Le temps passe sacrément vite. Trois mois, douze semaines passées auprès de nombreux patients aux urgences, un stage qui m’en aura appris bien plus en quelques semaines que toutes ces années sur les bancs de l’école. L’enseignement théorique est essentiel, je ne prétendrais jamais le contraire, mais la pratique apporte un éclairage qui nous manque beaucoup trop à nous, les étudiants en médecine. J’ai été encadré à merveille par des chirurgiens que l’on pourrait qualifier d’experts de leur discipline. Ils m’ont transmis leur passion, leur sens de la rigueur et du travail correctement effectué. Leur minutie m’accompagnera et me portera sur cette dernière ligne droite à franchir. Quelques semestres à valider et j’aurais moi aussi l’autorisation de pratiquer. D’ici là, il me faudra carburer – comme toujours, me direz-vous – et obtenir les meilleurs résultats, ceux qui m’aideront à me distinguer et à tirer mon épingle du jeu. Mon internat, voici mon prochain objectif. Me dégoter une place dans l’un des meilleurs hôpitaux du coin, m’entourer de figures de la médecine moderne, de profils aussi divers que varié… J’avance avec une ambition démesurée et un désir de me mettre en danger qui, je le sais, m’apportera beaucoup sur le long terme. Des médecins qui inspirent, j’ai déjà eu l’occasion d’en côtoyer sur ce stage d’initiation, ils ont été très nombreux à m’accueillir à bras ouverts et à me laisser observer, parfois même prendre part en effectuant quelques gestes basiques. J’ai pu recoudre quelques patients aux urgences, assister à des chirurgies, formuler des diagnostiques, rencontrer les patients et leurs familles… Je ressors d’ici revigoré, prêt à tout donner. Pour l’heure, place à un moment de détente bien mérité. On m’organise une petite soirée de départ, de ce que j’ai compris. Rien de bien exceptionnel, une simplicité que j’adore et qui me met à l’aise… Juste quelques verres échangés autour d’un bon buffet avec des collègues dans un bar près de l’hosto. J’ai pris soin de repasser par mon appart pour me changer, prendre une bonne douche et me recoiffer, le tout sans pour autant me mettre en retard. D’ailleurs, je suis le premier à arriver sur place. Le bar est encore désert à cette heure-là.

Mon doctorat ne pouvait pas démarrer mieux, premier semestre décroché avec une moyenne solide. Une première place évidente dans l’hypothèse où mes résultats se maintiendraient de la sorte. Aucun doute à avoir là-dessus, j’ai profité de mon année sabbatique en Russie pour prendre de l’avance sur les programmes, j’ai bossé comme un acharné pour ne plus avoir qu’à retravailler sur les points qui me posaient le plus de difficultés. Pour parvenir à obtenir ce que l’on désire, il faut savoir mettre la main à la pâte et sacrifier ce qui doit l’être au moment venu. Je n’ai pas peur de me priver sentimentalement, de passer à côté de belles opportunités humaines. Des histoires d’amour, de nouvelles rencontres… J’aurais la possibilité d’en faire tout au long de ma carrière lorsque cette dernière sera officiellement lancée… Difficile de formuler la même affirmation d’un point de vue professionnel. Il est plus qu’ardu d’effectuer un tel chemin lorsque les années laissent leur empreinte sur ta petite personne et que t’es déjà englué dans une relation stable avec une situation familiale plus compliquée à mettre de côté. Ce n’est pas impossible, certains quarantenaires ne cessent de m’impressionner au quotidien à l’université en se dépassant malgré les compagnons et enfants à la maison… C’est juste nettement plus compliqué que pour des jeunes de mon âge. Ce stage de quelques semaines, il est passé beaucoup trop vite mais il aura sans aucun doute laissé une empreinte indélébile. Plus aucun doute possible, je sais qu’il me faudra serrer les dents un peu plus, tout donner pour parvenir à me hisser au même rang que tous ces chirurgiens de talent. Dans cet hôpital, ils sont tous à la pointe de la technologie, à la recherche de nouveaux traitements… L’innovation est permanente et elle n’a eu de cesse de m’inspirer. La tristesse est là, bien présente… Parce qu’il est impossible de ne pas être dégouté, frustré d’en rester là, de s’interrompre en si bon chemin et pourtant… Il ne s’agit que d’une pause avant le début des véritables festivités. Première personne à arriver au point de rendez-vous, l’organisatrice de ce pot de départ : Elisee. Nos rapports se sont diversifiés au fur et à mesure. Elle que j’osais à peine aborder, rapport « professeur – étudiant » oblige, pourrait à présent être une collègue comme une autre. L’admiration en plus. Le dialogue s’est énormément fluidifié et j’ignore comment je m’y prendrais à l’avenir pour m’adresser à elle dans le cadre des cours qu’elle dispense sur le campus. « Pas le moins du monde, au contraire. J’ai beaucoup appris et je ne sais comment te remercier pour la patience dont tu as fait preuve ces trois derniers mois. » Je n’arrive à la tutoyer – comme elle m’a exigé de le faire – que depuis quelques jours… Mieux vaut tard que jamais. La jeune femme se rapproche pour me tendre un paquet que je ne tarde pas à déballer pour trouver un stéthoscope avec mon prénom de gravé dessus. Difficile de rester de marbre face à une telle attention… J’ai du mal à empêcher mes yeux de se mettre à pétiller, comme ceux d’un gamin le matin de Noël. « Wow, merci beaucoup… J’suis vraiment touché… Je ne sais pas quoi te dire à part… Merci, vraiment ! » Je me redresse pour pouvoir la prendre dans mes bras, une manière bien à moi de remercier les gens. Je suis très tactile, peut-être trop parfois. « En attendant que les autres se joignent à nous, qu’aimerais-tu boire ? La première tournée est pour moi ! »

Me voir offrir sur un plateau un tel stage, c’est accepter de m’accueillir dans une fourmilière animée et irriguée par une tonne de corps de métiers. Des techniciens qui s’affairent quotidiennement, à chaque instant, pour résoudre les problèmes divers et variés dès qu’ils sont rencontrés aux aides-soignantes trop peu considérées et pourtant essentielles au bon déroulement des soins procurés aux patients. Des infirmières ultra réactives auprès desquelles j’ai pu me laisser aller à quelques exercices de pratique aux chirurgiens et autres médecins qui se retrouvent face à une table, avec une vie entre les mains… Il est indéniable que je ressors de cet hôpital grandi, prêt à en découdre sur ce dernier semestre me séparant du début de mon internat en chirurgie générale. La route est encore longue pour parvenir au niveau de chirurgiens de renommée comme Elisee Hawke, mais j’ai la niaque et l’envie de me dépasser, de soulever des montagnes pour faire évoluer la médecine comme mes prédécesseurs. Pour l’heure, j’ai un pot de départ à savourer et nous ne sommes que deux à être arrivés. Si la médecine exige un certain sens de la ponctualité, il est assez amusant de noter que nous ne parvenons pas à être à l’heure en dehors du travail. J’ai droit à un cadeau de la part de cette femme que je respecte comme très peu d’autres personnes dans ma vie, un stéthoscope qui, je le sais, m’accompagnera partout dorénavant. Un porte bonheur qui, je l’espère, m’aidera à poursuivre cette ascension afin d’arriver à un niveau suffisant pour acquérir la confiance de mes patients. Les compliments qui accompagnent ce présent me touchent davantage encore, parce qu’ils viennent tout droit du cœur et qu’ils sont directement liés à ce qui me tient le plus à cœur : la qualité de mon travail et mon implication en qualité de stagiaire. Il a fallu trouver le juste milieu, être suffisamment présent pour apprendre tout en parvenant à se mettre en retrait au moment venu pour laisser les médecins faire opérer la magie. « Le service va énormément me manquer à moi aussi, ça va me faire bizarre de ne pas me lever pour venir à l’hôpital. On s’y habitue vite, mine de rien ! » Les longues heures de garde ne me manqueront probablement pas au départ, mais j’ai le goût du travail et je sais que je finirais par m’ennuyer, là, à m’asseoir sur les bancs d’un amphithéâtre toute la journée sans être véritablement actif ni acteur de ma formation. Je nous commande deux verres de vin blanc que le barman ne tarde pas à nous apporter. « A ce stage, au début d’une belle histoire… A une chirurgienne exceptionnelle qui m’a beaucoup appris et sans qui je n’aurais pas pu accomplir tout cela ! » Je tends ma boisson, prêt à faire tinter nos verres et à sceller un toast que je veux plus personnel pendant que nous sommes tous les deux. « Je vais continuer à me déchirer pour obtenir les meilleurs résultats possible le semestre prochain. Il me faudra un dossier béton pour avoir un maximum d’options à envisager pour mon internat ! » L’internat, prochaine grosse étape censée me rapprocher au maximum de ma vocation. Il me faudra passer par un tel baptême du feu pour espérer gravir les échelons et mettre la main à la pâte.