Je ne saurais pas dire depuis combien de temps je n'ai pas vu Giorgia. C'est drôle, parce qu'on se voyait quasiment tous les jours lorsque je faisais mes études de médecine et que mon internat était à l'hôpital de Boston. J'ai fait tous les services, dont le sien, bien entendu. Si je devrais décrire Giorgia, je pense que je la mettrais dans la même case que Leandra : une femme ambitieuse, intelligente avec un charisme incroyable. On dit souvent que les chirurgiens sont toujours dans cette catégorie mais ça n'est pas tellement vrai, car certains sont des vrais têtes de cons. Je me rappelle que la médecin a été une des premières du corps médical à qui j'ai parlé de mon envie de clinique solidaire ; mes précédents voyages humanitaires ayant laissé la trace d'un sentiment d'injustice profond quand il s'agit de l'inégalité de l'accès aux soins dans un pays riche et dit "développé" comme le nôtre. Elle a été une des premières à m'encourager, malgré mon jeune âge et ma licence de pédiatre même pas encore en poche. Aujourd'hui, je suis vraiment reconnaissant de ces personnes qui m'ont poussées à me lancer. Je ne serais pas là où j'en suis sans eux. Arrivé au bar le premier, je nous prends une date et je pose ma grosse doudoune sur une chaise à côté de moi. La chaleur de l'intérieur fait du bien à ma peau rougie par le froid glacial de dehors. En voyant la rousse débarquer, je lui fais un signe de main, tout sourire. "I got better at being in time", que je lui lance en riant. Parce que j'étais pas la personne la plus ponctuelle du monde pendant mes études. Surtout pendant mon internat où j'avais trop peu de sommeil à cause du boulot, des cours et du fait que j'étais déjà papa.

Lorsque la rousse débarque dans le bar et s'excuse de son retard, un sourire apparaît sur mes lèvres. Non pas parce que je me moque d'elle ou parce que je trouve ça plutôt amusant que nous ayons un peu échanger les rôles sur le sujet d'arriver à l'heure, mais parce qu'entre médecins, on sait un peu ce que c'est. Si je suis meilleur pour ne pas arriver à la bourre quelque part, il m'arrive encore de faire patienter les gens pour la simple et bonne raison que je suis tellement dévoué à mon travail qu'il m'est parfois difficile de le quitter pour aller simplement vivre ma vie. Je ne dirais pas que je vis pour travailler, mais que la cause que je défends via ma clinique est ma raison de vivre, quelque part. C'est donc avec ce sourire sur les lèvres que j'hausse les épaules et que je lui réponds simplement. "You know, the perks of having friends working in the medical field is that we know", que je lui dis. Pas besoin d'en dire plus, je sais qu'elle comprendra. Giorgia est une femme passionnée par son travail et c'est pour ça qu'on s'entendait si bien elle et moi. Quand on est habité par la même passion, ça réunit forcément. "I told you I'd be able to please you", que je lui dis avec un petit sourire au coin des lèvres alors que mon regard tombe sur le menu des cocktails pour rapidement être attiré à nouveau vers la rouquine face à son compliment. "So do you", que je lui dis. "Nice and cold" Je ne suis pas le seul à avoir le bout du nez tout rouge. Pas étonnant vu les températures extérieures. "Okay so I was supposed to get you a drink" L'index vient tapoter le menton, concentré sur la liste des cocktails. "I'd say you look like the kind of woman who likes a good Cosmopolitan?" Et maintenant, je prie pour qu'elle ne rejette pas l'idée ou qu'elle ne grimace pas.

Giorgia m'a toujours impressionnée. Ce genre d'impression qu'elle laisse sur les petits internes à l'hôpital qui l'admirent et la craignent en même temps. C'est une femme de caractère et il n'y a qu'à voir la mère de mes enfants pour comprendre que j'aime ça, les femmes de caractère. Bien sûr, je ne suis plus ce petit interne impressionnable que j'ai pu être lorsque nous travaillions ensemble à l'hôpital, mais ce genre d'expérience laisse des traces et je sens que la taquinerie est encore plus de mise depuis que nous sommes - plus ou moins - sur un pied d'égalité. Je dis plus ou moins, car même au sein du domaine médical, il y a une hiérarchie silencieuse et les chirurgiens sont, bien entendu, au sommet de l'échelle. Autant dire qu'ils ne manquent pas de le faire remarquer à quiconque qui travaille avec eux, d'ailleurs. C'est peut-être cette petite arrogance que possède la jeune femme dont moi je manque, car elle m'embouche un coin quand elle dit comprendre pourquoi je ne suis pas marié, vu comment je flirte avec les femmes. Je me penche légèrement en avant, "First of all, if mariage was go great, I'm not sure you'd be here with me tonight", que je commence à lui dire. Petit sourire qui se forme sur mes lèvres, "Second of all, fuck you", que j'ajoute sur un ton totalement neutre, limite passif, histoire que ça ne soit pas violent car ça n'est pas le but. Niveau cocktail, je lui propose un Cosmo et j'attends son approbation. "That's the perfect way to describe you", que j'ajoute en hochant la tête. "You know what? We should ask them to edit the description of you on the hospital's website, I think you got here a great one. Doctor Rockfeller: strong, yet frutty" Le pire, c'est que je pense vraiment que ça peut bien la décrire. J'hoche la tête à sa question, "I'll get one yes. I like strong and frutty", que je dis en souriant. Je repose la carte sur la table et relève le regard vers la rousse. "Oh, there's not a lot to talk about", que je dis en haussant les épaules. "The clinic is the same as here, it's more like a.. New Yorker branch" Et dans une ville grande comme New York, ils vont avoir du boulot. "It's located in Brooklyn, I thought it was a neutral location there. You know; opening a solidarity clinic in Manhattan would have been a bit strange" Quelqu'un du bar s'approche de nous pour prendre notre commande : deux cosmos. Il s'éloigne et je regarde mon ancienne collègue, "By the way; I've been talking to this guy - Aguirre? He said you told him about the clinic?" Et il essaie de m'envoyer des patients, notamment lorsqu'il s'agit d'enfants ou de femmes qui n'ont pas les moyens se se payer les soins à l'hôpital.

Je ne peux cacher mon petit sourire lorsque la rousse semble étonnée par ma réponse. Pourtant, elle m'avait un peu tendue la perche, à me taquiner sur le mariage alors qu'elle se retrouve ici avec moi après une longue journée au lieu de rentrer faire la conversation à son petit mari. Faut croire que même après s'être marié, les emmerdes continues. Il fut un temps où ma plus grande envie était de fonder une famille ; dans le sens traditionnel. Me marier, avoir des enfants. J'ai eu des enfants. Je me suis fiancé. Ma fiancée m'a plus ou moins quittée pour son meilleur ami avant de se remettre avec moi puis avec lui puis à nouveau avec moi puis à nouveau avec lui. Si cette envie reste ancrée au plus profond de mon être, je pense qu'elle est un lointain souvenir maintenant. Rien que l'idée de m'attacher à quelqu'un me fait légèrement paniquer.C'est dire à quel point j'suis fucked up, maintenant. Mais lorsque Giorgia me parle de son futur poste, mes sourcils se soulèvent. "Head of orthopedics ?", que je répète sans cacher mon admiration. "Are you fucking with me, are you gonna be head of your department?", que je demande sans quitter la femme du regard. Je suis plus heureux pour elle qu'étonné, parce qu'il était certains qu'elle finirait dans ce rôle. Elle a le talent, le caractère mais surtout l'ambition pour. Je ris avec elle lorsqu'elle me dit que ma clinique sur la cinquième avenue ne serait pas tâche du tout et je secoue la tête, amusé. "Well, thank you for that", que je lui réponds à propos d'Adonis. Je prends mon verre et je viens le cogner contre le sien pour trinquer, "And cheers to that" Je bois une gorgée de mon verre. "So, what they say is true then", que je commence à dire sous forme d'interrogation alors que je repose mon verre sur la table entre nous. "You're either successful in your love life or successful with your career?", que je continue en mimant une légère grimace. Ouais, je suis curieux aussi d'en savoir plus sur sa vie privée.