Ce rendez-vous me fait passer par tous mes états. J'ai envie de rire comme d'hurler. Je déteste être aussi impulsive quand on me joue des tours de la sorte. Ça devrait juste me faire rouler les yeux et quitter le bureau aussi vite que j'y suis entrée. Je ne supporte pas être dupée et comment voulez vous que je lui fasse confiance après ça ? Pourtant, je reste là et écoute ses plans. Je peux être certaine de quoi ? Qu'il va s'implanter dans le monde ? Avec la conjoncture économique actuelle, on n'est jamais sur de rien. " J'y croirais quand je le verrais de mes propres yeux " Que je  lance parce que j'ai envie de mettre de la distance et de lui faire croire que tout ça, toutes ces promesses, ce ne sont que des paroles. On ne risquera pas quoi que ce soit si les chiffres ne sont pas là. Comme toute entreprise, nous avons besoin sécurité financière et d'être sûre que toute alliance est lucrative. Je ne travaille pas pour une oeuvre de charité. Et Wesley non plus. Nous avons tous les deux les meilleurs intérêts de nos entreprises et c'est pour cela que cette réunion risque de durer quelque peu. Je rêverais de l'écourter et rentrer chez moi pour balancer le vase immonde qui trône sur la table de mon salon depuis plusieurs semaines. Mais non. Je suis impulsive, je réagis au quart de tour mais si je suis encore ici, c'est parce que je sais que c'est important, que ça pourrait nous rapporter gros.  Nous sommes là pour les détails. Oui. Mais non. Nous sommes là pour discuter de l'idée, du projet et jauger sa viabilité. Ni lui ni moi ne sommes avocats. " Taux d'occupation ? Les prix varient selon les saisons. Quel type de chambre ? Qui paye les bavures et les consommations des mini bars ? " Que je réponds en le regardant, tapotant mon stylo sur ma feuille. " Nous savons tous les deux que les grands noms sont toujours ceux qui abusent le plus des bonnes choses " Si un couple d'anglais se permet deux nuits dans nos plus belles suites, c'est pour fêter quelque chose. Alors ils sont méticuleux et rendraient presque la chambre plus propre à leur sortie qu'elle l'était à l'entrée, si cela était possible. Les grands noms, les riches de ce monde, les partenaires de P-Industries seraient peut-être plus tentés à faire de cette suite le bordel d'une nuit, la pause tant attendue dans leur vie si stressante et leur mariage bancal. En tout cas, il y a des milliers de questions, certaines auxquelles je ne pense pas forcément, mais une nouvelle question - bien plus personnelle - se glisse entre les lèvres de Wesley et mon calme retrouvé tourne à la tornade en un claquement de doigts. Si j'avais réussi à me contenir et à vraiment m'intéresser à tout cela, c'est foutu. Il a tout foutu en l'air. Comme n'importe quel homme que je croise, il y a toujours un problème. On ne mélange pas le privé et le professionnel sinon ça finit par faire des étincelles. Je suis excédée par tout cela. Cette demande. Mais surtout la manière dont il l'a formule. Et le fait qu'il ait demandé son avis à mon frère ! On est plus en 1750, à ce que je sache. Je suis debout, à récupérer mes affaires et je l'entends dire qu'il a demandé à mon frère si j'avais quelqu'un. Je ris légèrement. " Et mon numéro, tu l'as pas ? Mon frère n'est pas ta source de renseignement en ce qui concerne ma vie privée. C'est compris ? " Que je lance avant de m'affairer à récupérer mes affaires. Je ne sais même pas pourquoi je suis toujours là, à essayer de trouver une raison logique à tout ce qui est entrain de se passer à ce moment même. Je déteste être prise pour une idiote et il le fait deux fois en une vingtaine de minutes de conversations, grand maximum. Je le regarde et mords ma langue pour ne pas être trop excessive. Inspire, expire Ella. Tu peux le faire. Mais quand j'ouvre la bouche pour dire que le bal, c'est différent, je ne peux que lui tourner le dos pour essayer de me ressaisir. Je ne suis pas douée avec mes sentiments mais je n'ai pas envie qu'il en profite. Sa main se pose sur mon épaules et je soupire fortement. Il appuie là où ça fait mal. Alors qu'il paye les conséquences de ses actes. Il s'est mal exprimé. Bien. Ravie pour lui. Et que veut-il maintenant ? Que ça m'aille, que j'hausse les épaules et lui saute au cou pour accepter cette proposition idiote ? Je ne suis pas née de la dernière pluie. Il n'est pas idiot. Il est juste complètement con. Je pivote et son sourire me rend encore plus folle. C'est un compliment. Peut-être. Ou peut-être que j'essaye juste de lui faire comprendre qu'à part sa trombine, il n'y a rien à garder sur le bonhomme ? Bien sûr, ça serait un mensonge et je ne mens pas. Sa main sous mon menton, je relève les yeux et le fixe quelques secondes. " Et ça te vient d'où cette envie d'être là pour moi au juste ? Tu t'es réveillé ce matin et tu t'es dis "allons, soyons là pour Ella". C'est pas comme si on était meilleurs amis Wesley " Que je souffle en levant les yeux au ciel. " Je ne sais pas ce dont j'ai envie " Et c'est bien la première fois que ça m'arrive en vingt sept ans. Je suis partagée. Je sais qu'on fera tourner plus d'une paire de tête si on débarque tous les deux mais est-ce que j'ai envie de sortir ce soir là ? Ma soirée en pyjama à regarder High School Musical et boire du champagne, tout en mangeant de la glace Ben&Jerry's était aussi une soirée de qualité. " Je n'ai jamais mis les pieds au bal de l'université. 2017, je n'étais pas étudiante et puis… 2018 et 2019 " Jamais deux sans trois. Je pense que je n'ai jamais dis à qui que ce soit que je n'y ai jamais mis les pieds. J'ai fais les boutiques avec mes amies, achetée des robes à faire jalouser toute la populace harvardienne mais ça s'est toujours arrêté là. Il y a tellement eu de choses après le décès de mon père. Dimitri, l'entreprise, la détresse de ma mère. Je suis toute bouleversée à l'idée d'y penser. Voilà pourquoi ma carapace est ma meilleure amie. " Si tu utilises quoi que ce soit que je viens de te dire contre moi, je te jure que je te ferai regretter d'être venue au monde Wesley. Tu m'as bien comprise ? " Quand les sentiments me submergent, c'est vers Dimitri que je me tourne mais là, c'est Wesley que j'avais sous la main. Un léger sourire se glisse sur mes lèvres. " L'idée de te gifler… " Me fait vibrer. Mais je me tais. Il est hors de question qu'il me déstabilise un peu plus. " Je ne dis pas oui, je ne dis pas non. J'ai besoin d'y réfléchir. C'est pas comme si tu avais besoin d'un plan B, de toute façon, n'est-ce pas ? " Et comme une fleur qui voit le soleil, je me redresse. Il y aura peut-être un double partenariat à la fin de cette entrevue, qui sait ? " Par contre, sérieusement, mon frère ? Je te pensais plus direct que ça " Je ne les pensais pas si proche ces deux là. Je n'aime pas les hommes qui vont par quatre chemins pour avoir ce qu'ils veulent. Je les préfère direct, puissant, qui vont droit au but.