caractèreElle vacille à droite, elle tangue à gauche. Elle titube sur la corde raide. Pile ou face ? Sous son épiderme hâlé, le sang chaud de la colombie et l'indifférence parisienne cohabitent mais il n'y a aucune bataille. L'un s'affirme quand l'autre se tait puis s’apaise et laisse à nouveau sa place. Elle est le parfait archétype de la petite bourge vêtue chez Gucci, chaussée chez Manolo Blahnik et parfumée d'une goutte de Guerlain, immanquablement. Elle a l'élégance des femmes françaises, leur accent harmonieux et cette attitude gracieuse tant enviée au-delà des frontières de l'hexagone. Elle a du caractère, elle le tient de ta mère, une lionne affranchie. Elle masque ses crocs sous son rouge à lèvres carmin pour attendrir l'assemblée. Elle est indomptable, audacieuse, merveilleuse. Elle a des rêves et des espoirs plein la tête et la capacité infinie de tous les mener à terme. Elle est méfiante de nature, conditionnée depuis son plus jeune âge à se tenir à distance des conflits d'intérêts. Pourtant, elle est profondément loyale, presque trop et elle n'hésite pas à se mettre en danger pour sauver les peaux des corps qu'elle aime sincèrement. Son cerveau ne lui laisse aucun répit, elle pense trop et pour apaiser ses angoisses elle plonge dans les vieilles pages de ses bouquins, parfois dans les lèvres de ses amants, de ses amantes aussi peu importe, pourvu qu'ils aient le pouvoir de la faire désobéir à son bâillonnement.

admission à harvardTu as étudié au lycée parisien Henri IV jusqu'à obtenir ton bac scientifique avec mention. La médecine était déjà une évidence quand gamine tu auscultais tes ours en peluche, ton stéthoscope rose pailleté enroulé autour de ton cou. Peut-être est-ce la faute à ton besoin de tout contrôler si cette ambition est née de réparer les corps malades, de tout remettre en ordre. Pour tes études de médecine, tu avais le choix. Acceptée à Yale, Stanford, Harvard et l’université de la Sorbonne à Paris. Tu n'as pas hésité longtemps, comme à ton habitude tu ne laisses aucune place aux doutes. Ce serait Harvard pour rester près de ta mère qui avait déjà rejoint Salem avec toi cinq ans plus tôt, séparation conjugale oblige. Tu as passé les tests sans aucune difficulté, tu excelles parce que tu es passionnée. Tu mémorises ce que tu vois, ce que tu lis et entends, un engrenage infernal et ingénieux baignant dans d'infinies connections nerveuses. Ta famille française, riche de son patrimoine te paie tes études avec fierté et bienveillance. Aujourd'hui ce ne sont plus tes peluches que tu apprends à soigner,  mais bien de vrais patients. Tu le sais, plus que jamais ton rêve est au bord de l'atteignable.  

story of my life
first part - esa mocosa no va a ninguna parte ₰ (colombie)

• L'air vient gonfler tes poumons pour la toute première fois et toi tu pleures, tu hurles en écorchant ta paume de tes doigts frêles. Ta peau nue, neuve que personne ne viendra réchauffer. Sois tranquille Daesyn, tu oublieras, personne ne se souvient jamais de ça. Tu peines à laisser la lumière trop vive traverser tes yeux sombres, ton regard déjà si noir sans personne devant pour l'accrocher. L'insécurité d'abord et la survie ensuite. C'est comme ça que tu es venue au monde : seule. Un cri rauque déchirant le silence assourdissant face à un dos encore engourdi qui se retourne déjà, qui prend le large, en marge et qui ne reviendra pas. Merci maman, adieu maman. • Une orpheline, voilà ce que tu es Daesyn. C'est tout, ni plus ni moins et ça suffit à te définir, à te loger dans une grande bâtisse remplie de petits êtres abandonnés eux aussi. Les astres ont manqué leur cible, toi tu es toute seule mais ça ne te rend pas triste. Non, tu ne souilles pas ton oreiller de larmes quand il est l'heure pour les monstres d'ouvrir les yeux sous vos lits. Toi, tu hausses les épaules mollement après tout pourquoi tu aurais mal ? Comment l'idée même d'une famille pourrait te manquer puisque tu n'en connais même pas le parfum ? Ils disent qu'on ne tardera pas à venir te chercher, que ton visage poupin fera son effet. • Il a fallu deux ans pour qu'on t'emporte, recroquevillée dans des bras inconnus, leurs moues frustrées devant la tienne : terrorisée. Tu quittes le pays qui t'a vu naître, le soleil brûlant de Santa Marta et les quelques âmes délaissées qui côtoyaient les bordures de ton lit. Merci Colombie, adieu Colombie.

second part - et le ciel de paris a son secret à lui ₰ (france)

• Et quand Paris s'éveille, toi tu t'endors épuisée de ces soirées où les talons de tes Gucci foulent le parquet des galas et puis de leurs afters, de toutes ces nuits où tes escarpins pendent aux bouts de tes doigts peints en rouge et que la plante de tes pieds s'abîme sur les pavés parisiens. • Elle est loin ta Colombie natale, la soupe suspecte de l'orphelinat à dix-huit heures trente. Ils sont loin tes arrières goûts d'abandon et de solitude. Aujourd'hui, tu ne l'es plus et pas assez même alors tu t'enfermes dans tes encyclopédies de médecine, tu t'endors sur ton bureau jonché de tes mémoires, tu fais taire tes angoisses en glissant sur les pages de tes vieux bouquins, t'enivrant de cette odeur rassurante de papier. Ça, tu peux le toucher. Ça, tu peux le contrôler. • Tu combats tes démons silencieux, tu camoufles tes crocs sous ton rouge à lèvres, tu masques l'odeur du brasier qui te consume sous une goutte de Guerlain. • Sous tes veines : le poison silencieux, le tic-tac entêtant de l'amorcement d'une bombe latente. Toi, tu as tout, toi, tu as trop. Tu possèdes tellement et tu adores ça, mais parfois tu te souviens qu'un peu partout d'autres n'ont rien, foutrement rien et que tu as fait partie de cette minorité oubliée, qu'avec eux tu as laissé tes canines s'enfoncer dans la mousse poussiéreuse de ton oreiller pour ne pas gémir ta douleur. • Le teint de ta peau, les traits de ton visage, la rage qui teinte tes prunelles... Tu ne leur ressemble pas, tu n'es pas à ta place. Ils te le disent, tu l'encaisses avec un sourire hautain et un sourcil relevé, mais chaque regard insistant sur vos mains qui s'entrelacent, chaque sous-entendu chauvin, la moindre pause dans leurs pas quand ils te croisent accroît un peu plus l'amas de fiel qui bientôt débordera pour t’ensevelir pour de bon, pour te remettre à ta juste place : celle que personne n'a jamais attendue. • Ton palpitant est-il trop plein ou trop vide ? Es-tu une orpheline ou une fille de ? Qui es-tu, est-ce que tu le sais ? Les angoisses se multiplient, elles prennent de l'âge et savent que trop bien que toi, tu t'épuises toujours à les faire taire. Tu te passionnes, tu t'émerveilles devant de nouveaux essais cliniques, tu cherches à réparer les corps pour panser les abîmes du tien. À l’extérieur tu es parfaite Daesyn, tu es enviée. Enchanteresse parisienne, tu as le Monde au bout de tes escarpins, mais c'est ce Monde qui est trop grand pour eux. • L'adolescente fugue, s'escorte, s'escort sous les lueurs des réverbères parisiens. Tu cherches à trouver des réponses aux questions que tu ne veux pourtant pas te poser et puis tu rencontres un peu de fièvre pour réchauffer ton cœur glacé. Tu t'étales sur les toits de Notre-Dame pour oublier que ce ciel n'a jamais été le tien. • Tu finis par rentrer à la maison quelques semaines plus tard parce que ton départ a creusé l'entaille, que ta fuite a séparé leurs cœurs. Presque-papa n'aime plus presque-maman, mais bien sûr ils t'aimeront toujours toi.

third part - where all your happy dreams come true ₰ (massachusetts)

• Une fois la majorité française acquise, tu traverses à nouveau l'océan pour t'installer avec ta mère adoptive sur la côte nord du Massachusetts, à Salem. Ton doctorat ne se fera finalement pas à la Sorbonne, tu échanges presque sans regret tes tickets de métro contre le grimoire tant convoité des sorcières. • Des blessures sur des blessures, des pansements sur des plaies à peine cicatrices, mais tu masques même le masque. Rien ne passe, rien ne se décèle sur ton visage impassible. Tu restes droite, fière, élégante, studieuse et bien élevée. Tu maquilles tes yeux pour oublier qu'ils ont déjà eu le pouvoir de pleurer. Tu maquilles les gerçures de ton âme pour oublier que la médecine ne pourra jamais les panser. Tu es le jolie mannequin dans la vitrine et l'ouragan qui viendra la faire exploser. • Boston. Harvard. Les choix s'enchaînent vite et cette fois ce sont les tiens alors tu espères une issue différente, peut-être que tu te sentiras moins opprimée si c'est toi qui décides, si personne n'est encore là pour te rappeler que personne n'a jamais su qui tu es, pas même toi. Si personne n'est encore là pour te faire te souvenir que tu viens de nulle part.