Je n’ai pas pris la peine de m’intéresser au thème, mais personne ne sera surpris de ce fait, si bien que ma robe se contente de me plaire plutôt que d’entrer dans un dress code qu’une bande d’étudiants auraient pu déterminer pour moi. Mais c’est ma façon de fonctionner et ce depuis des années, il faut dire que je ne serais pas Wendy Witter si ce n’était pas le cas.

Alors c’est dans un drapé bleuté simplement retenu par une épingle, broche revisitée, que je m’avance vers la voiture que mon chauffeur a pris le soin d’ouvrir le temps de me voir arriver. Non, je ne lui ai pas imposé le fait de venir me chercher, de toutes les façons, je suis naturellement bien trop indépendante pour l’accepter. Puis je ne dirais pas que je suis atteinte d’humanité mais à la suite de notre discussion sur son budget il est passablement vrai que je me suis montrée clémente à son sujet. Sheng dirait que je m’adoucie au fil des années et ça me donnerait facilement des envies de gerber.

Par message, j’ai signifié à mon cavalier l’endroit où je comptais le retrouver de fait, lorsque je quitte ma voiture, je ne prends pas la peine de ressortir mon téléphone de ma pochette, mis en mode avion pour le reste de la soirée. Sans pour autant le justifier par une envie de ne pas être dérangée mais plutôt par le fait de m’accorder une pause dans mes responsabilités. Certains affirmeraient d’ailleurs qu’en ce moment c’est tout ce que je fais. Mais puisque je commande, j’ai tous les droits. Mes pensées finissent par s’étioler lorsque mon regard se pose sur mon cavalier, un faible rictus au niveau de mes commissures, presque sourire quand j’arrive à proximité, et avise sans tergiverser. « J’interdis toutes questions sur la biologie durant cette soirée. » Directive comme je sais toujours l’être, il reste tout de même un sourire parant actuellement mes lèvres, nous voilà donc tous les deux à arpenter Harvardville, et je me dois de souligner que j’exècre tout ce qui est champêtre.

I am not a muse
I am the somebody
End of fucking story.

Toujours un peu hébété par cette soirée, par cette invitation qu’il ne réalise toujours pas, se demandant bien le comment du pourquoi, l’érudit violet à pourtant pris parti d’en profiter. Ce soir, sur les conseils avisés de son cadet il s’est habillé mode bohème, d’une chemise en jeans à la griffe réputée sans trop chercher à briller, d’un prix que beaucoup considéraient abordable que parce qu’ils font partis de la middle class.  Ils se sont un peu saignés pour l’occasion, le plus jeune ne souhaitant pas voir son ainé être recalé à l’entrée pour faute de mauvais gout et de railleries dont ils sont pourtant habitués. Mais un génie n’a besoin d’une garde-robe étoffée, choisir chaque matin est une perte de temps qu’il s’épargne, mettant à profit les minutes gagnées à ses recherches au fin fond des labos de l’université. Pas de vie sociale, pas d’amis si ce n’est les quelques Kirklands qui au travers d’un écran échangent quelques mots en pleine partie pour mutuellement se féliciter à chaque tir réussi.

En guise de pantalon, il a choisi quelque chose qu’il pourra ressortir en d’autres occasions : un jeans qui le moule plus que de raison, guindé sur l’arrière mais c’est un critère qui à ces jeunes femmes semble plaire. Alors desserrant sans cesse sa boucle en se rendant au point qu’ils se sont tous les deux donnés, il n’a de cesse de triturer les boutons de sa chemise qu’il trouve un brin trop entrouverte, son allure qu’il qualifie en boucle de débraillée. Et plus il avance plus il se sent observé alors il referme une à une les pressions jusqu’à se retrouver à l’étroit, étouffant presque sous le poids de la panique qui commence à le gagner. De deux doigts glissés entre le textile et sa peau il tente de tendre le tissu qui appuie sur la trachée mais comme l’intello est borné, la logique d’ouvrir ne serait-ce qu’un bouton est escamotée.  

Et fort heureusement qu’il a eu le temps de remédier à son apparence un peu trop m’as-tu vu à son gout puisque la voilà qui marche jusqu’à lui, martèle de ses escarpins les dalles du sentier. « J’interdis toutes questions sur la biologie durant cette soirée. » Quelques détails sautent à ses yeux et il en oublierait presque la gêne dont il est sujet, sa respiration retrouvant un rythme plus léger. Même si l’idée le chatouille un peu, il ne se risquerait pas ce soir à la comparer à l’un de ces invertébrés belliqueux. Alors tout en lui présentant son bras à l’instar d’autres étudiants qu’il a pu observer en l’attendant, il lui propose « une trêve » et espère en contrepartie qu’aucune remarque ne sera faite sur le fossé qui les sépare, lorsqu’il se compare nécessairement à tous les autres qui leur passent à côté, tous bien fagotés par les plus grands couturiers.

Si ses yeux me détaillent, il est vrai que je lui rends la pareille. Les fautes de goût, je décide de ne pas les noter, de me faire violence, quand j’ai envie de me montrer piquante. Je préfère me concentrer sur l’effort, qui est plus que notable, au moins, il n’est pas venu affublé de cette blouse qui l’habille lorsque nous bossons sur nos projets.

Et puisque je viens de lui dicter le premier ordre en rapport direct avec la soirée, je m’attends à toute sorte de réaction, même celle qui serait de le voir me tourner le dos et rentrer. Mais il vient me surprendre – et ce n’est pas peu faire – en articulant deux mots afin d’approuver cette condition donnée. « une trêve » pas tout à fait, parce que de mon point de vue, en guerre, ne nous l’avons, jusque-là, jamais été. Cela dit, si c’est ce qu’il désire, ça peut s’arranger, seulement ce sera à ses risques et périls… Et pour le connaître un minimum, je suis prête à parier, qu’il serait le premier à vouloir signer un traité de paix. « Si tu le dis. » Fais attention, Dan, tout de même, je les aime un peu trop, ces jeux-là. Je suis méchante reine avant d’être princesse même lorsque je me présente dans un tel apparat.

Alors parce qu’il me tend son bras, j’en esquisse un faible rictus, déridant mes traits, au moment d’y déposer ma paume et de débuter à marcher en direction des tablées. « Je suis curieuse, comme tu le sais, » c’est un de mes vilains défauts, mais d’un autre côté, il est habitué à les côtoyer, parce que même si je suis excellente dans la matière que l’on partage, il est clair que de nous deux, je suis celle qui apprécie le plus parler. Pourtant bavarde n'est pas un de mes traits de caractères préférés, sauf que nos échanges, ils ne sont rythmés que parce que je m’attèle à les rendre plus intéressants que ce qu’ils ne le devraient, quand on y réfléchit, oui, il devrait me remercier, « à combien de bals tu es déjà allé ? » Pour le coup, si c’est un de mes amusements pernicieux, ça ne l’est que de moitié, parce qu’à la réponse à mon interrogation, j’y suis particulièrement intéressée. Convaincue que la différence sera de taille, car dans l’univers mondain parsemé de soirée, pour ma part, j’y suis née. Promis je ne me moquerais pas, ce serait trop mesquin, même pour moi. Après tout, c’est la trêve, n’est-ce pas ?

I am not a muse
I am the somebody
End of fucking story.

Tout est somptueux et si certains se sont habillés sur leur trente-et-un, le décor n’en reste pas moins à la fois sobre et élégant, champêtre et peu dispendieux, ce qui fout le Kirk un peu plus à l’aise que précédemment. « Je suis curieuse, comme tu le sais, » et c’est bien pour cette raison qu’il la tolère en tant que binôme de TD, parce qu’elle saura toujours pousser plus loin ses réflexions que les autres un peu moins intéressés par ce qu’ils font. Finalement, il n’est peut-être pas si mal tombé le jour où on la lui a assignée comme partenaire. « À combien de bals tu es déjà allé ? » La réponse est simple mais pourtant il ne souhaite pas d’emblée la donner, cherchant à éviter dans son silence le sujet. « Un vilain défaut. » Son pied se fait plus leste à mesure qu’ils approchent de ce qui est pour lui inconnu, accélérant dans l’optique de se réfugier à la table qu’on leur a assignée sans avoir à saluer tous les étudiants déjà présents. Plus ils seront en avance et moins ils auront de mains à serrer, de joues à frôler, de courbettes à céder. Mais parce qu’il sent le poids du regard de la rouquine sur lui, il se décide au final à lui dire : « Deux. » Mais est-ce une grosse perte que d’avoir loupé tous ceux auxquels il n’a pas voulu se montrer ? « En comptant celui-là. » Jusque-là il ne l’a jamais regretté, encore hanté par les souvenirs de son tout premier, une catastrophe qu’il n’est pas prêt d’oublier.  « Pourquoi ?»

Alors si les tables commencent gentiment à se remplir, il cherche des yeux celle qui est la plus excentrée en espérant y trouver les deux chevalets à leurs noms, histoire d’être tranquille une bonne partie de la soirée. Pas de danse, pas de toast, pas de prise de parole, le Kirk n’a rien d’un Dudley et il n’y a qu’au travers d’un micro, sa voix numériquement retransmise avec cette légère mutation, qu’il ne se sent à l’aise pour parler. Un peu plus loin, dans un petit groupe qui parade en se gaussant, il aperçoit son cadet aux cotés d’un autre étudiant. Lui au moins s’assume totalement, presque trop même lorsqu’il le voit se rapprocher légèrement de son cavalier. A cet instant, il ne sait si c’est cette proximité qui le dérange ou plutôt cette pointe de jalousie, envieux de cette bravoure dont il se sent complètement dépourvu lui.

Dans l’attente de sa réponse, mon regard se perd sur les décorations de la soirée, il est vrai que je n’arrive toujours pas à comprendre comment ce thème a pu gagner. De quelles façons les étudiants de cette université peuvent penser. Le côté simple, bohème et champêtre, c’est un étrange concept… Pour ne pas dire que oui, ça me débecte. Mais j’arrête mes réflexions, lorsqu’il vient rattraper mon attention. « Un vilain défaut. » Un parmi tant d’autres. Je suis loin de les avoir listés, même s’il paraît que j’en possède la majorité. Du coup pour toute première réaction, j’en roule de yeux vers le ciel, ayant envie de lui souligner que ce n’est là le sujet.

J’en ai un tic de nervosité, l’ongle de mon pouce griffant la pulpe de mon index tandis qu’il gagne du temps, et qu’il met à mal mon côté impatient. Le pire dans tout ça, c’est que je suis absolument certaine qu’il ne réalise pas, les efforts que je fais. C’est affligeant de le constater. Et puisque j’attends toujours, je me permets une œillade appuyée et de soupirer, quand tombe enfin la vérité, « Deux. » ok, je n’aurais jamais parié sur aussi peu. J’ai le jugement sur le bout de la langue, ça me fait comme des fourmillements tant ça me démange. « En comptant celui-là. » et je me vois dans l’obligation de la mordre cette fois. C’est difficile, face à un original tel que lui, de rester docile.

Je suis passée au mordillement de l’intérieur de mes joues quand il me questionne sur les véritables intentions de ma propre interrogation. « Pourquoi ? » Faire la conversation ? Probablement qu’il, qu’on, se sente moins con. Ou peut-être que dans son idée, on va passer la soirée à se regarder dans le blanc des yeux en silence. Enfin… Etant donné que son regard finit toujours par me fuir, même cette hypothèse semble compliquée. « Avoir des anecdotes contre toi ? » Je prononce en un sourire tout aussi angélique que carnassier, après tout, c’est d’une logique implacable lorsqu’on me connaît. Ce que je fais, c’est calculé dans le but de manipuler.

Mais dans l’idée où il ne comprendrait pas l’ironie dissimulée dans ma voix, je balaie mes propres mots d’un mouvement de doigts, « J’rigole. » peut-être, peut-être pas, mais autant ne pas casser cette folle ambiance tout de suite, « T’as le droit de te détendre. » Et de ne pas te sentir attaqué chaque que j’ose te parler. Cela dit, parce que je n’ai pas envie d’être énervée, je n’ajoute rien de plus, et laisse mes prunelles voguer sur les duos différents déjà présents, reconnais quelques silhouettes, l’invite d’une pression de ma paume restée sur son avant-bras et je prends encore une fois les devants. « Allons-nous asseoir. » Et entre les tables je nous guide, jusqu’à ce qu’apparaissent sous nos yeux, nos prénoms calligraphiés sur des petits cartons.

I am not a muse
I am the somebody
End of fucking story.