J'avais réglé ma vie comme du papier musique. Pour qu'au final, un tsunami sans précédent s'abatte sur moi, me noyant un peu trop au passage. J'acceptais pas. Ça sonnait faux, tout ça. Elle pouvait pas être morte. Elle pouvait pas se trouver dans ce tiroir réfrigéré de la morgue. Et pourtant, je l'avais identifiée, dans la douleur. Comme quoi, quand tout va bien, ça ne dure jamais longtemps. La malédiction de Gwenaëlle. Quand ça va, tout fout le camp, et si c'est pas moi qui fait foirer les plans, c'est mon karma. Sale pute.

J'ai oscillé toute la nuit précédente entre sommeil léger et sursauts de panique, crises de larmes et crises de rage, sur le pas de la porte de la caravane de mon père, qui n'a sans doute pas dormi plus longtemps que moi. Lukas parlait avec lui, et je parlais aux deux. Lukas devait ramener Miaouss et Goku, ainsi que quelques affaires que je lui avais demandées.

Rester enfermée, c'était trop dur. C'était synonyme de penser, et penser était bien la dernière chose que je voulais faire. Blue Hills était magnifique à cette période de l'année, et pourtant, je ne pouvais pas vraiment me concentrer là-dessus. Ma tête baissée entre mes genoux, une grosse tête baveuse venait à ma rencontre en m'arrachant un très léger sourire. Lukas était arrivé, avec ce qu'il me restait d'elle. Un parfum, un t-shirt et le chat. Je levais mes yeux qui avaient perdu de leur superbe dans sa direction. « T'as vu.. » dis-je, voix qui déraille. Puis je pose les yeux sur les affaires qu'il a rapportées. « Merci, Lu... » puis je posais les yeux sur mon père. « Tu veux faire venir Us et Feelgood ? » demandais-je alors, parce qu'ils font partie de la famille, eux aussi.

Depuis la veille, Mark ne savait pas où se mettre. Et pourtant, il faisait sincèrement de son mieux. Apprenant son rôle paternel sur le tas dans la pire des situations possible : une tragédie. Il n’avait pas dormi ou presque pas cette nuit-là. N'ayant qu'un lit, ils avaient dormi ensemble et comme pour une petite fille en plein cauchemar, Mark avait été là. Avait pris sa fille dans ses bras quand elle s’était mise à pleurer, avait marché avec elle, même si c’était 100 pas derrière, pour vérifier qu’elle ne se perde pas dans la nuit ou ne fasse pas de connerie. Maintenant c'était le matin, et rien n'était tellement mieux que la veille, il y avait une sorte de léthargie de tristesse qui règnait sur la caravane. La voyant assise au sol, et s’approchant de la jeune femme sur le pas de la caravane, il vint lui amener un café et déposa un baiser sur le haut de sa tête.

Un soupir abattu échappant à ses lèvres, il s’alluma une cigarette lorsqu'il vit arriver Lukas et les animaux. Mark aussi eut un petit sourire mal à l’aise. Il ne savait pas comment réagir, comment se comporter… Il serra la main de Lukas et inspira profondément. « Salut... » dit-il avant de regarder autour de lui. « J’aime beaucoup cet endroit oui…  » dit-il en opinant doucement pour le remercier du compliment sur son lieu de vie, même si il n’y était pas pour grand-chose quant à la beauté de cette forêt. Bisou était venue saluer Goku et lui faire une fête car elle ne l’avait plus tellement vu depuis le chenil. Mark entra dans la caravane et mit le chat dans la chambre, fermant la porte pour qu’il ne s’échappe pas dans la nature et que les chiens ne viennent pas l’embêter. Il lui mit de l’eau et une boîte de thon, autant le gâter un peu le matou.

Inspirant profondément, il revint et servit un café à Lukas qu’il lui tendit en ressortant. « Tiens… » Il inspira profondément et souffla la fumée dans l’air, le regard fatigué. Baissant les yeux lorsque sa puce prit la parole, il eut un petit sourire. « C’est comme tu veux ma belle… Tu me dis. Je peux les appeler si tu as envie. Moi c’est comme tu préfères toi…» dit-il en s’accroupissant devant elle pour la regarder dans les yeux.

@Lukas O. Spritz @Naëlle Underhill-H

C'est un sentiment horrible, cette perte totale de contrôle. C'était comme si j'étais redevenue une enfant, exit la femme forte qui garde toujours la tête légèrement hors de l'eau, pour prouver qu'elle peut s'en sortir seule. Et pourtant, cette fois, j'étais vraiment en train de me noyer dans ce torrent d'incompréhension, entraînant du monde sur mon passage. J’entraînais mon père dans cette douleur qu'il a du mal à surmonter encore, j'entraînais la cousine d'Helina, sa famille entière dans ce même désespoir, comme un boulet lesté à leurs cheville à tous. Et le pire, c'est ce sentiment de culpabilité que je garde au fond, d'avoir été au téléphone avec elle à ce feu rouge alors qu'il passait au vert. Peut-être que sans moi, elle aurait entendue, cette bagnole qui fonçait. Et c'est pire encore. J'attrapais la tasse de café que le vieux me tendait, avec un léger sourire. « Merci, papa. » articulais-je, la voix éraillée.

J'écoutais ce que se disaient mon meilleur ami et mon père d'une oreille distraite, et ce malaise qui dominait en maître dans cet espace si vaste. Ma main restait sur le poil dru de Goku, puis finalement, c'est Bisou qui venait à son tour quémander son dû affectif, avant de retourner jouer avec son copain géant du refuge, visiblement heureux lui, de pouvoir se dégourdir les pattes à son aise dans une si grande étendue. J'attrapais mon paquet de cigarettes presque vide pour en sortir un bâton de cancer à mon tour. Puis je levais les yeux vers Lukas, qui ne m'avait jamais vue fumer. « J'avais arrêté. J'arrêterai encore. » soufflais-je alors, en même temps que la première salve de fumée. J'hochais finalement la tête devant le vieux. « J'veux bien. Au moins, Us va te faire sourire, et Marsh' va me rendre un peu moins...léthargique. » puis je relevais encore une fois les yeux vers Lukas. « S'te plait mec, fais comme d'habitude. Raconte moi des conneries, ce genre de choses. J'ai besoin de... » dis-je en mimant avec mes mains l'évacuation de mes pensées négatives. « De penser à autre chose, d'accord ? » dis-je en posant mes lèvres sur la tasse de café.

Mark ne s’était pas attendu à ce que la jeune femme ait envie de voir du monde mais il ne serait certainement pas celui qui l’empêcherait de faire exactement ce qu’elle voulait à la suite des derniers évènements, bien au contraire. Il envoya un message à Us et à Marsh pour leur proposer de passer à la caravane quand ils en auraient l’envie, leur expliquant que la jeune venait habiter un moment chez lui… Bien sûr, ils étaient déjà au courant de la tragédie mais pas forcément que la demoiselle restait chez lui. Une fois les textos envoyés, les tasses distribuées, il alla pour s’allumer une cigarette lorsque Lukas proposa de faire écouter sa musique. Rangeant la cigarette temporairement derrière son oreille, il se détourna et revint avec un lecteur CD. Lukas n’avait pas totalement tort, à part son ordi – qui avait un son dégueu – le lecteur CD était la seule chose avec un son correct. « Pourquoi pas… » dit-il avec un léger sourire à Lukas. Même en réunion, Lukas ne parlait pas tellement de sa musique alors Mark avait finalement compris assez tard quel était son métier.

Il brancha la petite sono avant de s’asseoir près de sa fille et d’embrasser sa tempe avant de venir s’allumer une cigarette. « Ma warrior à moi... » dit-il avec beaucoup de tendresse dans la voix et dans le regard. Cela se voyait que ce n’était pas parce qu’il n’avait pas été là pour son éducation qu’il ne la considérait pas comme sa môme, bien au contraire. « Dis-moi si t’as faim ou soif ou quoi que ce soif ok ? Je demande juste une bonne fois pour toutes histoire de pas te courir après comme un vieux chieur à te poser la même question toutes les cinq secondes... » dit-il avec un petit sourire amusé.

@Lukas O. Spritz @Naëlle Underhill-H

Voir du monde était encore le meilleur moyen de ne pas sombrer encore plus profondément dans la douleur qui m'arrache les tripes. Une partie de moi était sûre que la connaissant, elle n'aimerait pas me voir aussi triste, moi qui riait toujours de tout il y a quelques jours à peine. Je dirais même, quelques minutes avant que tout ne bascule dans l'obscurité. J'essayais vraiment de ne pas laisser planer ce mal au dessus de nos têtes, je voulais vraiment qu'ils agissent tous le plus normalement possible. Surtout Lukas, mon père étant trop impacté par ma douleur pour ne pas la prendre, lui aussi. Tirant sur ma clope, je laissais échapper un léger rire sur les chemises à carreaux qu'il a ramenées. J'en attendais pas moins de lui pour rendre l'atmosphère moins pesante. « J'vais revenir avec des bras plus gros que tes jambes, ver de terre. » me moquais-je doucement, avant qu'il n'évoque l'enregistrement de cette semaine, auquel je ne me suis pas rendue, contrairement à nos engagements tacites. « Allez. T'as enregistré avec qui, du coup ? » Il croyait vraiment que le vieux, parce qu'il vivait dans une caravane dans une réserve naturelle n'avait rien qui puisse s'apparenter à de la technologie, et ça m'arrachait un sourire amusé. Je posais ma tête un instant sur l'épaule de mon paternel, en signe affectif ou de remerciements, je ne sais pas trop. Quoi qu'il en soit, malgré qu'il n'a pas eu le choix d'être absent ces vingt-six dernières années, il est bien plus présent que quiconque du côté Hoover. Je posais ma main sur son genou avec un sourire. « T'inquiète pas, d'accord ? » Je m'étais habituée, puis il m'avait assez répété que j'étais ici chez moi pour oser pouvoir me servir si l'envie me venait. Finalement, mes yeux se reportaient sur Lukas, qui enclenchait enfin le son qu'il avait enregistré.

Mark opina doucement en caressant le dos de sa fille. Il faisait le papa inquiet oui, il ne pouvait ni ne savait faire autrement. La plupart des pères avaient l’adolescence pour prendre leurs distances avec tout ce que vivaient leurs filles mais lui n’avait pas eu ce « luxe » là, il devait faire comme il pouvait dans le pire des contexte possibles, la mort de la bien aimée de sa fille. Heureusement, il ne devait pas gérer cela seul à cet instant précis car Lukas était là et la complicité entre les deux jeunes était parfaitement palpable. Il était heureux de voir un peu d’humour même glisser dans leurs paroles, jusqu’à ce que Lukas propose de faire écouter sa musique. Donnant une gratouille à Goku, il écouta le morceau en silence, plus concentré qu’il ne l’aurait été en d’autres circonstances car il voulait vraiment avoir un moment hors de cette noirceur qui les envahissait depuis la veille. « C’est franchement canon Lukas… ça a beau pas forcément être ma came de base, c’est assez dingue que ce soit toi qui ait fait ça… » Ce n’était pas forcément la manière la plus délicate de dire les choses mais cela voulait simplement dire qu’il ne s’imaginerait jamais écouter quelque chose d’aussi pro venant d’un proche. Il avait toujours du travailler avec ses mains pour vivre alors ceux qui vivaient d’un art – même Naëlle – cela lui semblait toujours un peu irréel, comme si toutes les célébrités qui vivaient de leur art venaient d’un monde parallèle. « Bravo en tout cas, c’est vraiment cool. » ajouta-t-il avec un sourire avant de s’étirer un peu. Il se leva et jeta une balle à Bisou qui avait visiblement envie de jouer.

@Lukas O. Spritz @Naëlle Underhill-H

On peut pas lutter contre le destin. Même si on riait il y a peu, ça s'était déchaîné sur moi, comme un tsunami que je regardais m'engloutir de toute sa masse. J'avais du mal à comprendre la réalité et pourtant, elle me rattrapait un peu plus tous les jours. Au départ, j'avais dans l'idée que c'était un cauchemar, que j'allais me réveiller. Puis le deuxième jour, ça n'avait aucun sens, le troisième, j'en arrivais à douter de son existence, et aujourd'hui, je sais que tout est terminé, qu'elle ne reviendra pas, que je suis impuissante et que j'entraîne beaucoup trop de monde dans ma descente aux enfers. Je veux juste une lueur dans mon obscurité, ce petit rayon lumineux qui me montre qu'au bout du tunnel, il y a une issue, que rien n'est encore foutu. J'esquissais un sourire à l'attention de Lukas. « C'est pas comme si tu avais eu l'envie de me rappeler pour aller à la salle. » dis-je en plaquant ma main avec un minimum de force sur sa nuque, avant de rire légèrement. J'hochais simplement la tête quand il m'expliquait qu'il avait enregistré seul et que Sum et Neal s'occupaient de lui pour ce soir. « Si t'as besoin pour le montage...tu sais où me trouver. » dis-je en souriant doucement, avant de me concentrer sur son nouveau son. « Ouais, ça claque mon pote. Congrats. » dis-je en levant mon pouce en l'air.