Certes ce n'était pas la première fois que Maze me voyait nu, et c'est d'ailleurs ce que je ne cessais de me répéter depuis un moment pour essayer de me détendre et d'oublier cette pudeur qui me gagnait soudainement. Mais les choses étaient différentes alors qu'elle posait son regard attentif sur moi, loin de nos ébats torrides où nos corps s'entre-mêlaient avec ferveur. — C'est vrai, mais c'est différent. L'expression "se mettre à nu" prend tout son sens dis-je en me pinçant légèrement les lèvres. Et puis, c'était tout nouveau pour moi. Pendant une fraction de seconde, il y eu ce petit truc, cet élan qui m'aurait presque poussé à l'embrasser, si ses lèvres n'avaient pas dévié habilement vers mon front. J'avais de plus en plus conscience de ces sentiments qui se mêlaient sournoisement à notre amitié et... je ne savais pas comment y faire face. Préférant clairement faire comme si de rien n'était, du moins pour l'instant présent. Entre les mots échangés sur Charlie et cette tendresse évidente que j'avais pour elle, je me sentais perturbé, raclant légèrement ma gorge pour essayer de me concentrer. Je l'observais mettre ses lunettes, braquer sur moi un oeil concentré avant de retourner à sa toile, tout en me livrant une part d'elle que nous n'avions jamais exploré. J'ignorais tout de ce qui était arrivé à son père. Sujet sensible que nous n'avions jamais évoqué, ni ensemble, ni avec Q et Rhys. Ce genre de sujet que l'on tait, presque tabou. — Tu dois beaucoup y tenir alors répondis-je doucement, l'admirant dans son t-shirt trop grand pour elle. — Tu ne m'as jamais dit ce qu'il c'était passé... commençai-je, essayant de ne pas bouger. Lui tendant une perche qu'elle pouvait décider de saisir ou non.

Je riais à ta remarque, avant de prendre place sur mon tabouret à roulette. J’étais littéralement aux anges, regroupant uniquement des choses que j’appréciais et qui contribuaient à mon bonheur : ta présence, ton corps nu et le dessin. Si j’étais très concentrée sur les bases de mon croquis, je ne cessais de donner des coups de crayon, pour former les premières courbes de ta silhouette. — Est-ce que même d’ici et maintenant qu’on est lancé mon regard te met mal à l’aise ? Détachant la toile des yeux pour les ancrer dans les tiennes, je te souriais tendrement. Pourtant, dès lors que nous évoquions mon tee-shirt, je mentionnais l’unique lien qu’il me restait de mon père. Je détachais mon crayon de la toile, pour laisser ma main retomber sur ma cuisse, en haussant les épaules. — Je ne crois même pas, c’est plus une question d’habitude. Comme un grigri qui m’accompagnait tout le long de ma vie. — Je n’ai jamais pu le rencontrer. Il n’y avait toujours eu que ma mère et mes frères. — Ils vivaient grâce à la vente des toiles de ma mère, sauf que du jour au lendemain, elle a perdu l’inspiration et n’arrivait plus à rien. Je tournais le regard vers toi, compatissante, car mon histoire faisait parfois écho à la tienne. — Les tensions sont apparues, pendant des mois, toutes les fondations de leur couple se sont fragilisées à cause de leur problème d’argent. Après une dispute plus virulente que les autres, mon père a pris le volant énervé et par manque de vigilance, il a eu un grave accident de la route qui lui a coûté la vie. Je reposais mon crayon sur la toile, après t’avoir longuement regardé. — J’suis surtout triste pour ma mère, je ne sais même pas s’il savait pour.. moi.

C'était une grande première pour moi, et l'exercice n'était pas aussi simple qu'on pouvait le penser. Je ne me considérais pas comme particulièrement pudique, ni impudique d'ailleurs. Mais c'était particulier. Pourtant je commençai doucement à me sentir plus à l'aise, la tension quittant progressivement mon corps à mesure que nous discutions. — Non, ça va. Mon regard tourné vers elle, j'en profitais justement pour l'observer se concentrer, sa main glissant sur la toile que je ne voyais pas. Elle avait quelque chose de très sexy, avec ses lunettes et son t-shirt trop grand. Mais j'essayai de ne pas m'attarder sur ce genre de pensées. Pas pour l'instant du moins. Le sujet déviait justement sur son t-shirt ayant appartenu à son père, sujet que nous n'avions encore jamais abordé ensemble. Je savais qu'elle l'avait perdu mais j'ignorais tout des détails, et ça me faisait quelque chose de voir qu'elle acceptait de me livrer une nouvelle part d'elle-même. Mon rythme cardiaque s'accélérait malgré moi en entendant parler de syndrome de la page blanche, son histoire faisant encore une fois étrangement écho à la mienne... sans parler de l'accident de voiture. Je déglutissais péniblement, encore bien trop marqué par le trauma de ma petite amie décédée en voiture. Pour autant je prenais sur moi, me forçant à me concentrer sur le récit de Maze, et non pas sur ce qui pouvait me renvoyer à ma propre histoire. — Je suis désolé. J'ignorais ce que c'était que de grandir en sachant que son père n'était déjà plus là. Il ne pouvait pas lui manquer puisqu'elle ne l'avait pas connu, mais cela avait dû laisser un manque dans sa vie malgré tout. — Tu ne lui as jamais demandé si elle le lui avait dit ?

Je souriais à tes mots. Si tu avais accepté pour moi, j’espérais quand même que tu prennes plaisir à être ici. J’étais dans mon élément et si habituellement, ton corps à découvert aurait accaparé tous mes sens, je restais pleinement concentrée sur mon objectif principal. L’ambiance intimiste nous poussait à s’ouvrir davantage l’un à l’autre. Je te contais un récit qu’on m’avait récité, sans émotion, d’une traite, comme une présentatrice devant son prompteur. Je n’étais même pas actrice de cette partie de ma vie. — Personne n’y peut rien, la vie n’est qu’une succession d’action qu’on ne peut pas contrôler, j'ai pas eu le choix que de l'accepter. Que je disais en haussant les épaules. J’étais davantage peinée pour ma mère et mes frères que par l’absence d’un père. — Je n’aborde pas le sujet, jamais. Peut-être que j’aurai dû ou qu’au contraire que j’ai bien fait ? Je voyais bien que l’étincelle dans les yeux de ma mère s’assombrissait, alors j’ai juste arrêté de poser des questions. Reculant un peu de devant la toile pour avoir une meilleure vision d’ensemble, je me rapprochais de nouveau pour corriger certaines courbes. — J’espère juste que mes enfants auront la chance de connaître un père qui sera aimant et présent. Dans la finalité, je voulais donner à mes futurs enfants ce que je n’avais jamais eu l’occasion de connaître.

Une fois de plus, je restais silencieux face aux paroles de Maze, happé par l'écho qu'elle provoquait en moi avec tant d'intensité et de vérité. Avec de simples mots, elle parvenait à éclairer ces ténèbres dans lesquels je me noyais depuis trop longtemps, souffler un peu de douceur sur mon âme tourmentée. Oui, Maze n'avait pas eu d'autre choix que d'accepter la mort de son père. Comme je n'avais pas d'autre choix que d'accepter celle de ma petite amie. C'était ainsi, il nous fallait avancer. Et dans la bouche de Maze, cette vérité pourtant si simple parvenait à devenir un peu moins lourde sur mes épaules. — Je comprends dis-je doucement. Comment en aurait-il pu être autrement quand on connaissait cette empathie qui la caractérisait ?— Ca va, ça ne te pèse pas trop ? demandai-je sur le même ton, le corps toujours figé dans la même position alors que je voyais son regard concentré glisser alternativement sur mon corps puis sur sa toile. Un léger sourire venait étirer mes lèvres en entendant sa dernière phrase, imaginant déjà Maze dans un rôle de mère. — Tu aimerais avoir des enfants ? Combien ? demandai-je, réellement curieux. — T'as déjà leurs prénoms et tout ? enchaînais je en plaisantant, l'amusement teintant ma voix.