La nuit a été longue, trop longue et si Sienna rêve de retrouver son lit, elle sait pertinemment qu’elle va se réveiller d’ici deux heures parce qu’elle aura faim si elle ne prend pas garde à prendre quelque chose. Veillant à ne pas faire trop de bruit pour ne pas réveiller Riley et Letizia, sans se douter que cette dernière a laissé sa place à un certain Horace, elle se déshabille dans sa chambre et ressort en sous-vêtements pour allumer la cafetière. Les filles ne sortiront jamais de leur chambre à cette heure de toute façon. Une fois la cafetière allumée, et le four en train de préchauffer, elle commence à défaire son soutien gorge et se dirige vers la salle de bain, seins nus sans imaginer qu’un homme vit dans son appartement. Pas que Sienna ait l’habitude de se promener nue dans l’appartement, elle est même assez pudique mais elle n’aurait certainement pas pris le risque sinon. Peu importe les choses sont bien faites, personne n’est sur son chemin et elle peut se glisser sous l’eau bouillante pour se débarrasser de cette journée éprouvante. Elle ressort de la douche un bon quart d’heure après et c’est en serviette qu’elle va retrouver sa cuisine, sans prêter attention au salon. Elle se verse son café et met ses toasts au four, le grille-pain ayant rendu l’âme cette semaine. Dans la manipulation, sa serviette se détache et finit au sol mais Sienna ne se précipite pas pour la récupérer, du moins jusqu’à ce qu’elle entende quelqu’un s’éclaircir la gorge derrière elle. Elle l’attrape à tout va, la mets devant elle en se retournant et fronce légèrement les sourcils en voyant l’un des mecs que Letizia voit.

J’suis chez moi partout, il me faut pas grand chose pour que j’sois à l’aise. C’est comme ça, j’suis cette tâche d’huile qui se répand partout. Mon odeur reste sur les draps, dans les cheveux, mes vêtements viennent facilement garnir une chaise, un lit. J’crois que j’habite facilement les lieux. Les gens, aussi. J’suis le type facile à vivre, à qui on prête facilement son canapé. Je prends pas trop de place, je demande pas grand chose. Alors, j’sais pas pourquoi cette nuit, quand entre deux soupires, elle m’a dit qu’elle allait se barrer, lui est venue l’idée qu’on pourrait juste s’échanger. J’veux dire, plus qu’on était déjà entrain de le faire. S’échanger, dans la définition la plus simple du terme ; une place pour une place. Se remplacer. Elle était de ces oiseaux qui changent de nid comme ça, sur un coup de tête. On s’ressemble, un peu. Je suppose. Je la connais pas vraiment, cette fille. Juste les grandes lignes, et les emplacements de ses grains de beauté. J’apprends qu’elle a des potes, une famille, je sais plus très bien, je confonds les anecdotes. Je sais juste qu’ils sont loin, qu’elle a envie de changer d’air, et qu’elle a surtout retenu que moi j’avais aucun endroit où l’inviter, quand s’était posé la question du lit à choisir. Alors me voilà. Les lèvres dans un café fumant, la bouche amusée du défilé proposé dans ces pièces de vie. Mais j’suis pas de ceux qui se rincent l’œil sans consentement voyez, je racle cette gorge en signal d’alarme. Voilà le début de notre colocation. C’est moi, le nouveau meuble. “Faudra qu’on pense à racheter un grille pain.” Un gosse trop ravi d’avoir un toit, qui n’considère même pas qu’on puisse lui retirer. Puisqu’il vit dans un monde édulcoré, vous aussi, vous devrez suivre ces couleurs. “Ca peut être mon cadeau d’arrivée.” Sympa, quand même, quand on voit le prix de ces conneries. Bon, probablement que je balance la fin avant d’avoir récité les chapitres explicatifs. Probablement que j’aurai dû être gêné par la scène, ou que sais-je. Probablement que j’devrais arrêter d’arborer ce sourire de crétin.

Sienna sursaute en entendant le raclement de gorge, mais encore plus en se rendant compte qu’il est masculin. A la réflexion, c’est peut-être plus simple que de tomber sur Riley, mais elle secoue la tête et ramasse sa serviette tellement vite qu’elle n’a pas vraiment de plus y réfléchir - ouf. “Hein ?”  demande-t-elle, quand il parle de racheter un grille-pain, utilisant le “on” comme s’il faisait partie des personnes concernées par le fait que seul le four leur permette d’avoir du pain croustillant. Elle réajuste sa serviette comme elle peut sans dévoiler plus de son intimité qu’elle ne l’a déjà fait et fronce encore plus les sourcils quand elle l’entend parler de cadeau de bienvenu. “J’crois que tu connais mal Letizia. C’est pas parce que t’as passé trois nuits avec elle qu’elle est prête à t’épouser et de faire de toi un membre permanent de notre colocation” râle-t-elle, bien loin de s’imaginer que sa coloc s’est barrée sans préavis et leur a trouvé un nouveau colocataire sur lequel elle n’a pas son mot à dire. Au-delà du fait que cela agacerait quiconque de normalement constitué, cela agacera encore plus SIenna qui considère que cet appartement est avant tout le sien puisqu’elle est celle qui y habite depuis le plus longtemps. Par chance, elle n’est pas particulièrement un tyran.
Pas très à l’aise dans sa serviette mais beaucoup trop fière pour l’admettre - ou discuter du fait qu’un quasi-inconnu l’a vu à poil, elle qui est extrêmement pudique, elle préfère continuer la conversation comme si de rien n’était. “Tu veux du café ?” demande-t-elle avant de tremper les lèvres dans le sien, étudiant le jeune homme. “Et je pensais même pas que tu venais assez souvent pour te rendre compte que le grille-pain fonctionne plus.” précise-t-elle, cherchant indirectement à savoir depuis combien de temps il est planté là à la reluquer. Elle se promet intérieurement d’avoir un mot avec Leti; elle est bien libre de ramener qui elle veut mais il est hors de question qu’elle ramène des pervers dans son genre ! Et à partir de maintenant, ça serait sympa qu’elles se préviennent toutes quand quelqu’un dort de manière impromptue à l’appartement…

De la politesse, de s’annoncer comme étant présent dans ce grand déballage. Pas désagréable, mais pas voulu. J’vois tellement de corps, que je ne m’émoustille plus d’une silhouette, surtout quand elle se dévoile sans consentement. Ca m’fait marrer, par contre, ça j’peux pas m’en empêcher. Discrètement, dans un regard de gamin que ça fera toujours rire de voir une chute, ou une serviette qui tombe, surtout quand l’autre ne se rend compte de rien. Surtout quand je sais, que dans mes mains, se trouvent des cartes dont tu ne soupçonnes pas l’existence. Je sais que j’ai pas fini de me marrer, dans cet instant présent. J’suis pas doué en jeux, mais je sais que pour faire durer le plaisir, je ne dois pas dévoiler directement le pot aux roses. “Quatre.” Rectifié, comme si c’était important. Comme si j’avais compté. Peut-être -surement- d’ailleurs que t’as raison, et que ça ne fait que trois. T’as mieux compté que moi nos éclats de voix. “Et je ne lui ai pas encore posé la question.. laisse moi le temps d’acheter la bague.” Un rictus, là, est trop fort et perce sur mes lèvres de gosse. Tout peut tenir, mais le mariage, sérieusement ? J’peux même pas mentir là-dessus. “Une pas trop chère, ça devrait aller non ?” Pas superficielle, Letizia, du peu que j’la connaisse. Pas matérialiste en tout cas. Tellement pas qu’elle est capable de se barrer en laissant tout en plan, et le confier à un quasi inconnu. Mais ça, c’est ma carte finale, qui reste bien logée dans ma manche. Enfin, tant que j’craque pas. “J’en ai déjà un.” Je soulève ma tasse, dans laquelle j’étais entrain de boire. Elle est presque vide. “J’irai me resservir moi-même, t’emmerdes pas.” La bouche est soulignée d’un fin sourire, amusé malgré lui. Au mieux j’passe pour le mec sans gêne. Ce qui n’est pas tout à fait éloigné de ce que je suis. Mais je pense surtout au fait qu’il vaut mieux pour toi que tu n’exécutes aucun mouvement qui pourrait alimenter un nouveau spectacle. “Letizia voulait absolument du pain grillé.” Comme justificatif. “Elle m’a aussi dit que la porte de la salle de bain fermait mal, qu’il fallait faire gaffe.” Une autre carte. “Et deux-trois trucs sur les poubelles et le tri, mais j’me suis dis que vous m’rediriez.” Encore une. Ouais, je sais, j’suis pas doué en jeux, j’l’ai dis, j’suis trop impatient de tout déballer. Puis, ce sourire là, noyé dans la tasse qui doit appartenir à l’une de vous, j’ai du mal à le gérer.