des agneaux vérolés par la cocaïne et par les saloperies qu’il a toujours décriées. Pourtant s’il y a bien une chose qui le fait légèrement sourire alors qu’il redresse la tête vers elle pour affronter ses deux obsidiennes, c’est de pouvoir rosser celui qui quelque part a préféré rester terré. « Merci. »  D’un coup de tête il ordonne une bière qui sera rajoutée à la longue liste non exhaustive de son ardoise déjà bien salée, consommations impayées alors qu’il en a les moyens, juste par envie de faire chier.

Après avoir pris le temps de la boire et de parler, tout du moins de lâcher deux ou trois mots avec la gamine derrière le comptoir afin de connaitre l’adresse du dealeur qu’elle côtoie d’ordinaire, sa gorge desserre un râle puis il se soulève. L’adresse ? C’est elle qui vient de lui donner puisqu’il ne s’est jamais confié du petit gibier. Pour grimper les échelons, rien de tel que de graviter vers les cercles les plus prisés, passe-temps dont il a fait son véritable métier.
Mais un texto reçu et il en oublie rapidement les prérogatives précédemment données pour bifurquer vers une autre adresse, un autre bâtiment, un autre appartement que le sien. Ce n’est qu’au petit matin qu’il se réveille aux cotés d’une silhouette partiellement calfeutrée dans du satin, des jambes oblongues qui s’enchevêtrent aux siennes et dont il a dessus la main. Une nuit parmi tant d’autres, une femme comme beaucoup d’autres, la fille de l’un de ses clients qu’il a rencontrée durant un week-end, en soirée, et qui dans la mêlée des corps, aura, étouffée dans ses draps, juré l’obscène, emportée par ce désir femelle d’être pleinement possédée.
Dans le halo discret du soleil qui s’éveille, ses yeux s’attardent sur les courbes redessinées, une toile éphémère que le temps modifie lentement selon son gré. Totalement décomplexée, la jeune femme émerge de son sommeil en lui offrant de sa bouche pulpeuse bordée de sensualité un baisé sur son épaule, amoureuse et faussement innocente derrière ses boucles dorées. « Bonjour. »  Un sourire seulement lui est rendu avant de se découvrir et de partir, ne lui laissant que pour souvenir l’amant qu’il a été.

Mais ses responsabilités le rattrapant, les brides de cette discussion à sens unique de la veille lui martelant le crâne, il s’est dirigé vers l’adresse donnée par la serveuse pour aller choper l’insouciant, frappant contre la porte de son poing avant de réajuster sa veste bien tranquillement. " Y a personne." Irrité, son souffle s’est fait bref avant de regarder de chaque côté du couloir si quelqu’un pouvait l’épier, sa paume appuyant contre le bois pour jauger de la force nécessaire pour l'enfoncer.  Mais elle tiendra à moins de vouloir réveiller tout le quartier. Pourtant quelque chose lui intime malgré tout d'essayer la plus idiote des méthodes, ses doigts enlaçant fermement la poignée sans grande conviction jusqu'à lentement la tourner. Le plus triste et le plus accablant, c'est que la porte finit par s'ouvrir sans démontrer la moindre résistance, lui permettant d'accéder à l'intérieur à pas feutrés et de tomber sur le jeune complètement défoncé. « Mauvaise réponse. »