Je toquais à ta porte, dans l’attente d’une réponse de ta part, avant d’oser entrer. J’avais ce sentiment que mon aura se baladait à côté de moi, comme si j’étais à côté de mes pompes depuis ma discussion avec Loyd. Les messages qu’on s’était échangés nous avaient poussées à mettre des mots sur notre situation. On se plaisait. On se plaisait vraiment. Étant une catastrophe ambulante lorsqu’il s’agissait des relations amoureuses, j’avais besoin de t’en parler. Ou plutôt j’avais besoin de tes conseils. — J’peux t’parler d’un truc ? Je refermais la porte derrière moi, préférant une certaine intimité pour aborder le sujet Loyd. — Est-ce que tu crois que c’est une bonne idée de transformer une relation amicale en relation amoureuse ? Osais-je demander de but en blanc avant de me laisser tomber sur ton lit. — J’me triture le cerveau depuis un mois, ça m’fatigue. Et dans un long soupir, je tournais les yeux vers toi. Qui de mieux que ma sœur, pour m’aider à y voir plus clair ?

Assise en tailleur, imperturbable dans tes recherches, posées négligemment sur ton lit que t'avais élu comme bureau de substitution. Seul bruit de fond : ton métronome qui trône sur l'actuel bureau en bois de cajou, au fond de ta chambre. L'unique façon d'accroître ta concentration. L'incessant tic et tac, t'apaisant sans conteste, te permettant de réaliser lorsque le monde extérieur viendrait à s'inviter dans ta bulle d'astronomie. A l'exemple de ce toc résonnant à ta porte. Toc hors tempo, hors accord. Tu peux entrer. Peu importe qui vient à frapper, peu probable qu'un inconnu ait décidé de s'infiltrer dans votre colocation. Sourcils froncés sur un point bloquant du livre devant tes yeux, tu ne relèves ces derniers qu'à l'entente de la voix de ta soeur. Hésitante, embarrassée ? Timide ? Des adjectifs dont, ô grand jamais, tu n'aurais associé à ta cadette. Les mêmes sourcils froncés se dirigent alors vers sa direction. Du coin de l'oeil, tu notes la porte refermée derrière elle, signe de moment de confessions. Tout va bi- Elle ne te permet même pas d'aller au bout de ta question, te devançant de la sienne, l'hésitation envolée. Huh ? Une Gracie on ne peut plus prise de court lui fait face en guise de réponse, l'expression suspendue, bouche béante. Tu la suis sans la lâcher du regard quand elle s'étale sur ton lit, à côté de tes notes. Huh ? Traduction directe de tes pensées toujours autant figées. 'Fin j'veux dire : qui quand comment - où ? Secoues la tête vivement, te débarrasses de ta léthargie, l'animation prenant enfin place. C'est à propos de Loyd ?!

J’étais contrainte d’admettre que cette situation me dépassait. J’étais submergée par les flots de mes pensées. Noyée par une multitude d’éventualité qui me grillait chaque neurone. Je n’avais aucun contrôle sur ce ‘nous’ grandissant. Ses derniers messages étaient pourtant clairs, mes réponses tout autant. Alors pourquoi fallait-il, encore une fois, que je pense au pire ? Téléphone piégé entre mes mains fébriles, j’entrais à ta réponse. S’il y avait une personne sur terre, capable d’analyser mon état en un coup d’œil, c’était bien toi. Je m’imposais, par mes mots, par ma présence, t’obligeant à interrompre tes révisions. J’en avais trop à dire. Trop au point d’oublier l’essence même de notre éducation et la politesse à tenir à toute circonstance. Les mots s’épanchaient entre mes lippes, déversant la frustration des dernières semaines. — Désolée.. J’avais besoin que ça sorte. Mettre des mots sur mon ressenti et la complexité de la situation, ne pouvait avoir qu’un effet bénéfique. — Oui, y’a que lui pour me mettre dans cet état. Parce qu’en-dehors de vous, ma famille, il était le seul à compter autant. — Déjà cet été, alors même qu’on venait de se retrouver, je m’imaginais un plus avec lui. Sauf que.. Je me redressais, m’installant en tailleur, je t’avouais : — Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours eu l’impression de vivre à travers mes fantasmes. De vivre une autre vie dans mon imaginaire, sans jamais assumer au quotidien, ce que je désire vraiment.

L'attention dorénavant décuplée envers ta soeur, tu refermes les nombreux livres devant toi, balaies le bordel éparpillé d'un revers de la main et reprends position. Face à elle. Les yeux brillants, d'excitation, toujours apte et parée à entreprendre ces discussions de filles avec ta cadette, le yin de ton yang et tous ces bullshits. J'vois ça. Sois pas désolée, continue. Gracie, avide de curiosité, s'applique dans son rôle de grande soeur attentive qui se décuple à la confirmation de l'identité du bourreau de ses pensées - de son coeur ? niais ? totalement. Tu la laisses s'étendre, t'alimenter de détails dont tu n'aurais pas joui jusqu'à ce jour, impatiente de rattraper les récents événements dont elle ne t'avait pas partagé. Remets en place les dates, la timeline. Cet été, ok. Acquiesces. Du plus loin qu'elle se souvienne, double ok. Leur enfance, votre enfance, où t'avais eu plus d'une occasion de voir Loyd être l'ombre de ta soeur. Note pour plus tard : tâcher de lui remémorer que le destin s'implique plus que de raison dans les vies. Une fois que la conversation sur vivre ou non son fantasme, qu'elle a visiblement lancé, aura pris fin. Et qu'est-ce que tu vis dans ton parallèle imaginaire ? Elle devient quoi la Kenzie de là-bas ? Eternellement attendrie lorsqu'il s'agissait de ta petite soeur et son manque en soi aussi visible qu'un nez sur le visage. Quand tu dis t'imaginer "plus" avec lui, c'est sexuellement ou sentimentalement parlant ? T'as déjà couché avec lui ? Ne mâches pas tes mots sur ces questions dont tu devinais les réponses mais ne désirais pas lui en dérober.

Je faisais face à un trop-plein. Trop-plein d’émotion. Trop-plein de question. Face à toi, je me sentais libre de mes mots, libre de mes choix. Et en partie grâce à toi, je me révélais être moi. Tu m’aidais, plus que tu ne pouvais l’imaginer et cela allait bien au-delà de ta simple présence. Tu m’inspirais, grâce à cette flamme qui dansait dans ton regard, mais aussi grâce à cette énergie. Tu étais charismatique Gracie, par ta beauté, mais surtout par ton intelligence et ton caractère. Ce n’étaient pas tes jolis traits qui émanaient cette beauté magnétique, mais bel et bien ton âme tout entière. J’étais fière d’avoir eu cette chance de grandir à tes côtés et d'apprendre de toi, sauf peut-être pour ça. Je n’y arrivais pas. Je n’comprenais pas. Tu nous avais laissé le champ libre sur ton lit, me laissant tout l’espace nécessaire, qu’il soit physique ou mental, pour faire ressortir mes plus profondes pensées. — Elle ne réfléchit pas cette Kenzie, elle agit sans se poser de question. Elle est libre d’aimer sans crainte, de s’assumer. Elle est juste… Elle. Un ‘elle’ qui ne pouvait définitivement pas être un ‘je’. — Les deux. Parce que l’un n’allait pas sans l’autre chez moi. — Oui, une seule et unique fois, ma toute première fois. Je laissais mes paumes glisser le long du tissu de ton drap, un léger sourire accroché aux lèvres. — Depuis ce jour-là, je me suis toujours sentie frustrée de me contenter de le voir que lors de mes vacances quand père m’autorisait à m’absenter plus d’une semaine. Il n’a jamais été ambigu lors de nos nombreuses retrouvailles. Puis après cet été, à notre retour à Boston, il a commencé à tiquer quand j’ai évoqué les dates que j’ai eu. J’ai fini par le confronter et depuis… Bah c’est le bordel. Je relevais enfin le visage vers toi, te questionnant du regard. Est-ce que c’était négatif de réagir comme ça ?

Elle s'enroule dans une spirale émotionnelle, sous ton regard bienveillant, ton toucher, ta main t'accaparant instantanément de la sienne pour l'aider, l'encourager. Tes billes observent son faciès et ses expressions passant par ce tas d'émotions, dont le doute, l'appréhension, l'excitation, l'amour et une partie de toi ne peut s'empêcher de te demander à partir de quel moment ta cadette était-elle devenue.. femme ? Les souvenirs de querelles d'enfance entre vous deux, de vos nombreux tête-à-tête au salon de thé miniature de vos chambres, en compagnie de vos clients favoris - vos poupées, vos plans échafaudés sur le tas, vos langages secrets crées spécialement pour échapper à Père, Mère et vos aînés.. L'émotion se transmettait aussi de ton côté quand bien même ce n'était qu'une simple discussion entre soeurs sur un garçon. Le classique, le basique mais la fragilité de ta petite soeur te poussait à vouloir la surprotéger, à l'envelopper dans un cocon pour ne plus jamais la laisser s'échapper, la protéger du monde extérieur, la protéger d'une plausible peine de coeur. Mais ce n'était pas la solution la plus réaliste ni la plus raisonnable quand bien même ô elle était tentante. A la fin de son récit, tu te ressaisis, ressert sa main dans la tienne. Cette Kenzie elle existe, tu sais ? Je pense que t'oublies on ne peut trop souvent que tu hérites de maman, celle qui a foncé tête baissée sur un jeune homme dans un café juste parce qu'elle a cru entrapercevoir un bref sourire de sa part au loin. La rencontre assez comique de leurs parents.  Ok, elle n'a pas choisi le meilleur des hommes, je le conçois.. Mais regarde l'histoire qu'ils ont eu tous les deux. Parce qu'elle n'a eu peur, elle n'a jamais eu peur maman, elle ne se questionnait jamais trop. Et je ne crois pas que votre ressemblance physique effrayante à toutes les deux ne soit une coïncidence. Tu ris, légèrement, la nostalgie t'engouffrant petit à petit. Tu l'aimes, oui ou non ? Parce qu'au final, c'était ce qui importait le plus. C'est normal d'avoir peur d'aimer mais tu vas plus regretter de ne pas explorer.. tout ça que d'aimer sans prendre de risques. Un tendre sourire anime ton visage. Faut être aveugle en plus pour ne pas voir que Loyd est complètement dingue de toi. Lèves doucement les yeux au ciel, le sourire en coin des lèvres.

Tu me donnais tout le courage et l’envie d’enfin mettre des mots, sur des sentiments que je refoulais. Parce que le problème, en soit, ne venait pas que de ma peur de perdre cette amitié qui m’était si précieuse. J’avais simplement la peur d’être moi-même. Bridée et contrôlée par notre patriarche une grande partie de ma vie, j’essayais ici, à vos côtés de trouver celle que j’étais réellement. J’avais du mal à accepter qu’en fin de compte, la modélisation de notre père fut un échec. Oui, j’étais studieuse et oui j’avais envie de réussir, mais non, je ne voulais pas refléter qu’une façade parfaite pour le grand public. Je me cherchais encore et par définition, j’avais l’impression d’être perdue dans toute les situations que j’entreprenais actuellement. Alors je m’accrochais à toi, à tes mots rassurants, parce que du plus, loin, que je me souvienne, tu étais mon unique bouée de sauvetage, dans toutes les circonstances. Peut-être un peu parce qu’en plus d’endosser le rôle de sœur, malgré nous, tu avais aussi ce petit rôle de mère. Et c’était au moment où tu parlais d’elle, que la réalisation se produisait. Je souriais doucement à tes mots, les larmes aux yeux. Parler d’elle était toujours aussi délicat pour moi, les regrets étant toujours aussi présents. — Maman était téméraire, alors que papa m’a conditionné à être docile et réfléchie. J’essaye de m’en détacher parce qu’ici, j’ai le droit de n’être que Kenzie. Je sais que je n'ai aucun rôle à jouer et que je pourrais me révéler être comme elle ou mieux encore, moi-même, mais j’ai ce blocage juste là. J’approchais nos mains liées proche de mon cœur. Je soupirais doucement, relâchant une pression que j’ignorais avoir avant même de l’avoir évoqué. — Oui, je l’aime beaucoup, trop. Plus que comme un simple ami en tout cas. Mais qu’en était-il de lui ? — Tu crois ? T’en es sûre ? Que je demandais, un peu plus confiante que lorsque j’avais frappé à ta porte.