12 mai 1989, Canberra, Australie. Ma date de naissance. Autant vous dire que je n'ai aucun souvenir particulier de ce moment. Juste des souvenirs qui m'ont été raconté par d'autres personnes. Si vous voulez vraiment tout savoir, je viens d'une famille métissée. Il n'y a rien qu'à voir mon père pour comprendre. Nehemiah Capelini, une quarantaine d'années, employé administratif, italien. On ne peut pas vraiment dire qu'il a eu énormément de chance dans la vie. Pourtant, ce n'est pas un homme mauvais. Je dirais même que c'est quelqu'un de profondément bon. Ce qui l'a amené en Australie? Un amour de jeunesse. Et Dieu sait ce qu'il a du travailler dur pour se payer le billet d'avion. Tout comme il a eu très dur de se construire une nouvelle vie à Canberra. Mais tant que l'amour était présent, il y arrivait. Tout allait très vite pour mon père mais il s'acclimatait tout aussi vite. Quelques mois après son arrivée sur la terre des kangourous, il était déjà marié et un enfant était en route. Mais loin d'avoir peur des engagements, il avait pris ses responsabilités, accumulant les petits jobs afin de subvenir aux besoins de sa future famille. L'amour lui faisait vraiment pousser des ailes. Tout aurait pu aller pour le mieux. Mais Nehemiah n'était pas né sous une bonne étoile. Le jour de l'accouchement, sa vie bascula. Alors que sa femme mettait au monde un beau petit garçon, elle perdait en même temps la vie. Mon père se retrouvait donc veuf, avec un enfant à charge. Cet enfant, c'est mon frère -ou plutôt mon demi-frère- Pablo. Pablo est de quatre ans mon aîné. Pour lui aujourd'hui, tout va pour le mieux. Il est devenu avocat, marié et père d'un adorable petit Timeo, 5 ans dont je suis aussi le parrain. Mais revenons à mon père une vingtaine d'années plus tôt. Charmant comme il était, il n'eu aucun mal à rencontrer d'autres femmes. Dont une avec qui il vécu une belle histoire d'amour: ma mère. Everleigh, americo-australienne. Mon père se maria une nouvelle fois. Une nouvelle fois, il eut un enfant: moi. Je suis donc né un 12 mai 1989. Ma mère et moi nous portions parfaitement bien. Mon père pensait qu'enfin la chance avait tourné. Il pensait. Mais tourne-t-elle vraiment un jour?

Canberra, 1991. 'Tu... QUOI? Everleigh, tu me fais marcher. Arrête ça tout de suite chérie, c'est pas drôle' Sauf que ma mère ne blaguait pas, loin de là. A cet instant elle venait de plaquer mon père, lui révélant par la même occasion son homosexualité. Un choc pour mon père qui se retrouvait une nouvelle fois seul avec ses deux fils. J'avais deux ans et j'étais encore trop petit pour comprendre. Trop petit pour me douter que c'était la dernière fois que je voyais ma mère. Trop petit que pour savoir qu'elle nous abandonnait pour partir vivre en Amérique avec sa conquête. Et plus les jours passaient, plus je me demandais quand elle allait revenir. Parce que mon père avait beau me dire qu'elle était en voyage, je trouvais son voyage vraiment long. 'Elle va revenir maman. Dis Pablo, elle va revenir?' Cette question je l'avais posé à Pablo. Il avait six ans, j'avais déjà beaucoup d'admiration pour lui et puis c'était un grand pour moi. Pour moi, il savait. Et en effet, Pablo m'avait expliqué. Expliqué qu'il y avait très peu de chance pour que ma mère revienne. Alors j'avais pleuré, simplement. A deux ans, que peut-on faire d'autre de toute façon?

Canberra, 1993. Cela faisait deux ans que ma mère avait lâchement abandonné mon père. Deux ans. Et pourtant mon père semblait parfaitement s'en être remis. Il avait d'abord passé quelques mois à s'occuper de nous. Il ne vivait plus que pour nous. Jusqu'au jour où il l'avait rencontré. Elle. Une vendeuse de fast food. Elle était belle, gentille, souriante. Elle avait tout pour elle et elle venait de s'emparer du coeur d'artichaud de mon père. Cette fois-ci pourtant il ne s'emballa pas. Pas de mariage précipité. Juste une belle histoire. Il avait attendu un an avant de nous la présenter et elle avait fait l'unanimité. Elle avait tout d'une mère poule et nous l'avions très vite adoptée. 'Pablo, Santino, nous voulons vous parler' Du haut de mes quatre ans, je m'étais dirigé vers le sofa et j'étais monté sur les genoux de mon père. Nous parler? De quoi? J'étais curieux. Ma curiosité avait d'ailleurs été de courte durée. 'Inaya est enceinte' Enceinte. Cela voulait dire que nous allions avoir un petit frère ou une petite soeur. Pour moi c'était une excellente nouvelle. Pablo n'était pas de cet avis. Il pensait qu'Inaya finirait par nous abandonner, comme toutes les femmes qui avaient comptés pour notre père. Mais ce ne fut pas le cas. Inaya accoucha d'une petite Jayleen au grand bonheur de mon père. Nous ne l'avions jamais vu aussi heureux. Nous formions une belle famille à nous cinq et notre bonheur semblait solide cette fois-ci.

Canberra, 1997. Santino se moque réellement de moi. Il invente n'importe quoi sur ses copies. 10 pour l'imagination. Mais ce n'est pas ainsi qu'il va avancer. Remarque écrite par mon instituteur. J'avais 8 ans et cette année là, je n'avais pas décidé de me rebeller et de me moquer de mon professeur. Loin de là. J'avais seulement un mal fou à lire ce qui était écrit au tableau. Devant moi, tout devenait flou. Mais j'étais trop réservé pour en parler à cet instituteur qui me faisait un peu peur. Donc à chaque fois qu'il me rendait une copie, il me sermonnait. Ce jour-là, il avait voulu alerter mes parents. Mon père n'avait pas bien pris la nouvelle et c'est Inaya qui s'était chargé d'essayer de comprendre. 'C'est flou devant moi. Sérieusement Inaya. J'vois rien. Fais quelque chose stp, maman' Maman. Le mot était sorti tout seul. C'était la première fois que je l'utilisais. Mais après tout je considérais Inaya comme ma mère. C'était elle qui m'élevait avec mon père, elle qui me calinait quand je n'allais pas bien, elle qui était là. Elle avait été émue, m'avait serré fort dans ses bras. J'avais eu le droit à une visite chez l'ophtalmologue puis à une paire de lunettes adaptée à ma vue. Myope. Voilà ce que j'étais.

Canberra, 2001. Une graine d'artiste. Passionant et passioné. Très joli compliment de ma professeur de solfège. J'avais douze ans et je passais mon mal être dans la musique. Le boutonneux à lunettes qui récoltait de bons résultats, c'était moi. Celui qui se faisait moquer de lui, c'était encore moi. Alors quand mon père m'avait proposé de faire un sport, je n'avais pas choisi le karaté, comme Pablo. Non, moi j'avais préféré me tourner vers la musique. J'avais commencé par apprendre le piano et très vite je m'étais tourné vers la guitare. J'avais économisé longtemps les dimanches que mon père me donnait afin de m'en acheter une. Depuis, je jouais régulièrement le soir dans ma chambre. La musique était mon échappatoire même si je ne me voyais pas en faire ma vie. Ce n'était qu'une passion. Pour le reste, je ne savais pas encore vraiment dans quel genre d'études je me lancerais. J'avais encore du temps devant moi de toute façon.

Canberra, 2005. 16 ans et la rebellion. Depuis quelques temps je n'étais plus cet être renfermé. J'avais rencontré des adolescents de mon âge qui étaient devenu mes amis. Et qui me poussait à aller au delà de mes limites. Alors qu'autrefois j'aurai été le premier à rentrer pour travailler, à cet époque je traînais plutôt avec eux. Dans la rue et en soirée quand l'occasion se présentait. Les plus vieux s'arrangeaient toujours pour nous apporter de l'alcool et je ne compte plus les fois où j'ai terminé la soirée complètement bourré. J'essayais toutes les expériences possibles et inimaginables, notamment les cigarettes et la drogue. Mes parents ne savaient plus quoi faire pour me raisonner. Un jour, alors que j'avais passé une de mes soirées avec mes amis, je rentrais, complètement malade. Mon père me conduisit de suite à l'hôpital. Il se trouvait que je n'avais pas supporter la drogue que j'avais fumée. Ajouter à cela le peu d'heures que je dormais, le fait que je mettais un point d'honneur à bosser les cours et à passer mes années, et l'alcool que j'avais ingurgité ce jour là. Je n'étais pas beau à voir. Il fallait réagir et vite. Mes parents n'avaient pas l'argent pour m'envoyer en cure de désintoxication. Mais j'eu quand même le droit à un suivi psychologique. Je pensais que cela ne servirait à rien. C'est dans la salle d'attente de ce psychologue que je la rencontrais. Une demoiselle de mon âge qui accompagnait son petit frère. Elle était resplendissante. Nous avions parlé et j'avais fini par oser l'inviter à boire un verre. Elle avait accepté. Pour elle, j'eu cette volonté de redevenir le jeune homme que j'étais. Elle faisait de moi un homme meilleur. Notre histoire dura deux ans. Deux belles années. Mais elle me quitta pour un autre jeune homme, plus vieux. J'en eu le coeur brisé. Prendre la fuite me sembla la meilleure des décisions. J'avais 18 ans et je postulais pour Harvard.

Canberra, 2007. 'Felicitation, tu as le droit à la bourse!' Je sautais dans les bras de Jayleen, ma petite soeur, l'entrainant dans une danse endiablée. La bourse pour Harvard, j'en avais rêvé. Si bien que je n'avais pas osé ouvrir la lettre de réponse. Jayleen, ma petite soeur, s'en était chargé pour moi. Partir dans un autre pays pour faire mes études, c'était ce que je souhaitais le plus. Maintenant, je savais que ma famille me manquerait. Mais ce choix m'était vital: j'avais besoin de renouveau, besoin d'oublier mon premier amour. Harvard, c'était l'unique chance de tout recommencer à zéro. Et à une nouvelle vie, nouveau corps: je laissais pousser mes cheveux, troquait mes lunettes contre des lentilles et commençais le sport. On ne savait plus me tenir en place. Sur un coup de tête, j'usais le peu qui me restait d'argent en un tatouage: un tribal dans le dos. J'étais enfin prêt à débarquer ailleurs.

Harvard, 2013. 6 ans que je suis ici. Je poursuivis ma sixième année en double cursus. La psychologie premièrement. Au départ, j'ai choisi cette branche un peu par hasard. Et je me suis vite rendu compte que cela me passionnait. Je m'épanoui dans ce domaine. Ensuite j'ai choisi en mineur langue&culture italienne, pour mon père. De cette manière, cela me rapproche un peu de mes origines. En plus de mes études, je suis devenu un étudiant assez fêtard. Don juan, j'accumule les conquêtes, faisant tout mon possible pour ne jamais m'accrocher. Les peines de coeur? Je ne connais plus. Et c'est bien mieux ainsi.