D’un mouvement habituel, elle verrouille son téléphone après avoir envoyé un message à Sheng afin de lui souligner qu’elle a hâte de retourner à l’hôtel pour le retrouver. Il y a un sourire sur ses lèvres rien qu’à penser aux allusions qu’elle lui a envoyé, et ça efface quasiment ce sentiment qu’elle éprouve depuis son arrivée. Elle n’aime pas les zoos, c’est ce qu’elle ne cesse de se répéter à mesure qu’elle marche dans les allées. Si elle s’émerveille, ce n’est que de moitié, parce que oui, elle aime contempler les animaux, mais ne peut se retenir de songer qu’ils sont tels qu’elle, elle a été. Elevée en captivité. Tout comme elle, elle en est certaine, ils désirent la liberté.

Et même si les cages sont inexistantes dans cet endroit, cette sensation qu’ils sont enfermés ne la quitte pas. Pourtant dans la vallée des singes, elle parvient à oublier un tantinet son impression, peut-être parce que les visiteurs peuvent les approcher, qu’il y a entre eux et les êtres humains une véritable proximité, presque à vouloir se faire caresser.

Alors lorsque l’un d’eux ose avancer en sa direction, elle s’accroupit, tend sa paume vers lui. Elle se veut douce quand elle lui murmure de venir à elle, et ne réalise pas que dans son dos se prépare un braquage en bonne et due forme. L’un des comparses du primate attrape avec rapidité le paquet de chips qu’elle n’a pas terminé lors du déjeuner et qui dépassait de son sac à dos mal fermé. Il la contourne après son larcin comme pour la narguer, et elle s’affole se rendant compte de l’exploit. « Hey attends, attends ! » qu’elle tente de crier autant qu’elle veut le murmurer pour ne pas l’effrayer. Une tentative vaine qui ne ressemble pas à grand-chose en termes de décibels, mais ce qu’il reste vraiment de son essai ? Le fait qu’elle se relève avec rapidité parce que le macaque est en train de se carapater, elle percute un homme – qui s’apparente à un mur – et qu’au lieu de s’excuser, la brune s’entend se justifier, « Faut le rattraper. » Avant qu’il ne s’empoisonne avec ce qu’il vient de lui chiper.  

Il ne lui reste encore que quelques jours à son compteur avant que ne daigne sonner l’heure de rentrer, de reprendre la route des basfonds et des lugubres quartiers mais aussi de la supervision de ses jeunes protégées, un véritable labeur selon le dossier.

Entretemps, un texto de son prétendu supérieur est venu se greffer à la liste de tous ceux auxquels il n’a jamais répondu, plus par rébellion que par négligence, tout çà pour lui dire qu’il allait devoir rallonger d’un nom sa liste… Elle attendra, si elle n’est pas morte d’ici-là parce que pour l’heure il profite de ses dernières heures de soleil pour se promener parmi la foule qu’il exècre d’ordinaire. Mais en Floride, tout lui parait si lointain qu’il a baissé sa garde et s’est pris au jeu d’être un autre avant de faire à ces terres ses adieux.
Lui qui n’est jamais allé sur le continent sud-africain s’offre pour cette après-midi la compagnie des plus grands quadrupèdes que cette terre compte encore, animaux graciles et gracieux, effleurant de leur langues les doigts des touristes souhaitant leur offrir une ronce à grignoter. Pour une fois, c’est à lui de lever les yeux pour les toiser et observe la robe tachetée de l’une d’elle qui se rapproche, intiment intéressée par ce bipède plus grand que la moyenne.. Peut-être le prend t-elle pour un cousin éloigné, ou tout simplement une étrange curiosité.
Et si elle ne représente aucun danger sur le papier, le mastodonte fait preuve de réserve cependant face à la créature dont le cou fait plus de neuf pieds, ne se méfiant plus de ce qui se trame autour afin de fixer son attention sur cette chose qui se penche vers lui. Mais la chose se redresse subitement sans donner de préavis et c’est dans son dos que provient le danger : un heurt violent qui le fait presque trébucher.
Sans s’excuser, la touriste en question l’adjure d’une injonction, lui qui n’a strictement rien demandé à personne. « Faut le rattraper. » Mais contrarié, les traits renfrognés sous le joug d’une colère qu’il contient, il jette un coup d’œil sur les traces du voleur après qui elle souhaitait se lancer, accrochant d’une poigne ferme le sac à dos de celle qui tente de resquiller pour l’empêcher de bouger. « Doucement là. Des excuses d’abord. » Chaque chose en son temps et seulement après çà, il sera dans de meilleures dispositions pour aller jouer au vengeur.  

Concentrée sur son objectif, elle ne compte pas s’attarder auprès de l’homme, elle tente même de poursuivre sa fuite… Cependant dans son élan, c’est net qu’elle est stoppée. Elle en vacille un peu, manque de tomber, retenu en arrière par la poigne de l’étranger accrocher à la hanse de son sac à dos. Un léger cri de surprise s’échappe de sa bouche à l’instant où lui ordonne ; « Doucement là. » Encore sous le choc, elle ne le regarde pas car c’est le singe qu’elle ne souhaite pas perdre des yeux. Alerte, pour être certaine d’être capable de sauver la bête. « Des excuses d’abord. » Elle croit halluciner, n’en revient pas d’être accusée d’impolitesse quand le but premier de ses actes était de réparer ce que son paquet de chips risque de faire à l’animal qui n’a rien demandé. Enfin, même si c’est la bête qui l’a volé.

Haiwee a toujours eu le respect des aînés, c’est une règle qu’on lui a inculquée, à laquelle elle n’a jamais dérogé, mais pour le coup, les mots de l’étranger lui donnent une petite envie de se rebeller… Si bien que ce qu’elle articule c’est, « Excusez-moi ? » vu le ton qu’elle utilise, ses paroles ne traduisent pas les excuses demandées, mais plutôt le choc que sa demande a provoqué. Ses pupilles vont trouver celle de l’inconnu, paupières légèrement plissées en une tentative de comprendre son intérêt. Ce qu’il gagne à lui faire perdre son temps, et même si peut-être elle abuse un tantinet, elle se convainc de plus en plus que les pétales de pomme de terre frites vont flinguer le primate aventurier. « Ce n’est pas comme si j’avais fait exprès. » De le percuter, d’ailleurs, vu son gabarit, elle aurait été franchement stupide de le faire volontairement.

 « Excusez-moi ? » Elle n’a pas tout compris visiblement la chica mais le quarantenaire en a maté des plus coriaces que ça. La poigne toujours solidement arrimée sur le sac de la jeune femme il n’a pas bougé d’un millimètre, impassible face à ce qui n’est à priori pas son problème. Et d’ailleurs grand bien lui fasse au macaque de manger quelques chips salées, il comprendra bien vite que la mal bouffe américaine n’est pas à favoriser. Cependant c’est sa captive se rebiffe, une pointe de sauvagerie dans son regard alors qu’elle ose le fusiller. « Ce n’est pas comme si j’avais fait exprès. » Ce n’est pas une raison valable et il le fait aussitôt comprendre en la ramenant un peu plus vers lui, tirant légèrement sur le sac avant de desserrer son emprise. « Et ? »  Il pourrait tout aussi bien simuler une douleur là où elle l’a percuté mais puisqu’il est mauvais comédien il va éviter de se ridiculiser pour rien. Lui faire la morale, vu son passif et son expérience auprès des repêchages dont il est chargé, est une option beaucoup plus à sa portée. « C’est pas une excuse. »

Et d’ailleurs elle pourrait très bien avoir fait exprès pour lui soutirer, à lui le touriste qui n’aura certainement pas la même endurance qu’elle une fois une course poursuite amorcée, son portefeuille qu’il est machinalement en train de chercher. Sa large paume tâtonne sa poche mais le relief qu’il ressent ne le rassure pas plus que çà et par acquis de conscience, il préfère le sortir pour s’en assurer, allant jusqu’à même l’ouvrir pour vérifier de son contenu. Mais tout y est, ce qui pourtant ne soulage nullement ses traits contrariés. « Je préfère çà… » Un murmure qu'il gronde alors que sa paume libère une bonne fois pour toute l’anse du sac afin de ranger son bien.

Après ses mots, l’inconnu la retient toujours, les doigts encore agrippent à la hanse de son sac encore une ou deux secondes, ce qui a le don d’agacer – au moins un tantinet – la douce Haiwee. « Et ? » Et oui, certes, elle aurait très bien pu s’excuser, d’ailleurs c’est qu’elle fait habituellement lorsqu’elle bouscule quelqu’un sans le vouloir, mais perturbée par l’animal, ça n’a pas aidé à son bon comportement. « C’est pas une excuse. » Et elle avoue ne pas être tentée pour fournir un effort maintenant. Parce que la mauvaise foi semble faire partie intégrante de lui.

C’est ce que lui montre ses prochains gestes, du reste. A sortir de sa poche son portefeuille et vérifier son intérieur, sous-entendre que le heurt était destiné à des desseins voleurs. Presque, ça lui fait mal au cœur. « Je préfère çà… » Il prononce une fois l’inspection terminée et relâche le sac, lui rend pour ainsi dire, sa liberté. Cela dit, l’amérindienne ne bouge pas, l’espace d’une courte durée, elle oublie son objectif premier. Le singe, les chips, la course-poursuite.
Parce qu’elle n’en revient pas, elle est estomaquée par ce qu’il vient d’insinuer, elle éprouve une sensation étrange, celle de vivre un instant lunaire, hors du temps, accusée et jugée pour un acte qui représente tout le contraire de son caractère. Alors au lieu de se sauver, elle s’entend préciser, « Je ne suis pas une voleuse. » une défense médiocre et elle se pense parfaitement ridicule de se sentir blessée par l’insinuation qu’il a mimée. Car même si elle a grandi avec le strict minimum, elle a toujours eu l’impression de ne manquer de rien, jamais elle ne s’abaisserait à dérober de l’argent à quelqu’un. Haiwee, elle tient à son honneur, à ses valeurs. L’innocente ne voulait qu’aider un animal trop aventurier. « Bref, je suis désolée. » de vivre dans un monde où se télescoper ne peut être un acte incalculé. Cherchant le fuyard des yeux, elle s’entend râler, ses bonnes intentions balayées, « J’vous remercie pas. » Car la bestiole n’est plus là.